Lamilly les Saints Prié

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Leonard Cohen - Hallelujah

J’adore voir la campagne défiler à travers les vitres du Ter. J’ai décidé sur un coup de tête de rentrer chez moi, dans cette région qui m’a vu grandir et que je n’ai pas voulu revoir depuis plus de 10 ans, depuis que j’ai décidé que plus rien ne m’y retenait. Cela me fait bizarre de rentrer mais ayant pour la première fois des doutes sur mon avenir, je décide d’aller dire au revoir à mon père.

J’arrive enfin à la gare d’Orléans, capitale du Loiret et fief d’une femme forte immortalisé sur un bûcher : Jeanne d’Arc.

La gare a bien changé depuis la dernière fois ; un piano pour les mélomanes qui souhaitent partager leur talent aux autres, des vélos électriques pour recharger les téléphones portables et une alternance de boulangerie, de distributeur de sucrerie et de restaurant turc ou grec selon le pain.

Je me dis sur le moment qu’il devrait permettre aux vélos électriques de générer des bons de réduction pour ces vendeurs de cholestérol. Peut-être une idée à développer. Je devrais aller voir mon banquier pour qu’il me finance tout ça. On verra plus tard, pour l’instant, je recherche la borne de taxi qui a, elle aussi, changé de place.

J’ai passé l'âge de me faire subir le triptyque Tram-Bus-Marche. Et la quarantaine d’euros que cela me coûtera n’ai plus une somme insurmontable pour moi aujourd’hui.

Après avoir traversé le petit centre commercial attenant à la gare, je trouve enfin la borne de taxi. Bien que je sois le premier, je cède ma place à un couple. Je préfère la douceur d’une mercedes classe C à celle d’un vieux picasso aux sièges bien raides ; il y a bien ,trop longtemps que je suis devenu adepte des voitures de luxe lorsque je me deplace et cela ne changera rien au prix.

Je donne l’adresse et je ferme immédiatement les yeux afin de ne pas être dérangé par le chauffeur. Il essaie tant bien que mal d’engager la discussion mais deux “oui” et un “non” secs suffisent à mettre fin à ses tentatives.

J’ouvre de temps en temps les yeux pour être sûr qu’il ne prend pas un détour pour se venger. La ville a bien changé, beaucoup plus fleuri. Mais ces changements ont surtout touché la ville d’orléans et les villes limitrophes. Plus j’approche de mon village, plus les souvenirs sont en parfait raccord avec ce village qui n’avait que très peu changé. Tout juste la plaque à l’entrée était nouvelle suite à l’unification des deux communes qu'étaient Lamilly et Saint Prié sur Loire. Lors de ma dernière visite, la guerre pour le choix final du nom et surtout de l'appellation des futurs habitants faisait rage. Les Lamilliens et les Présiloriens devenaient les Saint-Lamilliens.

Les Présiloriens se sentaient lésé de perdre leur identité mais étant moins nombreux, ils n'eurent df'autres choix que qu’accepter.

C’était bien la seule histoire qui anima la commune pendant 20 ans.

J’arrive enfin devant la demeure de mon enfance. Avec le temps, elle me paraît à chaque fois plus petite. Pourtant j’ai arrêté de grandir, mais je pense avoir garder une vision enfantine de l’époque où je vivais ici.

Je paie mon taxi et je me présente à la porte. C’est une petite maison classique en bord de route comme on en trouve partout dans le village. Une porte, une fenêtre et un garage au rdc, deux chambres à l’étage, le reste de l’habitation se trouvant de l’autre côté avec le jardin. Ça avait au moins l’avantage de pouvoir jouer sans se prendre les pots d'échappement et le bruit.

J’ai prévenu mon père ce matin que je passai le voir. Aucun étonnement dans sa voix, alors que cela fait bien dix ans qu’on ne s’est vu. Nos échanges se limitent à quatre coups de fil par an: Noel , Nouvel An et nos anniversaires respectifs. Et il ne fait l’effort d’appeler que pour me souhaiter le mien. Comme je l’aide financièrement en lui envoyant une centaine d’euros par mois, il tient trop à cette “rente” pour risquer de me froisser.

Je sonne et j’attends tranquillement à la porte me demandant s’il a changé. La réponse ne se fait pas attendre, je n’ai aucun mal à reconnaître celui qui m’a tant effrayé dans mon enfance. Quelques cheveux en moins, le reste étaient maintenant totalement blanc et il était un peu plus voûté que la dernière fois.

  • Te voilà enfin, ferme bien derrière toi.

Même pas un bonjour. Sympa l’accueil mais nullement étonnant. Il se retourne pour vérifier que je referme correctement la porte et me regarde de haut en bas

  • Au moins tu t’habilles beaucoup mieux qu’avant. Te voilà un vrai parigot maintenant

Je me dis que ça ressemble à ce que je peux espérer de mieux comme compliment.

  • Bonjour, t’inquiète, je ne vais pas trop te déranger, je prends juste des anciennes affaires dans ma chambre si tu n’as rien touché.
  • Fait ta vie, tu me fais louper les infos de FR3

Mon père n’a jamais su s’habituer au changement de nom de FR3 à France 3 ; de toute façon, vu les programmes, je ne pouvais lui en vouloir.

J’ai prétexté vouloir récupérer des affaires pour justifier mon passage éclair. Malgré nos différences, je pensai qu’il était important de passer lui dire au revoir. Je ne sais où me mènera cette histoire avec Marjorie et ma maman me disait toujours quand j'étais petit que peut importe ce que faisait mon père, il ne fallait jamais oublier qu’on a qu’un seul papa et que rien que pour ça, il ne faut pas lui en vouloir même quand on pense qu’il est dure.

Je monte dans ma chambre, de toute façon, il n'a pas envie de parler pour l’instant et je ne sais quoi dire également.

J’ouvre la porte de ma chambre, elle n'a quasiment pas changé depuis mon dernier passage. J’avais déjà pris beaucoup d’affaires, il ne restait que quelques dessins et des vieux vêtements qui même s’ils m’allaient encore, je n’oserai plus les porter ; trop passé de mode et les coupes laissaient à désirer.

Mes cartons de dessins n’ont pas bougé et je retrouve tellement de souvenirs en découvrant les premières œuvres de l’artiste que j’étais enfant.

Je dessinais beaucoup avec ma maman étant jeune, elle me poussait à reproduire mes rêves. Je me souviens de la douceur de ses bras quand elle me tenait sur ses genoux et caressait mes cheveux alors que je m'appliquais à ne pas dépasser, pinçant mes lèvres pour renforcer ma concentration enfantine.

Mon bonheur à cette époque était simple. Ma maman et moi. Elle s’occupait de la maison et de moi alors que mon père travaillait pour nourrir la famille et ne manquait jamais de lui rappeler que sans lui on n’aurait ni toit ni à manger.

Je n’ai plus de photo de ma mère, et la seule qui reste dans la maison est celle de leur mariage qui est au salon. Avec le temps, j’ai perdu le souvenir de son image, mais je garde le souvenir de l’odeur du chocolat le matin, je crois encore me souvenir de sa voix lorsqu’elle me chantait des chansons pour dormir, de ses mains me frottant les cheveux sous la douche, de la bonne odeur de tous les plats qu’elle préparait.

De cette enfance, je ne me souviens pas avoir vu mon père sans un verre de vin à la main. Je ne le voyais jamais le matin et quand il rentrait, il lui fallait son verre de vin pour décompresser. Et le week-end, s’il n’était pas au bistrot avec ses amis, il faisait la sieste ou attendait le repas en regardant FR3 un verre de vin à la main bien sûr.

Ma mère souriait tout le temps, sauf quand je la surprenais dans la cuisine, pensive.

Elle ne se plaignait jamais et ne refusait jamais de jouer avec moi.

Souvent le soir, alors que j'étais censé être endormi, j'entendais du bruit dans la chambre de mes parents. Ils devaient jouer, j’entendais mon père qui grognait comme un animal. Je me disais que comme j’avais joué toute la journée avec maman, il pouvait lui aussi jouer avec elle.

Avec le temps, les jeux ont changé et ils étaient beaucoup plus bruyant. Et lorsque je retrouvai ma maman le matin, elle souriait toujours mais je voyais bien que ses yeux étaient rouges ; et elle avait des marques sur les bras et au cou. Quand je lui demandai si elle avait pleuré, elle me répondait que oui, de bonheur. Et les marques étaient juste du à la fatigue et qu’elle était juste tombé, rien de grave.

A l’époque, je me disais qu’elle était souvent fatiguée car elle tombait souvent.

Le premier tournant fut lorsque je fis un dessin en classe qui entraina la convocation de mes parents. J’avais juste dessiné ma maman en pleure avec des marques sur le corps et mon père en train de regarder la télé un verre à la main. Rien de plus que la réalité pour le petit garçon que j’étais.

C’était une époque où ce genre de chose n'entraînait pas la visite d’une assistante sociale, surtout dans des petits villages. L’affaire ne dépassa pas les légères inquiétudes de ma maîtresse et une rencontre avec le directeur . Surtout que ce dernier était un compagnon de bistrot de mon père.

Lorsque le directeur me demanda si mon père tapait ma maman, je répondis que non car je n’avais jamais été témoin de cela, et que les larmes de ma mère étaient des larmes de joie.

Je crus ce jour-là que je n’avais rien fait de grave, mais je n’étais pas préparé au retour à la maison.

A peine la porte franchit, je reçu une claque dont je me souviendrais toute ma vie. Sur le moment, je n’arrivais pas à comprendre la réaction de mon père, des coups pleuvaient sur moi et ma maman tentait tant bien que mal de me protéger, et prenait les coups à ma place.

  • Toi et ton fils, vous avez intérêt à ne plus jamais me faire honte de la sorte. Sinon vous pouvez dégager d’ici. Quel petit morveux, dessiner des saloperies pareilles.

Aussi loin que je m’en souvienne, c’était les premiers vrais échanges que j’eus avec mon père, et ils furent marquants.

J’ai tellement pleuré ce soir-là, ma maman me prit dans ses bras pour me réconforter et je fis des cauchemars pendant plusieurs nuits avant que cela se calme enfin.

Ma maman tenta de m’expliquer pourquoi mon père était en colère et m’interdit de faire des dessins sur ce qui se passait à la maison. C’est à cette époque que je commençais à dessiner de manière masquée. Mes notes en dessin chutèrent car pour ma maîtresse cela ne représentait rien, mais pour moi, c'était l’histoire de ma vie.

Je crus un instant que cela calmerait mon père, mais les coups et les cris étaient de plus en plus fréquents et je voyais ma maman de plus en plus lasse et fatigué. Les bons petits plats avaient perdu de leurs saveurs, les chansons étaient de plus en plus sourdes, et les douches de plus en plus courtes.

Je pensai qu’elle m’aimait moins mais je n’osai rien dire. Je ne voulais pas créer d’histoires. J’avais peur de ne rien comprendre et de reprendre des coups.

Une nuit, je fus réveillé par du bruit venant d’en bas. Il y avait beaucoup de personnes qui parlaient dans le salon. J’ouvrai la porte pour aller regarder, et je remarquai qu’il y avait des gendarmes dans le salon. Mon père était assis et pleurait. Je me disais qu’il avait dû faire une bêtise et que les gendarmes étaient venus le gronder. Je cherchai ma maman du regard mais je ne la voyais pas. Au bout de 10 bonnes minutes je pense, je décide de descendre pour demander après elle. Mon père vint à ma rencontre et me pris dans ses bras. Pourquoi était-il si gentil alors que je ne rappellai même pas qu’il m’ait déjà pris dans ses bras.

Alors que j’insistai pour savoir où etait ma maman il me répondit enfin

  • Ecoute fiston, ta maman a eu un accident, et……

Il se remit à pleurer en me serrant à m’en faire mal.

Je n’arrivai pas à comprendre ce qui se passait et j’essayai de me dégager des bras de mon père. Un gendarme intervint pour s’occuper de moi et m’emmena dans ma chambre. Elle m’expliqua avec beaucoup de tendresse que ma maman avait eu un accident dans la salle de bain et qu’elle était partie. Je me mis à pleurer quand je compris que je ne la reverrai plus. Ma maman était morte, tombé dans la baignoire car elle était trop fatiguée.

Les jours qui suivirent virent défiler du monde à la maison afin d’aider mon père dans les tâches du quotidien et s’occuper de moi. Mon père était devenu un papa, il s'occupait enfin de moi. Ma maman me manquait mais mon papa était là.

Le jours de l'enterrement, ce fut un carnaval de pleure mais j’avais cessé de pleurer de mon côté. JE les regardai chanter à l'église cette chanson que ma mère adorait me chanter : Hallelujah. Toute ces grandes personnes m’avaient expliqué que c’était un accident, qu’elle était partie et qu’elle ne souffrait pas. A ses mots, je fus rassuré et je me dis qu’elle était peut-être beaucoup mieux maintenant.

Mais cette pensée engendra de nouvelle répercussion inattendue. De lointaines tantes qui s'inquiétaient de ne pas me voir pleurer et sourire tout le temps me demandèrent si j’allais bien et si j’avais bien compris ce qui se passait.

Je leur répondis que ça allait et que j'étais content parce ma maman n'était plus fatiguée et n’avait plus mal.

Ces quelques mots engendrèrent une rumeur selon laquelle la maman était malade, et mon père s’emporta contre ceux qui colportaient ces histoires.

J'entendais leur conversation dans le salon, demandant à mon père si ma maman était malade et lui se défendant des inventions d’un gamin de 8 ans.

Les histoires se calmèrent et je crus que tout cela était fini. Mais dès le départ de ma dernière tante et que je me suis retrouvé à vivre seul avec mon papa, je fus enfermé dans ma chambre après avoir pris une dizaine de claques.

  • J’en ai plus qu’assez de tes histoires. Continue comme ça et je me débarrasserai aussi de toi

Je ne comprenais pas ce qui se passait et encore une fois mon père m’avait battu sans que je sache pourquoi.

Ma maman m’avait fait promettre de ne jamais oublier que c’était mon père et que même s’il pouvait paraître etre dur, c’était avant toute chose mon père. Et maintenant qu’on était plus que deux, je devais éviter de le contredire, car ça faisait très mal.

J’ai donc grandi avec ce père qui n’avait de père que le nom qu’il m’avait donné et le toit qu’il me concédait.

Les plats étaient devenus fade mais je mangeai tout de peur de prendre des claques, les douches étaient solitaires et je me chantais à moi-même les chansons que ma maman m’avait apprises. C’est ainsi que j’ai grandi, dans ce foyer où l’amour n’a plus jamais exister après le départ de ma maman.

Je décide de prendre tous mes dessins et de ne plus rien laisser ayant de la valeur pour moi dans cette maison.

Alors que je descends avec mon carton, je vois mon père devant la télé, concentré sur la version régionale du journal de France 3

Je jette un regard sur la photo de mariage de mes parents, histoire de prendre un dernier souvenir visuel de la belle femme souriante qu’était ma sublime maman puis je me retourne sans le déranger et je pars définitivement comme j’ai vécu ma vie dans cette maison sans elle :

En silence

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