Normalité ou Presque

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Jean Jacques Goldman – je marche seul

La route pour revenir à Brisson a été beaucoup longue que prévu. J’ai eu beau partir de bonne heure de Lamilly afin d’arriver au plus tôt, il a fallu qu’un abruti de routier ait eu la bonne idée de renverser son chargement sur la route, rallongeant le trajet de deux bonnes heures. J’avais décidé de descendre en voiture afin de récupérer toute mes affaires, mais finalement je ne suis remonté qu’avec le seul et unique objet représentant de la valeur à mes yeux.

Une fois la porte passée, je déballe le cadre afin d’admirer ma mère dans sa sublime robe de mariage. Mon père n’avait conservé aucune photo d’elle à part celle-ci. Surement se trouvait-t-il si beau là-dessus qu’il ne la gardait que pour s’admirer. Au-dessus de la cheminée me semble être le meilleur endroit, je pourrai ainsi croiser son regard à chaque fois que je passerai la porte en rentrant ou lui dire au revoir à chacune de mes absences.

J’allume un feu dès la porte franchie afin de réchauffer au plus vite la maison. Rien ne vaut un vrai feu de cheminée, le crépitement des flammes chantent instantanément à mes oreilles tandis que la chaleur prend possession de la pièce.

Le chauffage au fioul n’est pas aussi efficace et je ne parle même pas de l’absence total de romantisme.

La nouvelle de la mort de mon père fut à la fois une surprise et un réconfort. Non que je ne souhaitais sa mort, il n’avait guère plus trop de valeur à mes yeux, mais je ressentais un certain soulagement d’avoir pu le voir une dernière fois et lui dire à ma manière adieu.

Le médecin prit soin de me prévenir du choc que je pourrai ressentir en voyant le corps refroidi de mon père lors de l’identification.

  • Oui, c’est bien lui, lui dis-je sans aucune émotion
  • Merci pour l'identification. Et encore nos condoléances.
  • Merci.
  • Vous allez bien ? Vous n’avez pas l’air choqué par l’état du corps ?
  • J’ai fait un stage à Paris dans un service médico-légal lorsque je cherchai ma vocation. J’ai donc vu rapidement des cadavres en état de décomposition plus avancés. Et moi et mon père, on ne se parlaient plus beaucoup depuis que j’étais partie vivre à Paris. C’était presque devenu un étranger à mes yeux.
  • Ha okay. Nous allons vous faire signer quelques documents et vous pourrez y aller.

Une histoire inventée de dernière minute mais avec une part de vérité qui donnait du corps à mon absence de réaction et qui ne devrait engendrer, je l'espère, trop de questions de la part des gendarmes. La version ou j’ai l’habitude de découper des cadavres n’était pas envisageable.

Ils avaient mis une semaine à trouver le corps de mon père, à la suite de l'inquiétude d’un de ses compagnons de bistrot qui n’avait pas eu de ses nouvelles depuis plusieurs jours. Il avait apparemment chuté dans les escaliers et s'était cassé le col du fémur et le coccyx. Il avait dû s'évanouir et la maison se trouvant en bord de route, les appels à l’aide étaient étouffés par le bruit des camions et autres voitures circulant jour et nuit. De ce côté de Lamilly, il n’y avait pas beaucoup de piétons, il n’a donc pas pu demander à l’aide avant de s’éteindre au bout de deux jours selon le médecin légiste. Déshydraté au bout de 24h, il ne devait déjà plus avoir suffisamment de force pour crier. Et à partir de ce moment-là, sans intervention extérieur, la fin était inévitable.

A l'énoncé de ses souffrances, je n’ai pu m'empêcher d’avoir pitié de lui, le sachant agonisant sans aide, attendant la mort inlassablement. On ne pouvait trouver pire comme châtiment.

Je reçois un message de Marjorie me disant qu’elle en avait enfin fini avec ses obligations et qu’elle était disponible ce jour. Une bonne nouvelle, j’ai besoin de me changer les idées après ces derniers jours à devoir supporter ma famille d’inconnus et reparler de ma mère.

Je lui donne rendez-vous ce soir dans le loft afin de discuter de notre prochaine victime, Claire.

Je ne traine pas plus longtemps chez moi, je prends quelques affaires pour le weekend, j'éteins le feu alors que la chaleur commençait tout juste à s’installer et je prends rapidement la route afin d’éviter les embouteillages de l’après-midi. Cela va me faire du bien de ne plus conduire pendant quelques jours. En province, tu ne fais qu’utiliser ton véhicule, même pour acheter pain. J’ai de plus envie d’un bon bain, ayant fui Lamilly et cet hôtel à la douche minuscule que m’avait réservé ma tante. Je n’avais pas souhaité vivre dans la demeure de mes parents, mettant rabattu sur un hôtel non loin où la pression de la douche était à classer dans la catégorie portée disparue. Une fois tous les papiers signés ce matin avec tante Georgette, la sœur de mon père, j’ai dit adieu à ma région natale.

Je ne souhaitai pas trop m'embarrasser du peu d’héritage qu’il me laissait. J’ai donc confié à ma tante, contre cinquante pour cent de la somme totale, la mission de vendre la maison. Une seule contrainte ; ne pas me déranger avec ça et m’envoyer la somme une fois la vente effectuée. Vivant confortablement, je n’allais pas me battre et perdre du temps pour une demeure dont la valeur ne devait guère dépasser la centaine de milliers d’euros. On était très loin des standards parisiens et une fois la succession réglée, je récupèrerai de quoi me payer une berline allemande afin de fêter la mort de mon père.

Je n’ai qu’une seule hâte, c’est que la dernière fois que j’entendrai parler de Lamilly, ça sera dans la ligne “virement reçu” de mon compte bancaire.

Après encore deux heures et demi de route pour rallier le quartier de la Bastille, je me dis que je pourrais envisager de passer mon permis moto et me payer une belle sportive afin de pouvoir esquiver tous les ralentissements dû aux accidents ou les milliers de travaux que notre chère maire impose aux parisiens. Je vais devenir un motard et avec le budget issu de la vente je recevrai, je peux même dire, que j’en serai un avec de l’allure. Ça sera son cadeau post-mortem.

Une fois arrivé dans ma demeure parisienne, je jette mes vêtements dans le panier à linge comme s’ils étaient imbibé de l’odeur de mon village. Je suis à deux doigts de les brûler mais je préfère éviter de faire sonner les alarmes et l’odeur me dérangerait. Je me fais un bon bain chaud dans lequel je veux passer une bonne heure et réfléchir aux semaines à venir. Ces derniers jours, j'étais trop occupé à faire des choses qui ne m'intéressait guère pour la préparation des funérailles, prévenir la famille proche et recevoir les alcooliques aux visages rubiconds du bistrot du village. Ils y allèrent tous de leur compliment sur mon père. Comme quoi l’alcool a ceci de magique de rapprocher les gens et de masquer leurs pires défauts.

La famille que je ne fréquentai plus depuis des années se voulait rassurante.

“Tu n’es pas seul tu sais, on est là si besoin” disaient-ils de concert.

Mais pas plus qu’avant je ne souhaitai les côtoyer.

Un message de Marjorie finit de me sortir de mon bain, elle est en chemin et me demande si je désire quelque chose. Je m'étais habitué à ses messages plein de distance et n’ayant besoin de rien d’autre à part le courage de sortir de mon bain, je rejette gentiment sa proposition.

Pendant que je reprends mes notes sur Claire, Solena sonne à la porte. Je crie au loin de rentrer que la porte est ouverte sans prendre la peine de relever les yeux de mon cahier.

  • Coucou, comment vas-tu ? Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu et tu ne viens même pas m’ouvrir la porte.
  • Il me semble que la dernière fois tu n’as eu aucun mal à partir sans mon aide, donc tu peux le faire dans l’autre sens.

Un petit tacle gratuit qui j'espère lui rappellerai que c'était elle qui était responsable de cette distance. Mais elle n’en a cure et vient m’offrir une de ses bises dont elle a le secret et qui me rappelle l’amusante folle qu’elle peut être. De plus, elle a mis un nouveau parfum que je trouve fort agréable.

Elle me dit qu’elle a dû travailler sur un gros dossier et que celui-ci étant enfin fini, elle a enfin du temps pour moi. Elle me demande ce que j’ai fait depuis la dernière fois que l’on s'est vu.

Je prends mes notes et je me mets à lui faire mon rapport sur Claire. Cela n’est pas très long devant le peu d’habitude de la jeune fille et de la difficulté à pouvoir planquer vers chez elle.

  • C’est tout ? Je pensai que tu aurais beaucoup plus d’infos. Tu as fait quoi d’autres ? Tu en as repéré une autre ?
  • Non, je m’occupe que d’une cible à la fois
  • Okay. Et tu as fait quoi à Noel ?
  • J'étais chez moi, seul.
  • Et au Nouvel An ?
  • Pareil. Pourquoi ?
  • Je me dis juste que tu n’as pas beaucoup de choses à me dire pour quelqu’un qui a eu autant de temps libre.

Je ne comprends pas trop son insistance et toute ces questions. Je la sais curieuse mais cette fois c’est différent, comme si elle souhaite savoir une chose en particulier. Son comportement est d’autant plus étrange que nous nous sommes laissés en froid la dernière fois.

  • Je pense que tu ne me dis pas tout, repris-t-elle .
  • J’ai plus l’impression que c’est toi qui cherche à me faire dire quelque chose mais je ne vois pas du tout où tu veux en venir.

Soléna se lève et se dirige faire le frigidaire. Elle l’ouvre et semble observer les bouteilles à l'intérieur sans savoir laquelle prendre. Finalement elle en referme la porte et décide de prendre une de mes bonnes bouteilles de rhum dans l’armoire au-dessus du plan de travail. Je ne pense pas qu’elle est vraiment choisie mais elle prend la plus chère. Elle se sert un verre qu’elle engloutit presque aussi vite sans prendre le temps d'apprécier ce chef-d'œuvre gustatif.

J'espère que ce qu’elle a à me dire est suffisamment important au point de gâcher la dégustation de ma liqueur.

Son comportement n’est pas normal et je m'attends au pire. Elle revient vers moi et se met à mes côtés en me prenant les mains.

  • J’ai quelque chose à te dire et je ne sais pas comment tu vas le prendre mais c’est important que je ne te cache rien.

Je la fixe sans rien dire. Que va-t-elle m'annoncer ?

  • J’étais avec ton père au moment de sa mort.

Que vient-elle de dire ? Je n’en suis pas trop sûr.

Que faisait-elle avec mon père ?

Que faisait-elle chez moi ?

Pourquoi était-elle avec lui au moment de sa mort ?

Qu’a-t-elle fait ?

Les mots qui sortent de sa bouche sont inaudibles pour moi, perdu que je suis dans mes pensées.

  • Ça va ? me demande-t-elle avec un léger sourire

Ça va ?

Ça va ?

Ça va ?

Je ne sais pas. Mes mains tremblent. Cette information n’a aucun sens.

Enfin, oui, peut-être qu’elle en a.

Je comprends sans comprendre.

J’ai peur de comprendre ce qu’elle a fait mais pas le pourquoi.

Mes mains tremblent de plus en plus et en moi les émotions s'entremêlent. Je lève les mains dans sa direction et elles les attrapent à l’unisson alors que je fixe ses yeux, me posant pleins de questions qui n’arrivent pas encore à s’exprimer.

Les questions font peu à peu place à l’inquiétude.

Une forte inquiétude qui à ce moment-là me fait peur.

Cette peur se transformant en rage.

Cette rage qui finit par exploser comme il y a 7 ans.

Mon corps ne répond plus une fois de plus et agit comme de lui-même.

Alors que mes mains s’avancent vers elle, elle me sourit, pensant surement que je souhaite lui caresser les joues, mais je n’en ai que faire, la maintenant, c’est son cou que je recherche. Elle n’a pas le temps de réagir lorsque mes mains se pressent contre sa gorge et que son sourire s’efface pour laisser place à l’effroi.

Comment a-t-elle pu me faire ça ?

Comment a-t-elle pu prendre la décision d'interférer dans ma vie ?

Pourquoi a-t-elle décidé de tuer mon père ?

Elle essaye de se débattre, me frappe mais elle n’est pas de taille, et le manque d’air lui prive déjà de ses dernières forces. Alors que son visage se fait bleu, je repense à la situation, à ce qu'elle sait sur moi, au risque que je prends si elle meurt. Mes mains se relâchent légèrement lui permettant à peine d’exprimer des mots inaudibles

  • ………………….. tué………….

Elle a raison, “Je ne peux pas la tuer”.

Alors que les larmes de colères coulant sur mes mains semblent laisser glisser son cou, elle s’effondre sur le sol cherchant le souffle de vie que je mourrai d’envie de lui extraire à jamais.

Elle tente de reprendre son souffle et dit des mots incompréhensibles.

  • Peu importe ce que tu as à dire, il n’y a aucune excuse. Va-t'en !!

Je me dirige dans la salle de bain en lui demandant de disparaître avant que je n’en ressorte. La seule chose dont je suis sûre là et maintenant, c’est que je vais la tuer. Il n’y aura pas de dessin, aucun tableau comme héritage de cette rencontre. Sa mort sera sanglante et douloureuse.

Elle ne peut être que de plus en plus dangereuse si elle se permet ce genre de décision. Une fois que je saurais comment me débarrasser d’elle sans risque pour moi, je mettrai un terme à cette collaboration de manière définitive.

Alors que je sors, elle est encore là. Elle n’a pas compris qu’il fallait qu’elle disparaisse pour sa propre sécurité. Je me dirige vers la porte que j’ouvre en grand pour l’inviter à partir au plus vite.

  • Tu ferais mieux de partir pendant que je suis encore calme.
  • Il a tué ta mère

A ces mots, je la fixe du regard. Manipulation, supercherie, qu’elle est donc ce simulacre pour se donner raison.

  • Tu racontes n’importe quoi. Et si tu continues, je ne réponds plus de moi
  • Il me l'a avoué, je t’en prie crois-moi. C’est vrai. Laisse-moi tout t’expliquer.

Pourquoi mon père aurait-il avoué un meurtre qu’il aurait commis, qui plus est à une femme qu’il connaît à peine. Cela n’a aucun sens, mais c’est plus fort que moi, et une partie veut, non, a besoin de savoir ce qui s'est passé le soir du décès de ma mère.

C’est alors que je me souviens aussi de cette phrase qu’il m’avait sorti quand nous furent enfin seule après le décès de maman et que je n’avais pas compris à l’époque :

“J’en ai plus qu’assez de tes histoires. Continue comme ça et je me débarrasserai aussi de toi”

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