Rêves tronqués — Vox (V2)
« Le Ciel. On le voit à longueur de journée. On le sent, là, sous nos pieds. Il se maintient majestueux et puissant. Il est omniprésent, mais on n’en parle jamais…
Comme si, en l’abordant, on risquait d’y tomber.
On jauge son état, chaque matin. On le regarde, mais que peut-on dire de lui ? Comment le comprendre ? En l’étudiant, patiemment, comme les prêtres du Ciel ? Ou, simplement… en s’y plongeant ?
Non, je plaisante, voyons, voyons. Si vous pouviez voir vos têtes !
Reprenons !
Les prêtres du Ciel, donc ! Eux disent qu’ils le comprennent. Ils sont bien plus subtils et fins que vous et moi. Ils l’entendent, le décodent, en observant ses mouvements.
Penchez-vous. Regardez ce bleu, ces nuages dansants et le Vent qui les malaxe.
Le parterre céleste se meut sans cesse, il glisse, de transformation en transformation, devient toujours différent de lui-même. Pas comme la Terre immobile, facile à définir… Il est fluide, transcende sa forme et son être, les enfants !
Les Célestes ont bien compris que, pour le saisir, ils devaient le danser. Allez donc au temple du Ciel, les amis. Voyez, lors de la fête du Père et du Fils, les Célidanseurs et les souffles-Vent se coordonner pour offrir un spectacle qui reproduit le firmament. Allez y voir, je vous dis, c’est dans quelques jours ! Tirez les tuniques de vos parents jusqu’à les déchirer, s’il le faut.
Vous verrez. Ils respirent si bruyamment, les souffles-vent, qu’ils produisent une musique assourdissante. Le bourdonnement de leurs glottes singe le dieu mouvant et en guide la substance, puis gonfle les cœurs.
Les célidanseurs, quant à eux, deviennent nuages, glissent en fond bleu, deviennent mouvement. Ils incarnent l’abîme mouvant, ils voguent tantôt rapides, tantôt lents ; ils descendent, montent et brisent, secoués par les respirations intensives des souffleurs. On croirait même, en les voyant, les confondre avec les profondeurs.
Ils ne sont plus humains. Ils deviennent l’atmosphère. Ils ne respirent plus, ils incarnent le flux.
Allez y voir, les enfants. Vous n’aurez plus besoin d’aucun mot pour saisir le Père et le Fils dans leur danse inlassable. Vous la vivrez, au fond de vos oreilles et de vos carnes. Et là — là seulement — vous saisirez : son mouvement. »

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