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Épuisée, je pense m’être assoupie. C’est lorsque j’ouvre les yeux, la gueule enfarinée, que je m’en fais la réflexion. En tout cas, il fait toujours nuit dehors, ainsi que dans ma geôle. Seul un halo de lumière, tout autour de la porte, m’apporte un filet de clarté. Quelle heure peut-il bien être ? Pourtant, des bruits de verre brisé ainsi que des discussions lointaines dont je ne perçois que des mots isolés, m’alertent. Des rires grossiers accompagnent les voix qui se rapprochent. J’essaye de me rassurer, mais n’y parviens pas. Aucun doute, ils sont tous éméchés.

Effrayée par ce que je pressens, je me tends, prête à je ne sais quoi puisque je ne vois pas trop ce que je pourrais faire contre une poignée d’hommes complètement pétés. Tremblante, je prie pour que rien ne m’arrive. Les yeux exorbités par la panique, je suis à l’affût. Seule dans ce lieu désert, à la merci de bruts tous aussi saouls les uns que les autres je suis mal barrée ! Mon instinct me hurle de me sauver dès que tous ces poivrons seront couchés. Seulement, il a dû oublier les barreaux aux fenêtres… Et en admettant que je réussisse à sortir de ce taudis, je me demande bien où je pourrais aller ! C’est la zone ici. Je parie qu’il n’y a rien à dix kilomètres à la ronde…

Dire qu’il y a quelques minutes, je dormais encore. La quantité d’adrénaline qu’a délivrée mon cerveau vient de remédier à ce problème ! Quand j’entends la clé tourner doucement dans la serrure, c’est officiel, je suis définitivement réveillée ! C’en suit un long grincement, ainsi que de lourds chuchotements, avant que des ombres envahissent furtivement la chambre. Sans détour, les silhouettes s’approchent de mon lit de fortune dans des démarches mal assurées. Leur avancée est ponctuée de rires incontrôlés qui me glacent le sang. Le dernier referme la porte.

L’un d’eux enclenche l’interrupteur et une lumière beaucoup trop vive pour l’heure illumine la pièce. Oh non ! Je suis perdue, à leur merci !

À présent, ils ne font plus aucun effort, parlent fort. Leur élocution maladroite, l’odeur d’alcool qui empeste, me confirme qu’ils ne sont pas à jeun. Mon cœur bat à tout rompre. Toujours en boule, je reste immobile. Mais je ne suis pas idiote. J’ai parfaitement conscience qu’ils ne sont pas venus jusqu’ici, juste pour me regarder pioncer !

— Hey les gars, bafouille un des types en trébuchant, venez voir, elle dort.

— On dirait qu’elle a froid ! chuchote un autre.

— Et si on la réchauffer… propose vulgairement le premier dans un rire bien gras qui me file à nouveau la gerbe.

Terrorisée, j’ai beau humer l’air, mon kidnappeur n’est pas là. Quelque part, cela me rassure. Il y en a au moins un qui n’est pas sur le point de me faire du mal. Lui qui s’est excusé pour son comportement tout à l’heure, je suis persuadée qu’il n’aurait pas l’indélicatesse d’agir comme ces connards. Parmi eux, je reconnais sans difficulté la mauvaise odeur des deux larrons qui me bloquaient dans la camionnette. Tout en feintant l’endormissement, je me tiens prête. Ce n’est pas comme si je ne savais pas me défendre. Avec mon boulot, je suis bien entraîné pour cela. Alors que je suis toujours immobile, ils s’agglutinent autour de moi, se bousculent les uns les autres, le tout dans un fracas épouvantable.

— Eh… chuchote une voix un peu plus fluette que les autres. Faites doucement les mecs où vous allez réveiller Sunny. Le connaissant, il va nous empêcher de nous amuser…

— Rhô… Arrête de flipper ! À l’heure qu’il est, il est dans sa tente et dort comme un bébé, ironise le premier.

— N’empêche, il vaudrait mieux pour nous qu’il ne débarque pas. Alors, taisez-vous ! gronde l’autre, inquiet.

Gueule d’amour s’appelle donc Sunny ! C’est un bien joli prénom, pourtant plein de douceur. Mais l’heure n’est pas à fantasmer sur son état civil. Revenant à mes lascars, je tente de réfléchir aux options qui s’offrent à moi. Il faut dire qu’à mon âge je n’aurais jamais cru vivre un truc aussi angoissant que ça. Le constat est simple : ils sont quatre, je suis seule. Et celui susceptible de me porter secours n’est pas là ! Pas folichon comme perspective ! Pour l’instant, l’unique défense qui me vient à l’esprit est de rester figée avec le maigre espoir que « Sunny » débarque « par hasard » pour me sauver.

Entre-temps, un des types s’est accroupi près de moi. Sans gêne, il pose une de ses mains sur ma jambe et commence à la remonter lourdement le long de ma cuisse. Son contact m’inspire du dégoût. Aussitôt, ma peau se hérisse au passage de ses doigts rugueux. Pétrifiée, je ne peux retenir les tremblements qui s’emparent de moi. Jusqu’où vont-ils aller ? Malheureusement, je n’ai aucun doute sur la réponse et je préfère ignorer la voix alarmante qui me remplit l’esprit. De toute façon, je suis si terrifiée qu’il me serait impossible de résister… Puis, ils sont si nombreux ! Alors même si je suis prof de self défense, comment pourrai-je les vaincre ?

Soudain, la porte s’ouvre violemment avant de rebondir contre le mur. Dans un sursaut, mes yeux s’entrouvrent légèrement, me permettant de voir, sans être vu. Le mouvement de l’air me fait parvenir le doux fumet sucré que j’espérai tant. Sunny ! Je crois que je n’ai jamais été si heureuse qu’il débarque !

— Putain ! hurle un Sunny hors de lui lorsqu’il aperçoit son complice retirer brusquement sa main. Mais, qu’est-ce que vous fichez ici bande de merdes ?

— On venait juste vérifier si elle n’avait pas froid ! bredouille l’un d’eux en ricanant niaisement.

— Bien sûr ! Vous allez arrêter de vous foutre de ma gueule ?

Furibond, il fond sur le groupe qui se dissipe devant lui. Puis il saisit par le col le gars à mes côtés, pour le relever.

— Et toi, ne t’avise plus jamais de reposer tes sales pattes sur elle. Je t’interdis de la toucher ! le menace-t-il, empreint à la folie.

— Non, Sunny, je te jure… le supplie l’homme, misérable.

— On ne lui aurait fait aucun mal, argumente laborieusement un autre.

Je sens la fureur qui le tient. Il est tremblant, prêt à frapper.

— D’ailleurs, regarde, elle dort… justifie le gars, paniqué.

— Encore heureux ! Sortez, crache Sunny en le jetant sur le sol en direction de la porte. Et allez cuver dans votre tente ! Vous n’avez rien à foutre ici. C’est à moi et à moi seule de m’en occuper !

— T’énerve pas comme ça, Sunny… On voulait juste un peu passer le temps… C’est que ça manque de nanas dans le coin et puis elle est plutôt pas mal celle-là…

— Cassez-vous ! Jamais personne n’abusera d’une femme si je suis dans les parages, vous m’entendez ! De toute façon, on en reparlera demain lorsque vous aurez décuvé !

Soumis, les types sortent un à un, tête baissée, nous laissant seuls. Sunny, lui, reste dans la pièce. Songeur, il m’observe un instant avant de s’approcher. Jouant toujours à la belle endormie, je crains d’être trahie par mon cœur, qui lui tape de plus en plus fort. Mon dieu… J’ai eu si peur ! J’ai vraiment cru que c’en était fini pour moi ! Je n’ose imaginer ce qui aurait pu se produire sans son intervention. Oh non… Voilà que mes larmes s’en mêlent maintenant ! Lentement, il s’accroupit à mes côtés. Han ! Il ne porte pas son masque ! Il est vital qu’il ne sache pas que je suis éveillée. S’il apprenait, et que je connais son nom, et que je suis en mesure de l’identifier, ma vie pourrait bien être en danger !

Des frissons, mais cette fois d’une tout autre nature, me parcourent le dos lorsqu’il m’effleure brièvement les mains. Je l’entends prononcer un « hum… », avant de se relever et qu’il quitte de la pièce. Je le crois parti se recoucher quand je suis surprise de le voir revenir, une dizaine de minutes plus tard, des couvertures dans les bras. Calmement, il les déploie et me les dépose dessus. Je ressens aussitôt une douce chaleur s’en dégager. Visiblement satisfait, il va refermer la porte et s’éloigne vers la salle d’eau. Après avoir actionné la lumière de cette pièce, il éteint le néon aveuglant. Puis il s’assoit sur le sol, contre le mur.

Va-t-il passer la nuit ici ? De toute évidence oui ! Comme moi, il doit craindre le retour des poivrots désireux de terminer ce qu’ils n’ont pas eu le temps de commencer. Le filet de clarté donne un côté cosy à ce lieu déplorable. Au fil des minutes, alors que je me réchauffe lentement, mes jambes se déploient peu à peu, jusqu’à ce que je sois étendue de tout mon long. Son doux effluve ainsi que sa présence me rassurent.

Dans la pénombre, je me remémore son visage sans masque. Je ne devrais pas, seulement, je le trouve envoûtant. Ses yeux sombres, sa mâchoire carrée, ses pommettes saillantes, ses lèvres gourmandes… Même sa ride du lion m’est apparue sexy ! La façon dont il vient de me défendre me ferait presque oublier la dureté dont il a pu faire preuve. Dans la banque, il semblait en colère contre la vie elle-même…

Une fois bien réchauffée, je me laisse glisser doucement dans le sommeil. La peur m’a quitté, je me sens protégée.

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