II - Capoeira sous le signe du diable [2/9]

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    Se débarrasser de ces imbéciles qui travaillaient au même endroit que lui – et la simple idée de se dire qu'il nageait chaque jour dans cette mer d'incapables le rendait fou – fut loin d'être une chose aisée. D'abord il y avait ces empaffés qui étaient persuadés que sa discussion avec Florence n'était que pour atteindre l'objectif d'une nuit avec « cette chanteuse très canon » et qui avaient en outre promis de le cuisiner le lendemain au boulot. Pathétique. Ensuite, il y avait Layla, qui l'avait regardé avec un air de roquet stupide abandonné sous la pluie et qui avait semblé être en proie à une crise existentielle. Un autres des collègues – Bastien, Rayan.. Ludovic, peut-être ? Il avait oublié.. Enfin, ce n'était qu'un détail inutile – avait posé une main réconfortante sur l'épaule de l'éplorée tout en jetant sur le blond un regard mauvais. Tiens, dans la course désespérée de Layla à son égard, il avait un rival.

Toujours est-il qu'il avait finir par leur dire que oui, il allait repartir avec Florence. Et quand bien même c'était faux, il comptait bien saisir la possibilité de fuir la compagnie épouvantable de ces lies de l'humanité. Ainsi, il avait obtenu sur un plateau sa fuite et, après les avoir salué, s'était éloigné sans demander son reste pour rejoindre l'androgyne. Qui était demeuré introuvable.

Avait-il simplement, décidé de partir en le plantant là ? Il avait envie de dire qu'il doutait de ce comportement venant du jeune homme, mais la réalité était qu'il ne connaissait pas vraiment cette âme guidée par Thanatos. Enfin, des éclats de voix le ramenèrent à la réalité, le détachant de cette vague de colère qui commençait à embraser doucement son corps. Repérer celle onctueuse du jeune homme dans le lot ne fut pas difficile. Il n'était pas parti finalement. Et aussi soudainement qu'elle avait décollé, sa colère s'apaisa. Décidé à aller voir ce qui retenait l'intéressant personnage, le blond se dirigea vers la source du bruit. Sa muse était visiblement au prises d'une discussion houleuse avec deux hommes – ces fameux chiens enragés qu'il avait mentionné plutôt dans la soirée. Ces deux là, dans un état d'ébriété visible, ne représentaient pas un réel danger pour un sanguin comme lui, mais Florence, frêle et affaibli comme il l'était, semblait avoir plus de mal. Entre deux toux, il n'hésitait pas à feuler comme un félin, toute griffes dehors, avec l'ardeur d'un jeune lion.

C'était un spectacle sacrément fascinant. Il serait même resté à l'observer des heures durant. Néanmoins, ça restait inadmissible : Alban avait fait de Florence sa propriété et sa proie ; son égal et son unique rival. Alors, la colère – couplée à une autre émotion, non identifiable – fraîchement apaisé s'éleva à nouveau dans le creux de sa poitrine, cela ajouté à la tension douloureusement contenue depuis plusieurs semaines qui tendait son corps comme un arc à chaque instant de la journée. Comme un loup, il se jeta avec la grâce d'un prédateur sur sa proie, entamant son jeu préféré : celui où toutes ses pulsions comprimées face au commun des mortels pouvaient ressortir presque librement. Presque, car il ne pouvait décemment pas se laisser aller à fond, conserver des limites étaient nécessaire s'il voulait éviter quelques regrettables problèmes.

Arrivé proche de sa victime, son poing atteint l'homme le plus proche de lui et le fit tanguer, sous le glapissement simultané de Florence et de l'autre clébard qui se rua sur lui à son tour. L'homme d'affaire, sentait l’adrénaline affluer délicieusement dans ses veines, le remplissant d'une euphorie qui devait, pour une fois, s'afficher de manière totalement sincère sur son visage habituellement froid. Et il frappa, encore et encore. Jusqu'à faire reculer l'autre charognard la queue entre les jambe, qui prit la fuite quelques instant plus tard. Jusqu'à ce qu'une main douce ne retienne son bras.

Il s'était retourné vers l'inconscient dans le but de lui faire regretter son geste, avant de s'immobiliser à la vue de Florence. S'il retint son geste, il n'hésita pas à le foudroyer du regard. Mais contre toute attente, le jeune chanteur lui envoya un doux sourire malgré son visage crispé par des toux intempestives, pas le moins du monde effrayé par la brutalité et le regard fou qui émanaient de l'homme d'affaire aux cheveux miel. D'une main légère, presque une caresse évanescente, l'androgyne prit le poing sanguinolent d'Alban entre ses doigts, effleurant les ecchymoses qui commençaient doucement à bleuir ses phalanges.

Le détaillant, lui et sa fureur ; lui et ses poings tremblants et écorchés ; lui et les éclaboussures de sang sur son visage, il semblait.. Eh bien Alban théorisa cela comme un regard de pure fascination. Du moins, c'est ce qu'il comprenait des aigues-marines intenses posés sur lui sans cligner un seul instant. C'était la fascination de l'ange déchu, tombé du Paradis depuis bien longtemps, pour le diable. Puis, le chanteur fit quelque chose qui surprit grandement son vis-à-vis : il lui offrit une caresse aérienne qui s'envola sur sa joue, recueillant une goutte de sang tombé de ses cils et qui perlait dessous son œil, comme l'aurait fait une larme.

  • On dirait que nous sommes deux à user d'artifices trompeurs., sourit Florence en inclinant la tête pour laisser une toux s'échapper, rauque.
  • Ces chiens..!, grogna l'homme, d'un air mauvais bien que sa colère soit redescendue légèrement, de même que sa tension intérieure, celle-ci restant malgré tout bouillonnante sous la surface de sa peau.
  • Quelle agressivité., Vous arrive-t-il d'éprouver de l'empathie, du respect pour vos congénères ?
  • Pourquoi faire ?., répliqua-t-il, bourru mais sincère., Ils sont parfaitement inutiles, insipides et stupides.

Nouveau sourire de la part de l'androgyne qui le poussa contre le mur derrière eux, abandonnant le pauvre bougre qui geignait sans plus lui accorder une once d'attention. Il possédait finalement plus de force qu'il n'en laissait paraître. Alban fronça les sourcils, peu satisfait de sa position, mais se cacha derrière un mur impassible, l'observant sans bouger, le dominant d'une bonne tête et demi.

  • Ça doit être douloureux, supposa le jeune homme en posant un main sur sa poitrine, comme s'il connaissait déjà le cœur du problème ; cette rage sans nom qui le rendait fou à intervalles imprévisibles, une haine qu'il était obligé de déchaîner sous peine de voir son corps se rompre de toute part, Vous arrive-t-il souvent de vous adonner à ce genres de.. passes-temps ?, demanda-t-il encore.
  • Et si c'était le cas ?, questionna cette fois le trentenaire, arborant cette fois un sourire sardonique et dardant son regard sur l'autre.
  • Si ça l'est, souffla-t-il sur le ton de la confidence en effleurant sa nuque et son épaule avec langueur., alors laissez-moi vous proposer un accord.

Le blond ne se serait clairement pas attendu à ça. Une menace, du chantage.. Mais pas à un deal. Bien sûr, de sa position, le faire plier par la voie légale, ou presque, aurait été aisé. Cependant, cela aurait compliqué sa quête d'une lutte sans merci face à ce lion inespéré. Restait à savoir quelle genre de contrepartie attendait sa muse.

  • Je vous en apporterai sur un plateau, des proies. Des connards qui ne méritent que de se faire taper dessus, j'en connais un paquet. Ils seront tous à vous.

Voilà qui était plutôt intéressant. Sous sa frimousse d'ange, c'était peut-être en réalité un nouveau démon qu'il avait rencontré. Voilà qui ne l'excitait que davantage dans son jeu de pouvoir.

  • Très tentant. Vos conditions ?

Un sourire enjôleur, plus large, mais qui contenait aussi une triste émotion qu'il n'aurait su décrire afflua sur les lèvres de Florence qui laissa une main insolente tracer une ligne de feu sur la peau de son ventre, le regardant toujours intensément. Contre toute attente, cela eut son effet, et sa tension intérieure explosa à nouveau dans son estomac, tourbillonnant en lui pour transcender ses veines avec l'ardeur d'un brasier. Un tic nerveux agita sa lèvres et le sourire présent sur celles de l'androgyne s'accentua.

  • Faites-moi oublier. Faites-moi oublier absolument tout et jusqu'à mon propre nom, foudroyez-moi et déchaînez-vous comme jamais vous n'avez pu en avoir la liberté auparavant. Ce n'est pas de la douceur que je cherche., susurra-t-il avant d'ajouter plus haut, moqueur, bien que je doute que vous en soyez seulement capable.

Avec un sourire insolent, Alban renversa leurs positions, laissant le dos du jeune homme rencontrer le mur avec violence, comme pour lui confirmer ses propos précédents. Sa condition semblait tout à fait acceptable. Le trentenaire n'avait pas pour habitude de s'offrir. Il le refusait même catégoriquement. Ces choses étaient réservés à la bassesse humaine. Mais pour le bien fondé de ce duel qui s'annonçait définitivement plus excitant qu'il ne l'imaginait, l'homme pouvait faire une exception. En outre, Florence lui offrait peut-être un exutoire, une nouvelle façon de vaincre son insatiable bête interieure, et ça, plus que tout autre, c'est une occasion à ne pas laisser filer.

  • Nous avons un accord, accepta-t-il en glissant une main sur les hanches de son acolyte.

Ainsi, Florence se jeta sur lui avec férocité et ils se rencontrèrent avec une violence qui les secoua tous les deux. Ils étaient semblable à un prédateur sur une proie, sans savoir avec précision quel rôle appartenait à qui. Il n'y avait qu'un jeune lion inexpérimenté à la violence et un loup au sommet de son art, fragile aussi bien que dangereux dans toute son instabilité. Une lutte sans merci.

Mais alors, il se passa deux choses : La première fut que, contre toute attente, Florence se recula soudain contre le mur à nouveau, sous le regard embrasé, puis perplexe du blond. Il avait baissé la tête, puis, avant que le plus âgé ne puisse poser la moindre question, une quinte de toux plus violente que précédemment secoua le plus frêle. Et lorsqu'il releva la tête, Alban fut désarçonné d'apercevoir un fluctuant filet de sang s'échapper des narines de Florence. La suivante découla de la première : Après une expression crispée que le blond comprit douloureuse, l'androgyne s'écroula.

Restant d'abord stupéfait, Alban finit par s'approcher du jeune homme, et lui secoua l'épaule. Un geste visiblement vain puisque la conscience de l'androgyne semblait s'être fait la malle. Et le flux de sang qui s'écoulait toujours de son nez était assez inquiétant. Alors, après un juron sonore, l'homme d'affaire le souleva et se hâta jusqu'à sa voiture. Ils avaient un accord ; une lutte à mener ! Il était tout simplement hors de question que le plus jeune lui claque entre les doigts, pas avant qu'il n'ait tenu sa promesse.

Sortant son téléphone d'une main et tenant le volant de l'autre, le trentenaire se souvint de cet homme ; un médecin un peu stupide autant que profiteur qui lui devait une faveur. Parfait, le jour où il la lui rendrait était aujourd'hui. Alors, roulant un peu plus vite qu'il ne le devrait, il amena Florence tout droit vers l’hôpital. L'écoulement de sang s'était finalement stoppé de lui-même, mais le chanteur était toujours inconscient. Alban poussa un soupir excédé : ce n'était pas vraiment de cette façon que sa soirée était prévue, mais malgré tout, la rencontre avec sa Némésis valait bien ce petit contre-temps.

Mais contre toute attente, Florence papillonna des yeux alors que le bâtiment se rapprochait doucement d'eux. L'homme coupa son moteur sur un parking, désert à cette heure, et tourna son regard vers l'androgyne qui se repositionnait de manière plus correcte sur le siège, sa silhouette s'étant affaissée durant son malaise. Sa peau déjà pâle à l’accoutumée était présentement diaphane, mais un fin sourire éclaira son visage en le voyant. Une émotion non reconnaissable pour sa personne traversa sa poitrine en constatant la meilleure forme visible de sa muse et il fixa son regard anthracite dans celui du plus jeune sans ciller. Son vis-à-vis passa une main dans ses longs cheveux bruns en détournant les yeux. Un petit silence s'installa avant que Florence ne finisse par le briser.

  • Je suis désolé.. pour tout ça., Observant l'extérieur de l'habitacle un moment, ses yeux durent tomber sur l'enseigne de la clinique car il continua. Merci d'avoir pris la peine de conduire jusqu'ici., souffla-t-il.

Pourtant, malgré ses remerciements, le chanteur poussa un petit soupir. Il semblait épuisé, et pas seulement physiquement.

  • Qu'avez-vous ?, demanda finalement de but en blanc le trentenaire en coulant un nouveau regard vers lui, mais une expression neutre sur les traits., dois-je m'attendre à ce genre de réaction une nouvelle fois ?

Un nouveau soupir passa la barrière des lèvres de Florence et il appuya sa tête sur la vitre, regardant à l'extérieur d'un air absent.

  • Vous le dire changera-t-il la façon dont vous vous comportez à mon égard ?
  • Pourquoi ça changerait quelque chose ?, questionna Alban avec nonchalance.

Et c'était vrai. Le blond ne voyait pas pourquoi il changerait. Il ne s'inquiétait pas pour Florence, il n'y était pas attaché, ni à lui ni à personne. Il ne voulait simplement pas perdre son meilleur rival, ni son inespéré exutoire. L'androgyne lui envoya un vague sourire teinté d'une émotion inconnue.

  • Parce que c'est un cancer, souffla-t-il en retournant à a nouveau son visage vers l'extérieur, mais grâce au reflet de la vitre assombrie par la nuit, Alban pouvait toujours voir ce fade sourire affiché sur ses traits, mais je prends un traitement.

Ainsi, la discussion ne lui apporta comme verdict que le nom de la maladie dont souffrait son acolyte. Il n'avait jamais douté que le jeune homme était malade. Il l'avait su à l'instant où ses yeux s'étaient posés sur lui. Et vu son état de santé lamentable, il y avait peu de doute quant à l'issu de celle-ci.

C'est à nouveau l'homme au coeur de lion qui lança la discussion, optant pour un changement de sujet auquel il ne put qu'agréer :

  • Mais où en étions-nous avant ces désagréments ?, demanda suggestivement Florence en arborant à nouveau un air malicieux, tout sourire.

Une main vint alors traîtreusement glisser le long de la cuisse d'Alban, alors que celui-ci démarrait à nouveau la voiture. Finalement, il ne suffit que de ça pour enflammer à nouveau les sens du blond. Et il savait déjà où il pouvait emmener sa Némésis. Il était temps de véritablement conclure leur pacte, et ce, de la plus délicieuse façon qu'il soit. Cette soirée était définitivement hors norme et une concession à ses principes méritait d'être faite.

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