Chambres, autels et ordinateur

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Madame Tanaka étant de retour en fin d'après-midi, Emma lança un repas typiquement japonais pour qu'elles puissent manger ensemble le soir. Une fois fait, elle s'attaqua comme elle l'avait prévu aux dernières pièces de la maison.

Avant cela, elle avait remarqué un rectangle découpé dans le mur à côté des toilettes. Curieuse, elle tenta de l'ouvrir, en vain, puis elle comprit le système. Elle appuya tout le long du rectangle jusqu'à ce qu'une légère détonation se fasse entendre. Le rectangle s'entrouvrit, laissant apparaître un escalier montant, plongé dans l'obscurité. Prise de frissons, elle ne voulut finalement pas en savoir d'avantage et referma soigneuse la trappe.

Elle commença à faire la pièce à côté de la salle de bain. C'était certainement une ancienne chambre, pleines de cartons qu'elle mit dans le salon. Les battants coulissaient mieux que dans la chambre de Madame Tanaka, aussi, elle n'eut aucun mal pour aérer la pièce. Ce fut très rapide car une fois débarrassée, il ne lui restait plus qu'à faire les toiles d'araignées et de balayer. Elle devina un piano droit sous un drap blanc mais n'y toucha pas.

En faisant attention à ne pas tomber, elle ouvrit les battants d'une nouvelle chambre. Celle-ci était un peu plus dégagée que la précédente. Elle emmena de nouveau des cartons d'affaires dans le salon. Dans un coin de la pièce, sous un draps, elle découvrit un ordinateur datant des années quatre-vingt dix. Elle remit la chambre en ordre et remarqua un rideau à l'opposé de l'odinateur. Elle le tira et constata qu'il y avait deux autels. Les deux paraissaient rescents. Sur l'un étaient disposés plusieurs objets dont une photo d'un monsieur d'un certain âge, sûrement feu Monsieur Tanaka. Sur l'autre autel, la photo était celle d'un couple d'une quarantaine d'année, tous deux très beaux et très souriants. Ainsi donc, Emma comprit que Madame Tanaka devait avoir le cœur lourd par tout ça. Ce qui expliquait aussi le rideau et cette chambre voire même la maison à l'abandon. Elle se rappela les paroles de la vieille dame et sut pourquoi elle avait baissé les bras. Quelle tristesse pour elle de perdre tous ses proches...

Emma fit une pause à midi. Comme il faisait beau, elle balaya la terrasse et arracha les herbes du chemins de graviers.

Madame Tanaka arriva en taxi. Surprise, Emma ne comprit pas pourquoi personne n'avait téléphoné pour qu'on vienne la chercher.

« C'est parce que j'ai voulu me débrouiller seule, se justifia la vieille dame. Vous êtes tous occupés, vous avez d'autres choses à faire que de vous soucier d'une vieille mémé comme moi !

- Oh... Madame Tanaka, soupira Emma désespérée, nous sommes là pour vous aider et parce que nous vous apprécions. Je ne suis pas sûre que les voisins seront ravis d'apprendre que vous êtes rentrée par vos propres moyens...

- Ils comprendront oui... répliqua-t-elle en levant les yeux au ciel.

- Venez, je viens de terminer.

- Eh bien, beau travail ! C'est méconnaissable... constata-t-elle. C'est émouvant... admit-elle des sanglots dans la voix.

- J'ai du travail pour vous ! s'exclama Emma pour lui changer les idées. Vous devez m'aider à trier toutes les affaires dans le salon. Je laverai et rangerai ce que vous gardez. Et remettrai le reste à Mutia pour qu'elle le donne à son association.

- Vous m'en direz tant... se moqua la dame. Aller, mettons-nous au travail alors... abdiqua-t-elle en pénétrant dans la maison. Oh, vraiment efficace la petite ! Le parquet et tout... »

La vieille dame émit un sifflement admiratif, touchant profondément Emma.

« Venez voir les chambres si vous voulez ?

- Oui... murmura-t-elle. »

Emma ouvrit chaque porte. Cela sembla émouvoir Madame Tanaka plus que de raison.

« J'ai vu un ordinateur sous un drap, rit Emma.

- Il est à mon petit-fils. Je le garde précieusement au cas où... expliqua-t-elle. Vous avez vu le reste n'est-ce pas ? »

Immédiatement, Emma sut de quoi elle parlait.

« Oui effectivement...

- Allons trier les affaires pendant que je vous raconte la tragédie qui s'est abattue sur ma famille... »

Elle s'installèrent d'une en face de l'autre. Emma assise sur un coussin par terre et Madame Tanaka sur son canapé fétiche.

Les vêtements qu'elle gardait allait directement dans la panière à linge. Les autres dans une caisse à part. Elle les laverait puis les mettrait dans des sacs et des cartons à l'attention de Mutia. Idem pour les objets et bibelots en tout genre.

« Alors voilà... commença la japonaise allumant une cigarette faisant froncer le nez à Emma. Mon plus beau cadeau dans la vie a été de donner naissance à mon fils. Mon mari en était très fier aussi et il était le bijou de toute la famille. Mon mari était ingénieur, et comme vous le savez j'étais femme au foyer. Il n'a donc manqué de rien. Comme nous aimions l'art, mon mari était musicien, d'où le piano que vous avez dû remarquer dans la chambre du fond. »

Emma acquieça, en mettant une robe dans la panière à linge.

« Cela ne nous a pas surpris lorsque Kazuhiro, du haut de ses cinq ans, nous a annoncé qu'il voulait devenir danseur étoile. Et croyez-moi il  y est parvenu car il a tout fait pour. Durant sa brillante carrière, il a rencontré ma chère Miki. Une excellente actrice de renom, de trois ans son aînée, qu'il a épousé sans tarder. »

Emma se dit qu'en effet, le visage de la femme lui rappelait quelqu'un, elle en conclue qu'elle avait dû la voir dans des films.

« Un an plus tard, continua-t-elle, Miki mit au monde mon petit-fils. Un ange... Nous étions dans le bonheur le plus complet. Tous très proches. Les enfants venaient nous voir pour les vacances, c'était toujours très convivial... s'émeut-elle. Il y a eut cet énorme typhon il y a trois ans. Kazuhiro rentrait d'une répétition et passait prendre Miki sur le lieu d'un tournage d'un drama qui s'était malheureusement un peu éternisé. Ils n'avait que cinquante et cinquante-trois ans... »

Elle fit une pause afin de reprendre ses esprits. Emma ne se préoccupait plus du tout des affaires à trier. Elle s'était assise à côté d'elle, et lui tapotait gentiment l'épaule comme elle l'avait vu faire par d'autres japonais, pour réconforter quelqu'un que vous aimez.

« Ils étaient à moins de cent mètres de chez eux lorsqu'un camion de livraison emporté par la tempête a perdu le contrôle, leur fonçant droit dessus. Ils sont morts sur le coup. Le chauffeur est tombé dans le coma avant de décéder quelques semaines plus tard à l'hôpital. Suite à cela tout a été différent. Kei n'a plus jamais souri. Il a terminé le lycée et a fait ses études en communication et publicité à Tokyo. Nous le voyions rarement mais il téléphonait de temps en temps. Puis il est devenu un présentateur de télévision connu pour sa personnalité froide et indéchiffrable mais aussi et surtout, pour sa vie privée inconnue de tous. Quoi qu'il en soit, mon mari et moi avons été très perturbés pendant longtemps par la disparition des enfants. Vous savez, nous nous aimions comme au premier jour et j'espérais que nous allions remonter la pente ensemble mais il dépérissait à vue d'oeil. Il aurait eu quatre-vingt trois ans le mois dernier... »

Elle fit à nouveau une pause, Emma en profita pour aller lui chercher un verre d'eau.

« Merci, dit-elle après avoir bu. Cela fait maintenant un an et demi, je l'ai retrouvé dans la chambre au piano. Il était au sol, comme s'il dormait mais dans une étrange position. Un arrêt cardiaque foudroyant... Il avait dû souffrir en silence car ses doigts étaient crispés. Dans une de ses mains il tenait des partitions. Je n'ai pu plus écouter une seule note depuis ce jour. Jusqu'à ce que vous arriviez... Vous avez changé la fin de ma vie Emma... Je vous en serais éternellement et profondément reconnaissante... »

Emma laissa échapper un sanglot. Il était peu courant que cela arrive avec des japonais mais elles s'étreignirent et pleurèrent très longtemps. Du moins, jusqu'à ce que Sho et Mutia arrivent. Ils étaient à la fois mécontents que la dame ne les ait pas appelés et tristes de les voir pleurer.

Ils prirent le repas préparé par Emma tous ensemble. Avant qu'elle ne s'en aille, Madame Tanaka lui proposa le gîte en échange de ses services afin qu'elle évite de continuer à dépenser un loyer.

Emma était de plus en plus surprise par cette incroyable femme, ne rentrant pas du tout dans les cases de la société japonaise.

À la Share House, elle fit part de la nouvelle à ses propriétaires. Elle ne renouvèlera pas sa location le mois suivant et leur recommanda Karina, la métisse brésilienne avec laquelle elle était toujours en contact. La pauvre galérait de air B'n'B en auberge de jeunesse depuis plusieurs mois. Les propriétaires lui téléphonèrent immédiatement et furent rassurés lorsque Karina accepta d'emménager rapidement.

En se couchant, Emma percuta qu'elle n'avait même pas demandé à Madame Tanaka comment s'étaient passés ses examens. Cette journée avait tellement été émouvante... Mais le pouvait-elle vraiment ? Et si Madame Tanaka ne voulait pas en parler ?

Elle eut du mal à s'endormir en pensant que la vieille dame gardait peut-être un lourd secret sur sa santé...

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