Piano, jardin et cigarettes

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Comme il est de coutume au Japon de garder pour soi ses problèmes, Emma se doutait que Madame Tanaka ne les lui révèlerait pas aussi facilement.

En arrivant ce matin-là, elle avait pour habitude de voir la vieille dame dans sa chambre une cigarette dans la bouche. Seulement, elle constata que ce n'était pas le cas. Et même la veille, Madame Tanaka n'avait fumé que deux cigarettes dans l'après-midi. Cela lui mit la puce à l'oreille, pour autant elle ne poserait pas de question tout de suite.

Dans tous les cas, elle se dit qu'il fallait que la japonaise prenne l'air, alors, elle plaça une chaise avec des coussins sur la terrasse et lui proposa de s'y installer.

« Prendre l'air vous fera le plus grand bien, expliqua-t-elle calmement. Ils ont prévu un temps magnifique aujourd'hui et demain, je vais en profiter pour m'occuper du jardin et vous pourrez regarder l'avancement.

- Ne rien faire me convient très bien ! se moqua la vieille dame. Et pour vous récompenser si vous travaillez bien, vous aurez droit de jouer du piano... taquina-t-elle.

- Alors je vais travailler dur car la récompense en vaut la chandelle ! rit-elle. »

Pour la première fois, Madame Tanaka eut un grand sourire franc, ce qui fit énormément plaisir à la jeune-femme.

Emma se vêtit de vieux vêtements. Elle avait acheté des bottes en caoutchouc car, étant de la campagne, les herbes hautes allaient souvent de paire avec serpents et grosses fourmières.

Avançant dans le jardin afin de comprendre sa disposition, elle aperçut un petit cabanon entre deux arbres. À l'intérieur se côtoyaient outils de jardinage, poussière et toiles d'araignées.

Emma ressortit avec un taille haie et un sécateur. Elle les leva pour les montrer à la japonaise.

« Mon mari était passionné de jardin Zen, s'écria-t-elle de sa voix rocailleuse. »

Les voisins passèrent leur dire bonjour et Emma en profita pour que Sho l'aide à relancer la débroussailleuse.

En une grosse matinée, Emma parvint à couper toute l'herbe et tailler les deux arbustes. L'un était un érable du Japon et l'autre un petit cyprès.

Pendant ce temps, le voisin rafraîchit le cerisier qui semblait être fatigué et tailla les bambous beaucoup trop haut. Quant à Mutia, elle s'occupa d'une partie de la haie composée de fusain.

À midi, ils prirent une pause. Madame Tanaka était très émue. Elle se mit même à pleurer et tous compatirent avec elle.

Après avoir mis les restes des végétaux dans des sacs verts prévus à cet effet, les voisins retournèrent chez eux.

Emma reconnut que sans eux elle ne s'en sera pas aussi bien sortie et surtout, aussi rapidement. Elle finit de tailler la haie, ratissa les feuilles mortes de la petite bambouseraie puis le chemin de graviers blancs afin de lui redonner sa forme. Elle enleva la mousse des pierres formant un Yin et un Yang et satisfaite du résultat arrosa un peu les plantes pour qu'elles repartent sur de bonnes bases.

Madame Tanaka était rentrée dans la maison. Elle attendait Emma dans la chambre au piano assise sur un fauteuil japonais typique – une assise, un dossier, des accoudoirs mais sans piétement-.

Comme promis, le jardin étant à la hauteur de ses attentes, elle autorisa la jeune-femme à en jouer.

Après s'être soigneusement lavée les mains et vêtue de manière plus propre, Emma retira le drap blanc de l'instrument. Avec un chiffon elle enleva le peu de poussière accumulée sur le dessus puis épousseta le petit banc tapissé de velours rouge. Elle s'y assit, ouvrir l'abattant.

Elle fit une gamme afin de savoir s'il était bien accordé et heureusement, c'était le cas.

Prenant une grande inspiration, elle commença par jouer le dernier morceau qu'elle avait appris.

Elle se sentait bien. Les touches s'abaissaient et se relevaient sous ses doigts. Elle avait l'impression d'être possédée. C'était toujours un plaisir de jouer sur un piano inconnu et cela l'était encore plus de jouer dans un pays qu'elle chérissait particulièrement.

Elle était totalement en transe, emportée par la musique, oubliant qui elle était, ce qu'elle était. Elle touchait le bonheur, la lumière, l'amour et le tout.

Elle joua les dernière notes puis s'arrêta. Un léger silence se fit.

« Jane Campion... intervint la japonaise brisant le silence. J'adore ce film, la leçon de piano... De tout cœur merci... En connaissez-vous d'autres ?

- Contente que cela vous ait plu ! Oui j'en connais quelques autres, j'espère m'en souvenir...

- Ce n'est pas grave si vous butez, allez-y, jouez m'en d'autres, pria-t-elle, il y a tellement longtemps que cette maison n'a pas frémit sous des notes. »

Emma se remit à jouer. Elle interpréta d'abord comptine d'un autre été de Yann Tiersen puis Merry Christmas Mr Laurence de Ryuichi Sakamoto que Madame Tanaka reconnu immédiatement.

Après cela, Emma recouvrit soigneusement le piano. Lorsqu'elle se retourna vers Madame Tanaka, elle ne s'attendait pas du tout à ce que celle-ci se dévoile.

« À l'hôpital les médecins m'ont expressément demander d'arrêter de fumer car mes poumons sont encrassés et cela risque de virer en cancer si je n'arrête pas. Ils m'ont aussi prescrit des médicaments et compléments alimentaires parce que je souffre de carences alimentaires et de vitamine D.

- Excellente occasion d'aller à la pharmacie pour prendre l'air en plus de vos médicaments, proposa Emma sans détour.

- Oui... Tout cela m'ennuie au plus haut point...se plaignit-elle.

- Je me doute mais c'est pour votre bien Madame Tanaka. En revanche, je commence à vous connaître et je sais que vous gardez autre chose...

- Décidément, je ne peux vraiment rien vous cacher à vous... On dirait ma mère ! ironisa-t-elle avec moue boudeuse.

- Ne tournez pas autour du pot Madame Tanaka... soupira Emma exaspérée de son attitude.

- Je souffre d'une insuffisance cardiaque, balança-t-elle comme de l'huile sur feu. Aussi, ils m'ont dit de faire de la marche tout en prenant bien mon traitement le matin, comme si j'étais une enfant !

- Ne faites-vous pas l'enfant parfois ? taquina-t-elle gentiment.

- Oh vous alors... souffla la vieille dame. Aller, allons manger ! Ah ! Et quand venez-vous ici ?

- Demain soir je dormirai ici si cela vous convient ? Une ancienne collègue emménage dans ma chambre demain matin, je viendrai donc avec mon paquetage.

- Très bien, acquiesça-t-elle, vous dormirez dans la pièce du piano.

- Allez vous laver le temps que je prépare le dîner.

- Vous me prenez vraiment pour une gosse... pesta la sorcière. »

Une fois toute propre et à table, Emma énonça le programme du lendemain. Madame Tanaka partit se coucher et Emma rentra à la Share House pour préparer ses affaires. Mutia lui proposa de venir la chercher le lendemain matin, ce qu'elle accepta avec joie et reconnaissance.

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