5 - La source (Partie 1/2)

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Le lendemain, une douce fumée sortait du toit de la petite chaumière où vivait Méline avec ses parents. Elle était déjà debout et ce même avant le chant du coq. Elle n’avait pas cessé de gesticuler toute la nuit dans son lit. Elle s’était remémorée la journée qu’elle avait vécue ; sa rencontre avec le lutin des bois, l’état préoccupant de sa sœur et pour finir, cette mystérieuse épidémie qui touchait le village voisin. Les paroles de Félix restaient gravées dans sa tête « Nous n’avons pas changé nos habitudes. Si l’épidémie ne s’arrête pas, les villageois iront l’anéantir. ».

Méline envisageait de partir de bonne heure et pour gagner du temps, elle était allée récupérer les herbes médicinales la veille dans la remise. Il ne lui restait plus qu’à traire la chèvre mais elle devait encore attendre un peu car le lever du soleil n’était que dans une heure et tout le monde dormait à poings fermés, même les bêtes.

En attendant, Méline confectionna une nouvelle pièce pour le lutin des bois car elle ne comptait pas prendre le détour. Il est vrai qu’hier, à son retour, elle avait payé sa traversée avec une pièce d’or mais c’était celle que Félix lui avait donné et ce, seulement parce que tout le village se méfiait du lutin des bois y compris son beau-frère.

Elle se jura de rien dire à Félix ni à sa sœur car de toute manière ils avaient d’autres préoccupations pour l’instant, et pour Méline, c’était de trouver la cause de la maladie au plus vite. Les plantes médicinales aideront sûrement à soulager les symptômes d’Amélie mais elle n’avait pas de certitude pour sa guérison.

Méline rajouta une bûche dans le feu et regarda les flammes léchées le bois, elle ne resta pas longtemps dans ses rêveries car une pluie verglaçante commença à tomber dehors et les gouttes givrées tapaient sur les fenêtres de la cuisine. L’hiver allait bientôt faire son entrée, Méline soupira à cette pensée. Elle termina sa pièce et l’emballa dans un joli tissu propre qui normalement servait de mouchoir, elle voulait faire une belle surprise au lutin des bois.

Les parents de Méline étaient encore endormis lorsqu’elle quitta la chaumière pour aller traire la chèvre. Après avoir remplis deux bouteilles, elle prit la route vers le sentier du lutin avec la pluie battante.

La nuit avait aussi été mouvementée pour l’esprit de la forêt, il n’avait pas arrêté de ruminer tout le long et il n’avait pas beaucoup dormit, voire pas du tout. Quand le sommeil vint enfin le prendre, la pluie verglaçante le réveilla.

- Bougre de temps ! râla le lutin dans ses dents (pointues !).

La mauvaise humeur du lutin des bois ne tarda pas à s’évaporer, en effet, il se réjouit d’avoir la belle cape que Méline lui avait confectionnée pour se protéger du mauvais temps. Il se percha sur le haut d’une branche quand il entendit au loin un tintement. C’était les deux bouteilles de lait que Méline transportait dans sa besace.

Il ne s’attendait pas à la voir de si bon matin, il fut au moins soulagé de voir qu’elle portait aussi une cape pour se protéger de cette pluie qui glaçait jusqu’aux os.

- Je me doutais bien que tu viendrais aujourd’hui jeune fille mais pas de si bonne heure, dit le lutin en descendant de sa branche.

- Ah bon ? C’est curieux, répondit Méline avec un regard rempli de malice.

- Curieux dis-tu ?

- Oui, pourquoi viendrais-je emprunter votre sentier en sachant que je n’ai pas de quoi vous payer ?

- Hier, tu m’as bien donné une pièce d’or ? nargua le lutin en arborant fièrement sa cape.

- Une pièce de la bourse de mon beau-frère car il était effrayé d’apprendre que j’allais reprendre le sentier sans vous payer.

Le lutin se joua de Méline, et elle le savait bien.

- Si tu n’as pas de pièce d’or, qu’as-tu à m’offrir en échange ? demanda le lutin avec le regard pétillant.

- Qui me dit que j’ai quelque chose à vous troquer ?

- J’ai entendu au loin un tintement. Tu dois avoir sur toi des bouteilles, répondit le lutin en reniflant la jeune fille, et tu pues l’étable ! Tu es allée traire les bêtes avant de venir.

Méline sourit, il avait vu juste, elle était effectivement allée traire la chèvre avant de venir et elle lui avait rempli une bouteille rien que pour lui. La deuxième bouteille étant destinée à Amélie. Elle lui donna le breuvage et le lutin sauta de joie. Le lait était encore chaud, et il en but une grosse rasade.

Dana, la grand-mère de Méline, lui avait une fois raconté une histoire sur le petit peuple quand elle était encore qu’une enfant. C’était l’histoire du gnome et du fermier. « Il était un fois, un fermier qui avait bâti sa ferme sur la propriété d’un gnome. Celui-ci rentra dans une colère noire et fit voir au fermier de toutes les couleurs. Un jour, une Dame vint voir le fermier et lui murmura à l’oreille de donner du lait au gnome, un breuvage que raffolent les êtres du petit peuple. Le fermier fit ce qu’on lui avait conseillé et le gnome, par ce geste, accepta la trêve avec le fermier ».

Elle était ravie de voir que le lutin raffolait autant de ce liquide blanc que le gnome dans l’histoire de sa grand-mère, mais ce n’était pas tout. Méline lui avait aussi confectionné un deux-pièces : un pantalon et un cardigan. Elle y avait brodé quelques feuilles de chêne, et pour les boutons du cardigan, elle avait récupéré les chapeaux des glands qu’elle avait récoltés durant la saison pour en faire de la farine et autres préparations.

- J’ai aussi un paquet pour ma traversée du retour, annonça Méline. Puis-je déjà vous le donner ? Je voudrais éviter de l’abîmer. Le lutin n’en croyait pas ses oreilles, la jeune fille n’arrêtait pas de le surprendre, chose qui était rare chez le petit peuple.

- Avec grand plaisir ! Tes présents sortent tellement de l’ordinaire. (et aussi très précieux aux yeux du lutin mais il ne l’avouera pas).

Méline lui donna le paquet et il l’ouvrit avec délicatesse sous sa cape. La pluie n’avait pas cessé pour autant. Elle n’arriva pas à décrire les émotions qui traversèrent le visage du lutin des bois, de l’étonnement à l’émerveillement et pour finir de la satisfaction à la reconnaissance.

- Jeune fille, tu es une couturière exceptionnelle. Le lutin toucha la broderie et pour la première fois un sourire se dessina sur son visage.

- Je voulais rester dans le thème de la forêt, vu que vous y vivez. Et nous avons la chance d’avoir quelques chênes majestueux dans les environs. C’était pour vous faire un petit clin d’œil.

- Merci pour cette attention, mais tu serais bien étonnée de savoir que les chênes sont bien plus que cela. (Les nymphes, telles que les hamadryades résident dans les chênes vénérables. Ce sont des créatures très féroces et très peu fréquentables). Je te l’expliquerai une prochaine fois car j’aimerai enfiler mes nouveaux habits, avant de t’accompagner au village.

- M’accompagner au village ? répondit Méline surprise par la déclaration du lutin.

- Il faut bien trouver la cause de la maladie, tu ne penses pas ? Et je possède un excellent flair !

Méline ne pouvait pas refuser l’aide du lutin des bois, surtout que le petit peuple la donnait que rarement aux humains.

Le lutin se dépêcha de revêtir ses habits dans un endroit sec, il trouva non loin du sentier un creux dans un arbre. Quelques minutes plus tard, il revint en sautillant.

- Alors petite, comment me trouves-tu ? demanda le lutin en défilant devant les yeux de Méline.

- Ça vous va comme un gant ! Elle avait cousu à la taille parfaite du lutin, et il avait l’air moins sauvage.

- Tu es vraiment douée ! Si mes compères me voyaient, ils tomberaient tous de jalousie.

- Merci ! En revanche, je ne veux pas être impolie, mais nous devons y aller. Je dois me rendre chez ma sœur sans plus tarder. Il faut absolument que je lui prépare son médicament avec les herbes qui sont dans mon sac. Méline était tellement préoccupée par sa sœur, qu’elle n’avait même pas relevé lorsque le lutin avait mentionné que d’autres êtres peuplaient les environs.

Le lutin des bois ouvrit la marche et Méline le suivit. Elle serra sa cape contre elle, le vent venait de faire son entrée et avec la pluie qui n’arrêtait pas de tomber, elle était frigorifiée. Ils atteignirent assez rapidement la lisière, la fumée qui s’échappa des habitations avait recouvert tout le village d’un voile blanc épais.

- Nous y voilà ! informa Méline en regardant le lutin.

- Il va falloir que je camouffle, marmonna l’esprit de la forêt en observant le village en contre-bas.

Méline n’eut même pas le temps de questionner le lutin que soudainement, il se transforma en un sublime petit oiseau, un rouge-gorge. Elle fut émerveillée par la magie du lutin, l’oiseau vola autour d’elle et prit place sur son épaule gauche.

- Prenez vos aises, je ne vous dirai rien, taquina Méline en laissant l’oiseau s’installer sur son épaule. Elle savait pourquoi le lutin avait changé de forme, il ne devait pas se faire voir par les habitants du village, déjà assez remontés contre lui. Il valait mieux pour lui de faire profil bas.

La place était toujours aussi vide et sans vie qu’hier. Le rouge-gorge quitta l’épaule de Méline pour aller se mettre sur l’épaule d’Arduinna, la magnifique déesse et chanta une petite sérénade.

Quand Méline voulut parler au rouge-gorge, une porte s’ouvrit d’une maison attenante à la place, et deux hommes en sortirent avec un brancard. Un corps sans vie y était allongé avec un drap blanc par-dessus. Le visage de Méline blêmit et le rouge-gorge se tut.

Félix était un des porteurs et fit un signe de tête à Méline, elle ne bougea pas. Quand ils tournèrent dans la rue menant au cimetière, elle chuchota au rouge-gorge : 'Je vous laisse faire votre enquête, et moi, je fais la mienne de mon côté', puis Méline quitta la place pour se rendre chez sa sœur. Le rouge-gorge décida de suivre les hommes, il était temps pour le lutin de commencer son investigation. Méline entra dans la maison et monta rejoindre Amélie. Elle était toujours alitée mais elle avait meilleure mine. Elle retira sa cape qui n’était plus qu’une loque humide et s’assit au côté de sa sœur.

- Comment vas-tu ce matin ? demanda Méline en touchant le front de sa sœur.

- Mieux, ton infusion m’a beaucoup soulagée. Il restait encore des herbes et Félix m’a préparé une tasse hier soir.

Méline observa sa sœur, les herbes avaient atténué les symptômes. Son teint était moins pâle et elle n’était plus fiévreuse. Amélie ne souffrait plus de crampes et n’avait plus vomi depuis.

- J’ai pris quelques herbes médicinales dans la remise dont de l’armoise. Je vais te préparer une autre infusion avec le lait de chèvre frais de ce matin, et j'ai également apporté du fenouil.

- Encore une recette de grand-mère Dana ?

- Oui, tu te souviens quand les villageois la traitaient de vieille sorcière ? Ils oubliaient vite que c’était grâce à ces remèdes qu’elle en avait sauvé plus d’un, répondit Méline avec une pointe de nostalgie. Grand-mère Dana était une grande femme avec une grande connaissance des plantes et malgré l’image de vieille sorcière qui lui collait à la peau, elle était respectée et ce même après sa mort.

- Je m’en souviens comme si c’était hier. Tu te rappelles des problèmes de peaux du vieux boucher ? Il avait de grosses croûtes sur son visage et ses avant-bras. Grand-mère lui avait donné une pommade qui sentait le vieux poisson et tout le village l’avait fui pendant des semaines car l’odeur avait pris du temps à partir.

Méline s’en souvenait, même si à cette époque elle n’était qu’une jeune enfant. Elle n’avait pas oublié l’odeur.

- Oui, il avait même râlé sur grand-mère car presque plus personne ne venait lui acheter de la viande mais malgré ça, il avait guéri et n’eut plus jamais de problème.

Les sœurs se remémorèrent ensemble les souvenirs de leur grand-mère et des miracles qu’elle avait pu produire auprès des villageois.

- Elle me manque, avoua Amélie. Quand je te regarde, j’ai l’impression de la voir à travers toi. Toujours au petit soin auprès des autres, sans rien demander en retour

- A moi aussi, répondit Méline en remettant une mèche derrière l’oreille de sa sœur.

- J’ai de la chance de t’avoir à mes côtés, ajouta Amélie. Méline la remercia d’un sourire et se leva.

- Je vais descendre préparer ton remède. As-tu déjà mangé quelque chose ?

- Oui, Felix a préparé du porridge, il en reste encore si tu veux manger un bout. Tu es aussi frêle qu’une tige de noisetier et avant de descendre, enfile mon gilet en laine, tu vas attraper froid, ajouta Amélie.

Méline enfila le gilet et descendit s’atteler à la cuisine. Elle mit sa cape à sécher devant le foyer de la maison et son ventre se mit à gargouiller. Elle n’avait rien mangé depuis hier soir.

Pour calmer sa faim, elle avala quelques bouchées de porridge froid et mit le lait à bouillir avec une belle poignée d’armoise séchée. Pendant qu’elle laissait la décoction mijoter à feu doux, elle essaya de comprendre, pourquoi sa sœur était tombée malade et non Félix. Son état s’était amélioré, certes, mais qu’est-ce qui avait changé ?

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