Chapitre 1: Navigant sur le Sable.
Un bateau solitaire fend l'océan aride, ses voiles grinces sous un soleil implacable. La mer de sable blanc s'étend à perte de vue, chaque grain reflétant la lumière dans une danse aveuglante. Le bâtiment vogue en direction d'un horizon flou, vers une oasis paradisiaque au cœur d'un désert brûlant.
À son bord, un jeune homme à la mine sombre lutte contre la chaleur écrasante et ses pensées tourmentées. Ses vêtements légers sont trempés de sueur, collant à sa peau tandis qu'il ressasse ses problèmes. Pourtant, même ces tourments semblent dérisoires face à son ennui.
— J'ai chaud, soif, et je m'emmerde ! Capitaine, on arrive bientôt ? Ça fait deux jours qu'on navigue sur ces sables d'ivoire !
Le capitaine, un homme trapu à la barbe grisonnante, laisse échapper un rire rauque.
— Whahahaha, bientôt, jeune homme, bientôt. Mais vous auriez quand même pu me donner votre nom depuis le temps. Après tout, vous vous êtes introduit à bord comme un voleur.
Le jeune homme hausse les épaules, l'air blasé.
— Bien sûr ! Après tout, donner mon nom à un marin bavard serait une excellente idée pour me faire retrouver.
— Vous êtes recherché pour quelle raison ?
— Je ne le sais pas vraiment moi-même. Et quand bien même je le saurais, je ne vous le dirais pas.
Il tourne la tête, évitant le regard du capitaine.
Le vieux marin, bienveillant malgré l'impassibilité du garçon, hoche la tête, un sourire amusé aux lèvres.
— Allons, ne faites pas cette tête, gamin. On a tous été perdus, un jour ou l'autre. Hahaha.
Un long soupir s'échappe du jeune homme avant qu'il ne se décide à parler.
— Etsuke Okaena, c'est ainsi que je me nomme.
— Eh bien, ça progresse. Et si vous me racontiez ce qui vous a poussé à vous introduire sur mon navire, je pourrais peut-être oublier votre présence ici.
— D'accord, si ça me permet d'acheter votre silence autrement qu'avec une quelconque monnaie.
Etsuke croisa les bras et commença à raconter d'un ton plus grave.
— C'était la nuit, dans la capitale de l'archipel de Bonasiero...
Le capitaine l'interrompit avec un clin d'œil.
— Portasas, hein ? Son quartier nocturne regorge de jeunes donzelles aussi affriolantes que des sirènes. Plus jeune, je m'y amusais comme un fou. Maintenant, je n'y vais plus que pour l'alcool bon marché.
— Vous pouvez la boucler ? répliqua Etsuke, exaspéré.
Le capitaine leva les mains en signe d'excuse, un sourire en coin.
— Navré, continuez.
Etsuke reprit, plus posé.
— J'étais à Portasas pour me reposer, m'éloigner de mes soucis. Cette nuit-là, je flânais sur les quais après avoir bu dans une taverne. Je me laissais guider par les bruits nocturnes, jusqu'à ce que j'entende du grabuge. Une troupe d'hommes encapuchonnés interrogeait les passants avec insistance. En tendant l'oreille, j'ai compris qu'ils cherchaient un jeune homme tenant une lance, vêtu de cuir et d'argent, avec un tissu bleu autour de la taille et du cou.
Il fit une pause, une lueur ironique dans les yeux.
— Une magnifique et littérale description de ma personne. J'ai cherché à me cacher et suis monté à bord d'un bateau. Le hasard a voulu que ce soit le vôtre.
Le capitaine écoute attentivement, hochant la tête.
— Quand le jour s'est levé, je suis sorti de la cale et vous m'avez repéré. Je vous ai demandé de me conduire plus au nord, hors de l'archipel, dans ce désert au-delà de l'océan. Vous avez accepté contre une bouteille de liqueur, sans poser de questions.
— Et nous voilà ici, en plein après-midi, la lumière du soleil se réfléchissant sur le sable blanc me brûlant la rétine, avec l'ennui comme seule distraction... et ça m'emmerde !
— J'ai dû être encore un peu pompette pour accepter si facilement. Dites-moi, par curiosité... vous êtes bien un Anélien, n'est-ce pas ?
Etsuke le fixe un instant avant de répondre.
— Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?
— Vos oreilles... et votre queue de canidé.
Etsuke esquisse un sourire amusé.
— Perspicace, le marin ! Je suis un Anélien des Plaines, pour être exact. Et comme je suis un homme, j'ai des attributs de loup.
— Il y a longtemps, un de mes matelots était un de vos semblables... enfin, de la même espèce, mais une race différente. Une vrai vipère, qui se battait comme une démone. Sans elle, je n'aurais pas vécu aussi longtemps.
— Vous parlez souvent de vos conquêtes amoureuses à tout le monde ? répondit Etsuke, sarcastique.
— Whahaha, certainement pas ! Et puis, je n'aurais jamais eu ma chance avec elle. C'est juste que vous avez quelque chose d'elle. Une froideur apparente, mais une fougue indomptable dans le regard.
Etsuke détourne le regard vers l'horizon avant de poser une question plus sérieuse.
— Vous pensez qu'on arrive bientôt ?
— Si mes souvenirs sont bons, on ne devrait plus tarder. Soyez patient.
Le jeune homme s’avance vers le bord du bateau, scrutant les alentours. Soudain, quelque chose attire son attention.
— Capitaine, à tribord… vous voyez ça ?
— Quoi donc ?
— Un nuage de sable… qui bouge.
Le capitaine se fige. Son visage jovial se durcit aussitôt. Il tire violemment sur la barre, faisant virer le bateau tandis qu’Etsuke trébuche sur le pont.
— Qu’est-ce que vous faites ?! crie Etsuke.
— J’essaie de nous sauver !
— De quoi, exactement ?
— Ce nuage de sable n’est pas naturel. Une créature le crée en se déplaçant. Elle a sûrement été attirée par la baleine sableuse qui tire le navire.
Le nuage s’approche à une vitesse effrayante. Il tourbillonne, gonfle et engloutit la lumière du soleil en s'élevant dans le ciel. Le sable gronde, sous la coque, comme une mer en colère.
— Vous avez déjà vu ça ? demande Etsuke paniqué.
— Et pardi, oui ! C’est un Dandranmil. Une abomination. Une vouivre de sable ayant l' aspect d’une baleine titanesque. Sous le sable, il est invincible. Et quand il surgit… il est souvent trop tard. Il peut planer grâce à ses nageoires démesurées, larges comme des ailes de dragon. Et sa gueule… elle pourrait avaler ce navire en un seul coup.
Le bois craque sous les secousses. Le vent se lève brusquement. Des grains piquent la peau comme des aiguilles.
Etsuke disparaît dans la cale, fouille frénétiquement, puis remonte à la proue, haletant.
— Que comptes-tu faire avec ça, jeunot ?
— Mon possible pour nous sauver.
Il lève un tube en bois gravé d’une étoile bleue, tire sur un cordon. Une détonation sèche. Un épais panache de fumée bleue monte dans le ciel.
— Bonne idée, mais ça ne suffira peut-être pas ! crie le capitaine.
Le nuage n’est plus qu’à quelques mètres. Soudain, une immense bosse fend la mer de sable, soulevant la cette dernière créant une vague. Le sol explose. La créature surgit.
Elle est titanesque. Son corps serpentin brille d’écailles rêches et pâles. Des nageoires membraneuses battent l’air, pareilles à des ailes déchirées. Une gueule béante se déploie, hérissée de crocs longs et fins comme des milliers d'aiguilles. Son cri, grave et atroce, fait vibrer le mât. Son ombre avale le pont entier.
— Non d’une tempête… on est fichus… murmure le capitaine, retirant son tricorne, comme pour saluer la mort.
— Pas tant que je serais en vie! réplique Etsuke.
Dans un geste aussi fou qu’audacieux, il bondit. Sa lance brille d’un éclat tranchant. Il la plante sous la mâchoire du Dandranmil. Un hurlement déchire les cieux. Le monstre retombe lourdement, projetant un souffle de sable brûlant.
Etsuke profite du choc pour se propulser en arrière et regagne le pont d’un roulé désespéré.
— Rien de cassé, jeune homme ?
— Ça va… mais j’ai fais gagné que peu de temps.
Un son puissant retentit, puis une explosion éclate près du bateau. La créature est frappée par un projectile.
Le capitaine vire de bord. Etsuke grimpe au mât et aperçoit trois navires qui foncent vers le monstre. Ils se mettent à l'encercler, tirant à tour de rôle. À chaque détonation, un immense nuage de sable s'élève.
— Je pense qu'on n'a plus à s'inquiéter, capitaine. Notre ami le poisson géant est entre de bonnes mains.
— Content de l'entendre... mais ne traînons pas. Cap sur la terre ferme !
— Vous pensez qu'on y arrivera bientôt malgré le détour ?
— Encore mieux : nous y sommes presque. Préparez-vous, jeunot. Voici l'Oasis du Désert d'Ivoire, la ville aux cent dômes de verre : Ghalsah est droit devant.
— Une connaissance m'a appris que cette ville portait un autre nom, avant de posséder autant de serres.
— Lequel ?
— La Ville Taillée.
— Pourquoi donc ce nom ? Vous avez éveillé ma curiosité. Racontez-moi, avant que nous ne débarquions.
— À l'origine, ce n'était qu'un titanesque rocher, posé en plein désert. Des voyageurs y ont taillé des abris pour se protéger des tempêtes de sable. Avec le temps, l'endroit est devenu un relais, puis une ville. Aujourd'hui, c'est une articulation vitale de cette région du continent.
— C'est une belle anecdote. Puis-je vous demander ce que vous comptez faire, une fois arrivé ?
— Chercher de l'aide auprès d'une connaissance.
— Si vous aviez eu le temps, je vous aurais bien proposé d'aller boire un verre... mais bon, tant pis.
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