Chapitre 4: Persécuté par ses songes.
Dans l'obscurité dense d'une épaisse forêt, deux jeunes hommes, lourdement équipés, avancent avec prudence, scrutant chaque arbre, rocher et touffe d'herbe sur leur chemin. Leur attitude décontractée laisse toutefois penser qu'ils se promènent plus qu'ils ne mènent une mission de reconnaissance.
— Une mission de reconnaissance dans des terres sauvages... « grommela Etsuke, légèrement agacé. » Tu n'aurais pas pu choisir quelque chose de plus excitant, Ahketaka ?
— Allons, fais pas la tête ! Ce n'est pas tous les jours que des novices ont l'occasion de venir ici. Regarde, ces terres sauvages sont magnifiques.
Etsuke jeta un coup d'œil autour de lui, malgré son humeur.
— C'est vrai que la forêt des Obscurcies a son charme... En plein jour, la seule source de lumière, ce sont ces plantes et insectes bioluminescents.
— Tu vois, tu commences à apprécier, répondit Ahketaka avec un sourire.
— Ouais, c'est apaisant. Maintenant que j'y pense, tu ne m'as rien dit sur la mission. Quel est exactement notre objectif ?
— Récemment, la faune de cette région a adopté un comportement inhabituel. Personne n'est assez fou pour vivre dans ces terres, mais lorsque certaines créatures en sortent, elles causent souvent de gros dégâts aux villages voisins.
— Donc, notre mission, c'est d'enquêter sur la faune ?
— En gros, oui. Mais on ne sait jamais vraiment ce sur quoi on va tomber.
Les deux jeunes hommes continuent de s'enfoncer dans la forêt. L'air devient plus humide et plus frais, leur donnant des frissons. L'obscurité s'intensifie tandis qu'ils atteignent l'aurée d'une nouvelle zone des bois des Obscurcies. Ahketaka plante son bâton dans le sol meuble et s'arrête.
— On devrait faire une pause. D'après la carte, on arrive à la fin du bosquet extérieur. La prochaine zone pourrait être vraiment dangereuse, alors autant se reposer un peu.
— Reposer ? Ici, à même le sol et sans protection ? Si un Garmat débarque, on risque de finir en morceaux dans notre sommeil.
— Ne t'inquiète pas, je vais installer des hamacs dans les arbres. Et ne me dis pas que tu ne pourras pas les atteindre ; tu es un Anélien, tu sais sauter haut, je le sais, nous le savons tous.
— C'est bon, j'ai compris. Allez ! Monte et attache les hamacs.
Etsuke plie les jambes et bondit, prenant appui sur un arbre, puis un autre, jusqu'à atteindre le hamac suspendu par Ahketaka.
— Tu vois, on est bien ici, dit Ahketaka en s'allongeant dans son hamac, tout en nettoyant les plumes de ses bras.
— Ouais, pas mal, concéda Etsuke.
Les deux jeunes hommes, bercés par les bruits apaisants de la forêt, finissent par s'endormir, malgré leur connaissance des dangers des terres sauvages. Après quelques heures, Etsuke est réveillé par un bruit étrange. En ouvrant les yeux, il aperçoit brièvement une silhouette humaine, suspendue horizontalement à l'arbre où est attaché le hamac de son ami, observant Ahketaka pendant son sommeil. La silhouette s'évapore presque instantanément. Légèrement paniqué, Etsuke secoue Ahketaka pour le réveiller.
— Ahketaka, réveille-toi !
Ahketaka, surpris, tombe du hamac mais parvient à se stabiliser en l'air avant de toucher le sol.
— Non mais ça va pas ! Pourquoi tu me réveilles comme ça ?
— Il s'est passé quelque chose de bizarre...
— Je m'en fous. Quand tu fais des trucs étranges pendant ton sommeil, je ne te réveille pas en hurlant alors que tu dors à quinze mètres de haut.
Etsuke descend avec agilité des arbres et rejoint son ami au sol. Il raconte ce qu'il a vu, mais Ahketaka, toujours en colère d'avoir été réveillé brutalement, ne le prend pas au sérieux. Il pense qu'Etsuke a dû halluciner ou confondre l'ombre d'un arbre avec une silhouette humaine.
— Depuis quand as-tu des cheveux blancs avec une pointe rose ? demanda Etsuke, intrigué en voyant un long cheveu sur l'épaule d'Ahketaka.
— De quoi tu parles ?
Etsuke tend le cheveu à Ahketaka.
— Ça appartient probablement à une femme, vu l'odeur et la longueur.
— OK, tu as trouvé un cheveu blanc sur moi, et alors ? Ça ne prouve rien, il pourrait appartenir à n'importe qui.
— Je te jure que j'ai vu quelque chose.
— On ne va pas y passer la mission entière. Maintenant qu'on est réveillés, continuons.
Après ce contretemps, les deux jeunes hommes poursuivent leur expédition, pénétrant dans la seconde zone des bois des Obscurcies, la forêt de pins phosphorescents. Cette partie des bois est principalement peuplée de pins qui sécrètent une sève turquoise bioluminescente, source de nourriture principale pour les nombreux insectes de la région.
— C'est étrange, murmure Etsuke.
— Quoi donc ?
— Selon le compendium, cette zone devrait être envahie d'insectes... Mais il n'y en a aucun.
Un sifflement aigu se fait entendre au loin, suivi d'un vent puissant qui balaye soudainement la forêt, pourtant si dense qu'aucun vent n'y pénètre normalement. Les deux jeunes hommes peinent à rester debout et se réfugient derrière les arbres, qui craquent sous la force du vent. Puis, le calme revient aussi soudainement qu'il avait disparu.
— Ça fait trois phénomènes étranges, dit Etsuke en se redressant, perplexe.
— Ne dis pas n'importe quoi. Je vais voler au-dessus des arbres pour voir s'il n'y a pas une tempête qui se dirige vers nous.
— Fais attention à ne pas te laisser emporter par le vent s'il se remet à souffler.
Ahketaka s'élance avec agilité, ses plumes l'aidant à prendre de l'altitude rapidement. À peine a-t-il franchi la cime des arbres qu'il aperçoit une silhouette noire, vaporeuse, qui le fixe. Elle disparaît aussitôt qu'un vent violent le projette vers le sol. Ahketaka dégringole, arrachant des branches dans sa chute. Etsuke bondit pour le rattraper, amortissant sa chute et évitant le pire. Ils atterrissent lourdement, mais sans blessures sérieuses.
— Ça va ? Rien de cassé ?
— T'inquiète, tu fais un excellent coussin d'amortissement.
— Qu'est-ce qui t'a fait tomber ?
— Une bourrasque.
— Pourtant, je n'ai rien ressenti ici en bas.
Ahketaka se rappelle de la silhouette, mais préfère ne rien dire pour ne pas admettre qu'il pourrait avoir subi la même hallucination qu'il avait reprochée à Etsuke.
— Continuons. Je te rappelle qu'on doit trouver pourquoi la faune locale agit de manière étrange.
— Peut-être qu'il y a un lien entre la disparition des insectes de cette zone et le comportement de la faune ? propose Etsuke.
— C'est une piste intéressante. Beaucoup d'espèces ici sont insectivores, mais...
— Mais la plupart des créatures qui attaquent les villages sont des carnivores très territoriaux. Ça ne colle pas, si ?
— Pas nécessairement. Si les insectes ont disparu, les espèces qui en dépendent ont dû se disperser, empiétant sur les territoires des carnivores. Peut-être qu'elles se sont faites dévorer, et avec la diminution des proies, les carnivores ont dû quitter leur territoire pour trouver de la nourriture, ce qui les a poussés à s'approcher des villages.
Ahketaka, impressionné, reste silencieux un moment. Il connaît bien Etsuke et sait qu'il est un enquêteur doué. Ne pas avoir pensé à cette hypothèse lui fait grincer des dents.
— Parfois, je me dis que j'ai vraiment un cerveau de moineau. Ton raisonnement tient la route.
— Si on veut en apprendre plus, il faut se rendre au centre des bois, là où les prédateurs sont les plus nombreux.
— Ça pourrait être dangereux.
— On ne risque pas grand-chose, arrête de dramatiser.
— Une trop grande confiance est un poison pour l'esprit.
— Pourquoi tu me ressors une phrase de mon maître, là ?
— Je ne sais pas, ça m'a semblé être le bon moment.
Les deux explorateurs de la G.U.I.L.D se dirigent vers le cœur du bois des Obscurcies, cherchant des preuves pour valider l'hypothèse d'Etsuke et pouvoir faire leur rapport de mission au QG. Pendant une nuit et un jour, ils avancent avec prudence dans ce paysage sombre, à la fois magnifique et inquiétant. Finalement, ils atteignent ce qui semble être le centre géographique des bois, mais un mauvais pressentiment les assaille.
— Hey ! Regarde là-bas, c'est super lumineux, non ?
Ahketaka baisse les yeux vers le sol.
— Cette végétation semble malade, observe-t-il.
— Continuons, il se passe vraiment quelque chose d'étrange.
Les deux jeunes hommes émergent des bois pour découvrir une vaste clairière au centre de laquelle se dresse un arbre mort, immense et décharné, couvert de veines noires. Autour de lui, des feuilles blanches et sèches jonchent un sol aride, sans la moindre trace de végétation.
— C'est immense ! s'exclame Ahketaka en observant l'arbre qui semble presque toucher le ciel.
— On dirait une montagne de racines et de branches dénudées... murmure Etsuke. Il n'y est pas censé y avoir de clairière dans ces bois.
— Allons voir de plus près, dit Ahketaka, visiblement intrigué.
— Attends, Etsuke ! Tu as entendu ?
— Oui, ça venait du sommet des arbres !
Un vent se lève soudainement, et un sifflement aigu perce l'air. Ahketaka lève les yeux juste à temps pour voir un objet sombre foncer à toute vitesse dans leur direction.
— À couvert ! hurle Ahketaka en attrapant Etsuke par le bras.
Les deux jeunes hommes se jettent au sol tandis que l'objet s'écrase avec fracas, soulevant un épais nuage de poussière et projetant des éclats de roche tout autour d'eux.
— C'était quoi ce truc ? crie Etsuke en se relevant, légèrement sonné.
— Regarde-moi ce cratère... On dirait qu'il y a quelque chose au centre, dit Ahketaka en s'approchant prudemment. Viens voir, c'est une épée, mais elle est enfoncée trop profondément, je n'arrive pas à la retirer.
— Fais attention... attend, j'entends encore un bruit... ATTENTION, AHKETAKA !
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