Chapitre 10:Dans les profondeurs du désert.

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Cela fait maintenant plusieurs minutes qu’Ashrilm et Etsuke avancent dans la galerie qu’ils ont choisie. Aucun bruit, aucun signe de vie, sinon l’écho étouffé de leurs pas sur la roche. La lumière qui les guidait un peu plus tôt a disparu. Seules leurs lanternes à éthéline projettent une clarté bleutée, presque spectrale, sur les murs irréguliers.

Leur progression se fait lente, pesante. Plus ils s’enfoncent, plus le froid se voit, remplacé par une chaleur sèche, presque artificielle comme si cet endroit ne respirait plus selon les lois du monde extérieur. La lumière vacillante des lanternes à éthéline semble rester sur place, une traînée lumineuse qui s’estompe lentement derrière eux.

Ashrilm accélère le pas, décidé à ne pas perdre davantage de temps dans ce couloir qui semble s’étirer sans fin. Etsuke le suit, son souffle régulier, concentré. Mais rapidement, un étrange constat s’impose à eux : même en courant, leur progression reste lente, presque stagnante. Les murs paraissent se distendre, les perspectives se floutent à la périphérie de leur vision. Ce n’est pas une illusion que quelque chose d'étrange se produit ici.

Etsuke observe avec un intérêt presque enfantin cette anomalie invisible. Il jette un coup d’œil autour de lui, fasciné par ce phénomène qui défie la logique.

— On dirait que le monde ne veut pas qu’on aille dans cette direction, murmure-t-il, un demi-sourire sur les lèvres.

Ashrilm ne répond pas tout de suite. Il se contente de garder le regard droit devant lui, les sens aux aguets, comme si l’air lui-même lui chuchotait un avertissement.
Il ralentit soudainement, il ressent un changement, ce n’est pas un bruit qui l’alerte, mais une sensation ténue, presque imperceptible : une variation dans l’éclairage. Il tend la main, arrête Etsuke d’un geste.

— On arrive sur quelque chose d'intéressant, restons sur nos gardes..

La lumière des lanternes d’éthéline, jusque-là seule à danser sur les murs, se mêle désormais à une lueur plus chaude, plus vivante. Une présence dorée filtre au loin, comme celle de bougies. Elle ne vacille pas, ne tremble pas. Elle attend.

Ils s’avancent prudemment, et bientôt, une forme se dessine à travers la pénombre : un rideau blanc, tendu comme un voile immobile. les lumière des lanternes et des bougies s'entremêlent et la galerie se teinte d’un turquoise éthéré, presque irréel.
Ashrilm approche doucement et effleure le rideau du bout des doigts. Il ne bouge pas, comme suspendu dans une autre réalité. Il le pousse de côté.

La pièce qu’ils découvrent est petite, mais méticuleusement aménagée. Les murs sont proches, couverts de roches sombres, mais l’espace est organisé : un bureau en pierre gravée trône au centre, flanqué de deux bibliothèques elles aussi faites de roches, pleines de volumes anciens, de carnets, de rouleaux. Sur le mur du fond, des cartes, des plans, des croquis épinglés et reliés par de fines ficelles tracent un réseau de connexions complexes.

Ashrilm ne dit rien. Il scrute les lieux avec attention. Son regard suit les traces de pas à peine visibles dans la poussière, les marques circulaires au sol autour du bureau, les bougies allumées disposées avec soin. Aucune n’est à moitié consumée. Leur cire est fraîche. L’air n’a pas l’odeur du renfermé, mais celle de la cire chaude et du parchemin manipulé.

— Quelqu’un vient ici… régulièrement, murmure-t-il.

Etsuke, de son côté, observe les détails avec une curiosité brillante. Il approche d’un carnet entrouvert, effleure une page du bout des doigts sans oser la tourner.

— On dirait qu’ils étaient sur le point de revenir, ou qu’ils ne sont pas vraiment partis.

Son collègue hoche lentement la tête. Il y a autre chose, un poids silencieux dans l’air. Ce n’est pas simplement un lieu de travail. C’est un poste d’observation dressé au fin fond de la mine.

Etsuke s'approche lentement du mur où les cartes sont suspendues. À mesure qu’il s’en approche, une intuition glaciale lui parcourt l'échine. Ce sont des cartes du millénaires perdues. Il le reconnaît au moindre détail, aux tracés soignés mais incomplets, aux symboles dont l’interprétation semble échapper à la logique moderne. Ces cartes devraient être en piteux état, fragments déchirés du passé. Pourtant, celles-ci sont intactes, presque neuves, comme si le temps n’avait pas prise sur elles. Son regard s’accroche aux détails fins des tracés, cherchant un indice, un éclaircissement. C’est une scène d’une époque révolue, mais vivante dans ces documents et parfaitement capturée dans le papier.

Il se détourne des cartes, frémissant d’une étrange sensation. Ses yeux glissent vers les bibliothèques, et il se lance dans une fouille minutieuse, parcourant les étagères. Les livres qu’il découvre sont tout aussi surprenants. Certains paraissent aussi anciens que les cartes, mais ils sont étonnamment bien conservés, les pages presque intactes. D'autres sont reliés de manière étrange, comme si l’on avait pris grand soin de les maintenir en vie. Etsuke frôle une couverture poussiéreuse, mais sans la moindre usure, ses doigts hésitant entre l’étonnement et la crainte. Des livres d'anciens, des savoirs oublier, arracher par le temps et les grands cataclysme.
"Qui donc travaille ici ?", se demande-t-il à voix basse, son souffle se mêlant à l’air sec de la pièce. Il sait que ces traces sont celles d’un individu d'une incroyable expertise, ou d’une obsession dévorante.

Son regard se fixe sur la table au centre, sur un journal en particulier. Il s'approche, un brin de curiosité piquant son esprit. La couverture est en cuir usé, mais la page qu’il feuillette rapidement est d'une clarté presque perturbante. Ce n’est pas une simple chronique. C’est un journal de bord, un témoignage brut des explorations menées ici. Mais au fur et à mesure qu’il lit, il fronce les sourcils. Plutôt que des découvertes grandioses ou des récits éclairants, il trouve des plaintes, des jurons, des désillusions : "Rien ici. Toujours rien.", "Comment suis-je censé avancer dans un endroit qui refuse de se révéler ?", "Ce n’est qu’une illusion de plus." Le journal semble saturé de frustration, une voix résonnant contre un espoir vain. Ce n’est pas simplement une chronique de recherches, c’est un cri désespéré.

— Ça ne colle pas... murmure Etsuke, ses yeux parcourant à nouveau les pages.
— Qu'as-tu trouvé ?
— Un journal de bord. Mais je ne comprend pas avec tout ce savoir la personne qui travaille ici n’a rien découvert ? Je ne peux pas y croire.

Tandis qu’Etsuke referme le journal d’un geste lent, comme s’il redoutait de rompre le silence pesant de la pièce, Ashrilm, resté jusque-là en retrait, s’approche de la grande table. Il l’observe un instant sans rien dire, puis commence à écarter les documents épars avec une méthode presque instinctive. Sa main s'arrête sur un tas de papiers chiffonnés.

— Hm… des lettres froissées.

Il en lit quelques-unes, son regard s’assombrissant au fil des phrases. Son silence intrigue Etsuke, qui s’approche à son tour.

— Regarde ça, murmure Ashrilm, tendant un feuillet plus épais. C’est un acte officiel, orné du sceau en relief de Ghalsah. L'écriture y est élégante, mais ferme.

Etsuke lit à voix haute :

-“Cession de propriété minière, accordée par décret personnel de l’Émir de Ghalsah, Omhad Khalef, au bénéficiaire désigné sous le nom du Loup Masqué”

Ashrilm n’en croit pas ses oreilles.

— L’Émir ? Il a vendu cette mine ? À un... pseudonyme ?

Etsuke hoche lentement la tête.

— Et regarde la signature, là, dans le coin. "O.K.A." Ce sont les mêmes initiales que sur la lettre que j’ai prise sur le corps d’un des hommes qui détenaient Helga.

Ashrilm repose les documents, l’esprit en ébullition. Tout cela dépasse de loin la simple découverte. Il y a là de quoi faire éclater une vérité bien plus vaste : un haut dirigeant de Ghalsah mêlé à une transaction secrète avec un acheteur masqué, au sens propre comme au figuré.

Il reprend sa lecture. Les lettres sont soigneusement datées, certaines encore scellées. Des correspondances continues, parfois froides et commerciales, d'autres teintées d’un respect.
Elles évoquent la valeur d’une mine épuisée depuis longtemps, sans intérêt minier apparent.

— L’endroit n’a donc plus aucune valeur. Pourquoi l’acheter ? se demande Ashrilm à voix haute.

— Pour y installer le marché noir, non ? propose Etsuke.

— Réfléchis un peu. Tu crois vraiment que la personne qui mène ces recherches est aussi celle qui gère un réseau de vente d’enfants ?

Etsuke reste un instant muet, puis admet :

— Maintenant que tu le dis… ça n’a pas de sens.

Ashrilm reprend ses recherches. Il inspecte les murs, contourne le mobilier, puis s’arrête net devant l’une des bibliothèques. Quelque chose cloche. Il aperçoit un jour étroit entre la massive structure de pierre et le mur. Il plisse les yeux, puis se baisse. Sur le sol en grès, des marques de raclage trahissent un déplacement répété.

— Il y a un passage derrière, murmure-t-il en se redressant. Probablement un accès dissimulé.

Il tire de toutes ses forces sur la bibliothèque. Elle résiste d’abord, puis cède lentement, révélant une maigre ouverture donnant sur un couloir magnifiquement orné et sculpté. Un courant d’air glacial s’en échappe, soulevant un peu la poussière ambiante.

Pendant ce temps, Etsuke parcourt les rayons de la bibliothèque voisine. Il feuillette divers ouvrages, s’arrête sur quelques pages annotées, puis examine de vieilles cartes.

— Tu fais quoi, là ? demande Ashrilm en se retournant.

— Je me documente, répond Etsuke avec le plus grand sérieux, tout en glissant plusieurs livres dans son sac de voyage.

Il décroche ensuite une carte accrochée au mur et la range avec soin.

— C’est du vol, ça.
— Non, c’est de la préservation d’un savoir perdu. Et puis… J’en profite pour faire l’inventaire de la bibliothèque.

Ashrilm lève les yeux au ciel, sans répondre. Un petit sourire fugace passe sur ses lèvres.

— Tu comptes ramener la bibliothèque entière tant qu’on y est ?
— Seulement les indispensables.
— Oui, sûrement vital pour notre mission…
— On ne sait jamais, glisse Etsuke en haussant les épaules.

Ashrilm soupire, puis se tourne de nouveau vers l’ouverture.

— Allez. On verra si ton savoir nous aideras là-dedans.

Ils s’enfoncent dans le passage. Le mystère recommence à densifié.

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