Chapitre 11: Une histoire antique.

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L’air change encore dès qu’ils franchissent le seuil étroit. Toujours plus sec, plus étrange, plus pur, comme filtré par les siècles. Le courant d’air devient plus profond encore, oscillant entre brûlant et glacial. Ashrilm passe le premier. Etsuke lui emboîte le pas, les yeux déjà happés par les parois.
Le couloir est étroit, taillé à même la roche, mais ce n’est pas ce qui les frappe. Sur chaque flanc, des gravures couvrent la pierre, s’étirant sur toute la longueur visible du passage. Des motifs minutieux, élégants, parfois hélas à demi effacés, mais dans l’ensemble étonnamment nets malgré l'obscurité. L’éclairage diffus de leurs lanternes glisse sur les reliefs, révélant peu à peu une fresque continue, ininterrompue.
Etsuke s’arrête. Son souffle se suspend. Il effleure la surface d’une paroi, lentement, du bout des doigts, comme pour s’assurer qu’il ne rêve pas. Il ne dit rien, mais dans son regard, Ashrilm perçoit quelque chose. Une lueur rare. De la surprise… non, plus profond encore. Une étincelle, une joie immense, comme s’il venait de trouver quelque chose dont il rêvait.
— Tu sais ce que c’est, murmure Ashrilm.
Etsuke ne répond pas. Il reste là, debout, immobile, absorbé. Le regard fixé sur les lignes anciennes, le visage éclairé par les reflets tremblants de la lanterne. Il a l’air ailleurs. Comme s’il écoutait une voix que lui seul pouvait entendre.
Le couloir continue devant eux, presque organique dans sa structure, comme sculpté non par des outils mais par la volonté d’un artiste de génie. Le sol est couvert d’une fine couche de sable gris que leurs pas dérangent à peine.
Ashrilm ne dit rien de plus. Il avance lentement, respectueusement, comme dans un sanctuaire. Derrière lui, Etsuke suit, à demi hypnotisé, les yeux toujours rivés aux gravures. Il inspire profondément, puis se tourne vers son ami.

— Tu te souviens quand j’ai contesté la direction de la G.U.I.L.D ? Quand ils m’ont fait comprendre que mes théories et découvertes étaient tout sauf plausibles, que je voulais juste imposer une vision déformée des connaissances de la Grande Archiviste ?
— Bien sûr. Tu ne voulais pas lâcher le morceau. Tu es un excellent archéologue, un grand savant du millénaire perdu, mais tu t’opposais à la plus grande experte de ce monde sur ces sujets. Tu l’as tellement mal pris que tu as demandé à redevenir un simple explorateur, pour fuir ton rôle d’archéologue en chef.
Etsuke lui lance un regard à la fois mesquin et orgueilleux.
— J’ai la preuve que j’avais raison.
— Où ça ? demande Ashrilm.
— Tout autour de nous.
Il sort de son sac un objet en forme de cube, gravé de symboles, rappelant le style de la fresque au mur.
— Oh non, tu ne vas pas recommencer… Je t’en prie, on a une mission à remplir. Ce n’est pas le moment pour tes expériences.
— Tu doutes de moi ? Regarde ta montre. Je suis sûr que tu n’as même pas remarqué.

Ashrilm baisse les yeux. Ce qu’il voit le fige. L’aiguille des minutes tourne à l’envers. Celle des secondes est immobile.
Il essaie de relativiser.

— Elle est sûrement déréglée… enfin, plutôt cassée, vu son état.
— Et nos lanternes, tu ne remarques pas qu’elles laissent des traînées lumineuses qui s’estompent lentement ? Et toutes les perturbations que l’on a pu expérimenter, dans la galerie avant d’atteindre la salle derrière nous ?
— C’est vrai, tout ça est étrange… mais il y a sûrement des explications logiques.
— La mienne en est une. Mais comme à l’époque, tu préfères croire que je divague.

Un silence tendu s’installe. L’atmosphère se charge. Ashrilm sent la colère de son ami monter, ses oreilles se dresser sur sa tête. Il sait que l’égo de son ami est toujours affecté par ce vieux conflit, il sait qu’ils vont perdre un temps précieux et peut-être bien plus, si cela continue trop longtemps.
Il soupire, ferme un instant les yeux, puis déclare, d’un ton plus posé.

— Très bien. Je t’écoute. Qu’est-ce que tu as trouvé ici que tu n’avais pas la dernière fois ?

Etsuke commence à manipuler le cube. Un cliquetis mécanique résonne, presque perturbant dans le couloir, comme un écho venant de l'au-delà. Une ligne de séparation se dessine à la surface du cube, pourtant gravé d’un seul bloc. Une dernière pression et un léger glissement subtil, et le cube s’ouvre. La partie supérieure se détache doucement, puis lévite au-dessus de la base, parfaitement alignée, comme suspendue par une force invisible.
Ashrilm reste bouche bée devant le spectacle. Aucun mot ne lui vient.
— Alors ? T’en penses quoi ? dit Etsuke, un sourire fier aux lèvres.
— Je… je ne sais pas quoi dire.

Sans attendre, Etsuke plonge la main dans le cube. Sa main s’enfonce bien plus profondément qu’elle ne le devrait. Ashrilm fronce les sourcils, l’intérieur semble défier les lois de l’espace. Etsuke en ressort un parchemin.
Il le déroule avec précaution. Sur le rouleau, un texte dans une langue cryptique et une fresque, extrêmement complexe, similaire à celles qui les entourent.

— Je ne sais toujours pas dans quel langage c’est écrit, dit-il à voix basse. Mais la fresque… la fresque, je viens enfin de la comprendre.

Etsuke revient lentement au début du couloir.
— Regarde bien. Sur la première fresque, on voit une sphère. En son centre, ce qui ressemble à une graine, et autour, trois étoiles à quatre branches qui gravitent. Puis regarde la suite, elles semblent tourner, dans un mouvement circulaire. La graine germe, prend racine, et la fresque s’arrête là.
Ashrilm suit du regard, silencieux.

— La deuxième fresque reprend la même sphère, mais cette fois, elle est enserrée par les racines d’un arbre qui en émane. Deux des étoiles ont disparu… non, elles semblent avoir pénétré dans l’arbre si on regarde de plus près. Et là, tu vois ? Une porte apparaît, sculptée dans le tronc.
— Une histoire ? souffle Ashrilm, sceptique.
— Je crois que cette fresque raconte l’origine de ce que j’ai théorisé, il y a longtemps.
— Tu veux dire… cette fameuse théorie que tu disais tenir d’un mythe oublié ? Tu penses sincèrement que cette sculpture murale illustre exactement ce que tu as cru découvrir dans ces ruines, il y a plus de dix ans ?
— J’ai découvert le cube et une fresque, oui. Mais ma théorie, je l’ai bâtie sur des dizaines de sites, sur les textes que la G.U.I.L.D garde au fin fond des archives. Ce lieu est la dernière pièce qui me manque. Attends. Attends, ce n’est pas fini, regarde la suite.

Ils avancent le long du mur.

— Sur la troisième fresque, on voit huit petits cercles gravés au centre de la porte. Puis, si on continue, la porte est vide… mais qu’est-ce qui entoure la grande sphère maintenant ?

Ashrilm s’approche, plisse les yeux.

— Huit formes. Vaguement humaines. Elles se tiennent la main, comme une ronde autour de l’arbre.
— Exact, dit Etsuke avec intensité. Et maintenant, viens voir de l’autre côté.

Il traverse le couloir, retourne au tout début de l’autre mur.

— Ici, deux formes semblables aux huit premières… mais bien plus grandes et entourées d’un halo. Elles leur font face, puis sur la fresque suivante, elles s’inclinent. Pour ensuite rejoindre la ronde, et pour finalement s’installer devant la porte.

Il marque une pause.

— Et après… plus rien.
— Le couloir n’était peut-être pas assez grand et ils ont abandonné, dit Ashrilm, le sourire aux lèvres.
— Non, ils n’ont volontairement jamais fini la fresque, s’exclame Etsuke, un air si confiant que son ami se demande s’il n’a pas réellement trouvé quelque chose.
— Comment ça ? Tu veux dire qu’il y a une suite ?
— Dans le mille. Et je l’ai ici même avec moi.

Il montre le parchemin qu’il a sorti du cube à son confrère.

— Les huit silhouettes attaquent les deux nouvelles arrivées. L’une est enchaînée au centre de la porte de l’arbre et l’autre semble… fractionnée en huit.
— Tu comprends tout seul ou tu veux la révélation finale ?

Avant qu’il n’ait pu répondre, le léger vent qui souffle depuis le début ici cesse et un tremblement se fait ressentir.
Ashrilm court dans la direction d’où cela provient. Sans poser de question, Etsuke lui emboîte le pas.

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