Chapitre 12: Un paradis au cœur des sables.
Ils courent à travers la galerie, les pieds martelant la roche. Les secousses, d’abord violentes, deviennent des pulsations, des battements.
Comme si la pierre elle-même respirait, un rythme lent, profond, presque vivant, puis plus rien.
Le silence tombe d’un coup, comme aspiré hors de la réalité. Une lumière aveuglante illumine le bout du tunnel.
La galerie s’ouvre brutalement, une salle circulaire immense se déploie devant eux, démesurée, magistrale, entièrement sculptée dans une pierre blanche aux reflets nacrés. Chaque mur, chaque arche, chaque recoin est orné de gravures fines et complexes, incrustées d’un métal doré dont l’éclat semble vivant. La lumière ne vient de nulle part et pourtant tout est baigné d’une clarté chaude, apaisante, vibrante, solaire.
Ici, le temps paraît suspendu.
L’air est léger, paraissant presque absent. Par endroits, la roche disparaît sous une végétation impossible : des lianes, des arbustes aux fruits lumineux, des fleurs aux couleurs vives, inconnues. Des petits arbres élancés au feuillage translucide, leurs racines s’enroulant autour des colonnes comme des serpents anciens. Des spores flottent lentement, phosphorescentes, portées par un souffle qu’on ne sent pas.
Au centre de la pièce, une structure s’élève, massive. Un pilier cubique, d’une seule pièce, qui transperce la salle du sol jusqu’à la voûte. Sa surface est lisse, sauf en son cœur. Un seul symbole y est gravé, un arbre au tronc torsadé, noué comme un sablier.
Ils franchissent le seuil.
Dès qu’ils posent le pied dans la salle, une sensation étrange les enveloppe. Comme s’ils venaient d’entrer dans une chambre étanche, coupée du monde. Plus aucun bruit ne leur parvient de la galerie derrière eux, pas même leur propre souffle. Pourtant, leurs sens, eux, s’affolent. Tout semble plus net, plus vibrant. Chaque détail hurle à leur esprit : la texture de la pierre sous leurs semelles, la douceur oppressante de l’air, la chaleur diffuse émanant du sol.
Etsuke s’élance sans hésiter vers le centre de la pièce, son regard rivé sur le pilier. Ses doigts effleurent la surface lisse de la structure, glissent autour du symbole gravé. Il incline la tête, cherche un motif caché, une articulation invisible, une vibration.
Ashrilm, lui, reste en retrait. Il observe. Un malaise sourd le gagne. La lumière chaude caresse les plantes, mais rien ici ne devrait exister. Les feuilles, blanches et fines, nervurées d’orange et de rose, comme si la sève y brûlait doucement. Les fruits, suspendus à des branches minces et tordues, luisent d’un éclat nacré rappelant celui des murs.
Et partout, des luxielles.
Des insectes rares, fragiles, en voie d’extinction. Leur survie tient à si peu : une variation brusque, un changement infime, et elles meurent. Des créatures impossibles à maintenir, incapables de résister à l’instabilité du monde. Pourtant ici, elles dansent. Leurs ailes translucides battent lentement, projetant une lumière orangée douce et constante. Elles flottent en silence, en essaims tranquilles, comme si rien ne pouvait jamais les troubler.
Ashrilm reste figé. Incapable de détourner les yeux. Des luxielles. Vivantes. Ici. Dans une salle scellée, au cœur d’une mine oubliée sous un désert aride… Cela ne fait aucun sens.
Au sol, l’herbe pâle ondule, presque liquide, au rythme d’un souffle invisible. Le long des murs, des lierres phosphorescents rampent avec lenteur, effleurant la roche d’un éclat doux, rosé.
Un doute s’insinue dans leur esprit.
Et si tout cela n’était qu’un rêve ?
Ashrilm inspire puis expire lentement, se recentrant sur la situation. Un membre de la G.U.I.L.D ne peut pas se laisser perturber, même par les plus extraordinaires découvertes. Il s’avance lentement, les yeux attentifs, balayant les murs, les plantes, la lumière. Il reste silencieux un moment, analysant, ordonnant les faits.
— Cette structure n’a rien d’un vestige mineur, finit-il par dire d’un ton posé. Que fait-elle ici ? Qui l’a bâtie ?
Il s’arrête, croise les bras.
— Et cette flore… ça dépasse les hypothèses botaniques les plus exotiques. On n’a jamais observé de biotopes souterrains aussi parfaits et irréalistes, de surcroît. Tu n’es pas d’accord ?
Pas de réponse immédiate. Etsuke marche en suivant les murs, absorbé. Ses doigts sillonnent les
gravures comme s’il en retraçait l’histoire. Il ne tourne même pas la tête.
— C’est semblable, dit-il enfin. Mais pas identique.
Ashrilm fronce les sourcils.
— Semblable à quoi ?
— À certaines structures du Millénaire Perdu. Mais légèrement différent : les gravures sont trop nettes, l'architecture trop parfaite… et que dire de la végétation, des luxielles. Même ça, ça a sûrement été pensé.
Il se retourne lentement, le regard rivé sur le pilier.
— Les autres sites étaient en ruines, érodés par le temps, parfois détruits par la force. Ici, tout est intact… non, préservé. Comme si le temps ne connaissait pas ce lieu.
Ashrilm jette un œil vers une luxielle qui passe lentement près de son visage. Elle ne réagit pas à sa présence.
— Tu penses que ce lieu a été bâti pour remplir un rôle précis ?
— Oui. Ce n’est pas seulement un sanctuaire oublié. C’est une énigme. Déguisée en anomalie luxuriante, comme pour détourner le regard des gens de ce qui compte vraiment : le message caché.
Etsuke s’arrête net dans son explication, les oreilles dressées.
— Nous sommes observés, dit-il à voix basse, en regardant Ashrilm dans les yeux.
Un frisson court sur la nuque d’Etsuke. Il tend légèrement l’oreille, le regard fixé vers le sol.
Quelque chose... un son ténu, presque imperceptible, lui parvient du sol. Pas un bruit de matière qui craque, ni de roche qui cède, plutôt une vibration, un murmure.
Ils ferment les yeux un instant. La salle amplifie leurs perceptions. Ils écoutent dans le plus grand des silences. Et là, dans les strates de roche sous leurs pieds, ils l’entendent : une voix.
Aiguë, féminine, moqueuse.
— Ah, flûte... je suis repérée, dit-elle, d’un ton aussi mutin qu’exaspéré. Bah, tant pis, hein. Merci quand même, c’est gentil de m’avoir aidée, l’ex-second de l’ancienne Faille.
La nouvelle génération prend le relais, hihi.
Ashrilm se retourne, alerté par le changement d’attitude de son compagnon. Etsuke s’est figé, tendu, les sens aux aguets, le visage déformé entre la colère et l'inquiétude.
— Grâce à toi, j’ai pu faire quelques liens intéressants, poursuit la voix, toujours invisible. Ces jolies ruines... elles cachent plus de choses que je ne l’espérais. Fascinant, vraiment.
Soudain, un léger craquement se fait entendre juste derrière Ashrilm. Il se retourne et recule d’un pas, les muscles tendus. Une fissure invisible dans le sol libère un mince filet de sable, bientôt suivi d’un tourbillon de poussière et de terre.
Sous leurs yeux, les particules s’élèvent, tournoient, s’assemblent. Une forme humanoïde commence à prendre corps, tremblante, instable. Des bras, des jambes, un semblant de tête. Elle se solidifie, se densifie, puis, sans prévenir, explose dans un souffle sec, projetant des éclats de roche et un nuage de sable dans la salle.
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