Chapitre 13: Le loup Masqué.
Le monde s’écrase en un instant, sous le souffle de l’explosion.
Ashrilm et Etsuke sont projetés au sol, leur corps réagissant avant même que leur esprit ne comprenne. Un genou en terre, les bras croisés sur les points vitaux. Réflexe pur, enseigné et répété jusqu’à l’automatisme durant leur entraînement. Le souffle court, les oreilles sifflantes, ils se redressent lentement, yeux aux aguets.
Le nuage de poussière retombe en spirale pâle.
Une jeune fille.
Elle semble presque adulte, mais ses gestes, son regard et le timbre de sa voix trahissent un manque de maturité. Vêtue d’une tenue noire ajustée, presque cérémoniale, elle porte une cape courte à capuche d’un blanc éclatant qui masque partiellement ses cheveux. Un masque de loup blanc-ivoire dissimule le haut de son visage. Seuls deux yeux ambrés, brillants comme du métal chauffé, transpercent les fentes du masque.
Elle les fixe sans un mot, la tête penchée légèrement sur le côté, les mains croisées derrière le dos comme une enfant prise en faute.
Un sourire ou l’ébauche d’un semble poindre sous le masque.
Ashrilm fronce les sourcils, tendu.
Etsuke, encore à demi accroupi, raffermit sa prise sur le sol. Prêt.
La jeune fille claque doucement des mains, le son résonnant étrangement.
— Pas mal du tout, lance-t-elle d’une voix claire et chantante, tranchant net avec l’ambiance tendue. On m’a dit que la G.U.I.L.D formait bien ses petits soldats… mais vous êtes plus vifs que prévu. J’ai failli rater mon entrée. Tss...
Elle se penche en avant, amusée, comme si elle jaugeait un spectacle.
— Alors ? Qu’avez-vous pensé de cette entrée en scène ? Vous savez, ce n’est pas si facile de tout
orchestrer. Je ne m’attendais pas à ce que tout se passe parfaitement, mais… on n’est pas loin du plan initial.
Etsuke serre les dents. Ashrilm ne dit rien. Ses yeux scrutent chaque pli de la cape, chaque battement de cils.
Elle reprend, insouciante, presque moqueuse.
— En tout cas, merci pour les infos. L’ex-second de la Faille est plus bavard qu’il n’en a l’air. C’est mignon. Touchant, même.
Elle fait un pas de côté. Léger. Dansant. C’est là qu’ils comprennent : cette fille n’est pas venue pour discuter.
— Elle nous provoque, murmure Ashrilm.
— Il y a plus important. Elle sait des choses.
Sans attendre, Etsuke bondit, propulsé d’un geste précis, bras en avant pour l’attraper.
— Attends ! crie Ashrilm, conscient d’un détail que son compagnon n’a pas encore perçu.
Trop tard.
Juste avant l’impact, la jeune fille se désagrège en un tourbillon de sable. Elle reprend forme derrière lui dans un mouvement fluide, presque organique.
Un coup de pied sec, parfaitement ajusté, frappe Etsuke dans le dos. Il est projeté au sol avec violence.
Ashrilm recule d’un pas, bras levés, rapière à la main, prêt à riposter. La jeune fille reste parfaitement droite, les mains croisées dans le dos comme si rien ne s’était passé.
Le sable soulevé par son mouvement ondule encore dans l’air.
Ashrilm garde sa position défensive, les muscles tendus. Il jette un rapide regard vers Etsuke, encore au sol mais vivant. Sa respiration est irrégulière, son souffle heurté, mais il bouge.
Il lève les yeux vers la silhouette masquée, toujours figée dans cette posture presque innocente.
— Qui es-tu ? Et qu’est-ce que tu veux ? demande-t-il, calme en apparence, mais chaque mot ciselé par une méfiance aiguë.
La jeune fille penche légèrement la tête de l’autre côté. Puis elle se redresse, fait mine de réfléchir, une main sur le menton comme une écolière à qui on demanderait de réciter une leçon.
— Qui je suis ? Hmm… question existentielle, non ? J’imagine que je suis… la fille qui vient d’exploser la tronche de ton ami il y a trente secondes ?
Elle éclate de rire, léger, presque cristallin, mais porteur d’une dissonance glaçante.
— Quant à ce que je veux… voyons… du thé ? Une discussion sur le sens de la vie ? Non… ah, ça coince… c’était quoi déjà ? dit-elle en tapant du pied sur le sol. Ah oui, rien qui vous concerne !
Ashrilm serre la mâchoire.
— Assez. Ce jeu n’a que trop duré. Qui t’envoie ? Que voulais-tu dire par “merci pour les infos” ? Tu vas répondre. Maintenant.
Le ton change. Il y a dans sa voix cette autorité calme, celle d’un homme qui dirige, commande, protège. Celle d’un homme sûr de lui et intransigeant. Presque paternelle, ferme et sans colère.
La jeune fille s’immobilise. Plus de rires. Plus de mouvements. Le silence s’installe, brusquement lourd.
Puis, lentement, le sable au sol se met à frémir. Vibrations légères. Presque imperceptibles au début.
Elle tend la main sur le côté, doigts ouverts.
Le sable tourbillonne, grimpe le long de son bras en serpentins flottants, se condense à l’extrémité.
Une forme allongée prend naissance, vacillante, incomplète. Une lance, ou quelque chose qui y ressemble. Elle tremble, instable, aux contours mal définis. La matière n’est pas solide. Elle pulse, comme vivante.
— Tu parles comme mon père. Mais je n’en ai plus. Il me reste seulement mon maître adoré.
Elle avance d’un pas, la lance levée, pointée vers lui.
Une tension brutale s’épanche dans l’air. Le sable aux alentours se soulève en petites vaguelettes. Ses yeux, derrière le masque, brillent d’un éclat animal.
— Tu veux des réponses ? Viens les chercher.
Ashrilm plisse les yeux. Il cherche une faille. Un moment d’égarement, un mot de trop. Quelque chose qu’il pourrait exploiter. Il parle, son ton se fait plus tranchant, presque froid.
— Tu caches ton visage, tu parles par énigmes… Tu veux jouer ? Très bien. Mais tu n’es pas aussi détachée que tu le prétends. Tu n’es qu’une gamine qui se donne un rôle.
Elle ne répond pas. Son masque est fixe, mais ses épaules vibrent. Est-ce de l’irritation ? Non. De l’amusement.
Elle jette un regard derrière elle, par-dessus son épaule, ses yeux ambrés étincelants de cruauté. Puis,
sans un mot, elle jette sa lance de sable, dans un mouvement sec et calculé.
Ashrilm sent son cœur rater un battement.
— Etsuke !
Il bondit, visant la silhouette masquée, prêt à tirer avantage de sa posture offerte, de son dos exposé. Erreur.
Elle pivote dans le même élan, comme dans une danse parfaitement maîtrisée. Sa jambe se lève, fluide et puissante, son pied s’écrase contre le visage d’Ashrilm avec une grâce cruelle. Un impact net. Le monde tangue.
Pendant ce temps, la lance atteint sa cible.
Etsuke hurle. Sa main gauche est transpercée avec une précision chirurgicale, juste au centre de la paume. La matière sableuse de l’arme se désagrège, mais la douleur reste, brutale, envahissante.
— Il est temps d’en finir avec l’ancienne Faille du Loup… souffle-t-elle, presque en chantant.
Son rire éclate, frénétique, dérangé. Une cascade de notes dissonantes dans l’écho de la salle. Elle rit comme une enfant qui détruit sa poupée préférée.
Puis, un crépitement commence à se faire entendre.
Le sol vibre, une tension électrisante s’installe. L’instant suivant, un grondement sourd, semblable à un coup de tonnerre, fracasse l’espace.
Ashrilm, au sol, relève les yeux, incrédule.
Etsuke vient de traverser la pièce dans un éclair puissant.
Il est là, debout, sa main encore tremblante et saignante. Mais l’espace d’un instant, Ashrilm l’a entrevu son autre main, crispée, les ongles pointus et tranchants traversant le gant de l’homme, a frappé la main de la jeune fille. Elle a tenté d’esquiver, se décomposant en un nuage de sable mouvant, mais trop tard.
Le coup touche sa main.
Etsuke s'effondre au sol. La jeune fille se fige, regardant sa main. Un craquement sec résonne, son auriculaire gauche se teinte d’un éclat translucide, vitrifié.
Elle recule, haletante, son doigt devenu verre, la peau autour fusionnée avec. Il est presque brisé. Plus de rire, mais un puissant cri de douleur.
Le masque tremble. En relevant sa tête, il se décroche et chute.
Dessous, une beauté parfaite, presque irréelle, un teint si pâle qu’il en refléterait la lumière. Mais son visage est tordu par la douleur, les larmes aux yeux. Un sentiment de culpabilité touche Ashrilm, spectateur de la scène.
Elle fend un des murs de la pièce en deux. Une lumière s'en échappe, une lumière naturelle, celle du soleil qui arrive à se frayer un chemin depuis la surface jusqu’aux profondeurs de la mine.
— Vous allez le regretter ! crie-t-elle en pleurant, avant de disparaître dans le passage.
Celui-ci se referme brutalement derrière elle.
La salle se met à trembler et commence à s'effondrer petit à petit sur elle-même.
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