Chapitre 14: Dans l’ombre de l’incertitude
Le fracas s’intensifie. Le plafond craque, crache poussière et blocs de roche.
Ashrilm ne réfléchit pas, il agit instinctivement. Il glisse les bras sous Etsuke, son corps inerte aussi lourd qu’un cadavre, et le soulève avec une vigueur presque surnaturelle. L’adrénaline pulse dans ses veines. Chaque seconde compte.
— Allez, tiens bon…
Il sprinte à travers les galeries, le souffle court mais stable, ses bottes martelant le sol en rythme. L’écho de la fuite se répercute comme un tambour dans les entrailles de la mine.
Derrière, la salle s’effondre, mais il n’a pas le temps d’observer le spectacle.
Tout disparaît dans les ténèbres avalées par l’effondrement.
La montée est interminable.
Ashrilm s’arrête un instant, cale Etsuke contre un mur. Celui-ci respire. C’est tout ce qui compte.
— Tu m’entends ? souffle-t-il.
Un gémissement étouffé.
Etsuke entrouvre les yeux. Lents, flous. Son visage est pâle, en sueur, mais conscient.
— … Elle m’a eu, marmonne-t-il. Elle m’a eue comme un gosse…
— Tu n’es pas mort. C’est déjà ça.
L’effondrement semble se limiter aux zones inférieures de la mine, mais le souffle, propulsant un énorme nuage de sable et de poussière, continue d’avancer rapidement.
Ashrilm reprend sa prise. Il grimpe encore, chaque mètre gagné semble lui donner de la force.
Enfin, la lumière du jour, blafarde et légère mais présente. L’œil de la mine et sa salle principale semblent encore plus sombres et froids qu’à leur arrivée. Il donne tout ce qu’il a pour continuer son chemin, son ami se faisant de plus en plus lourd.
Puis enfin ils émergent. Les traits tirés, les bras douloureux, il lâche son ami sur le sable tiède, épuisé mais vivant.
Le calme est revenu. Un silence pesant, chargé de poussière et de tension.
Ashrilm halète, le dos courbé, les mains sur ses genoux. Ses muscles crient, son souffle est court, mais il tient.
À côté de lui, Etsuke est étendu sur le sable tiède, les yeux à demi clos. Toujours vivant, mais incapable de bouger.
Ashrilm s’agenouille, le regard inquiet. Il retire l’écharpe de son compagnon, défait sa fine protection en cuir partiellement noircie, puis sa veste. En silence, il observe les marques.
Tout le long de son bras gauche, de fines arborescences violacées s’étendent comme des racines ou des éclairs figés sous la peau.
Des brûlures nerveuses. Propres à un impact foudroyant.
Il reste un instant figé, fasciné et inquiet à la fois.
Puis, à voix basse, presque pour lui-même :
— J'avais encore des doutes, mais là… je ne peux plus remettre tes dires en question, ma chère.
Il passe doucement sa main sur le bras abîmé, puis il rhabille son ami, resserre les sangles et enroule son écharpe non pas à son cou mais sur sa tête. Un dernier souffle, puis il glisse à nouveau ses bras sous Etsuke et le soulève, cette fois plus lentement, avec une fatigue visible dans chaque geste.
— On rentre, souffle-t-il.
Il jette un dernier regard vers l’entrée de la mine, encore embrumée de sable et d’ombre. Puis il entame la marche vers le camp, le pas lourd, les bras chargés, mais l’esprit soudain plus clair.
Une certitude s’installe.
Ashrilm approche enfin du camp, le souffle court, les bras lourds.
Etsuke, toujours à moitié conscient, pèse de plus en plus. Il ralentit, plie un genou au sol, mais repart aussitôt. Il n’est plus très loin.
Evaal les aperçoit depuis l’entrée de la cahute principale. Elle accourt aussitôt, ses yeux s’écarquillant en voyant l’état d’Etsuke.
— Ashrilm ?! Qu’est-ce qui s’est passé ?
Elle ne pose pas plus de questions. Sans attendre, elle les aide. Ils amènent leur camarade sous la chute du camp pour qu’il s’y repose. Un silence d’attente s’installe autour d’eux.
Etsuke gît là, immobile, les paupières à demi closes, la respiration lente mais régulière.
Le chef de l’expédition se redresse, encore haletant. Il passe une main sur son front moite. Il pose sa main délicatement sur l’épaule de la jeune femme.
— Je dois te parler. Seuls à seuls.
Evaal le regarde brièvement, puis hoche la tête. Elle vérifie une dernière fois que le blessé est stable, puis le suit jusqu’à l’écart, derrière les caisses d’approvisionnement.
Ils s’arrêtent à l’ombre. Ashrilm inspire profondément.
— On a découvert beaucoup de choses.
Il marque une pause. Evaal attend, sans l’interrompre. Il continue et, sans oublier un détail, lui raconte tout.
Puis il s'arrête, hésite un peu avant de parler de la salle cachée et de l’affrontement. Mais il sait qu’il doit lui raconter.
— On est tombés sur quelqu’un, au fin fond de la mine, dans une salle défiant la réalité. Elle nous attendait.
— Qui était-elle ?
— Je pense qu’elle est une connaissance d’Etsuke… mais lui ne la connaît pas. J’ai peut-être quelques théories. Mais rien de concret, sans plus d’explications de la part de notre inconscient.
— Avec le temps, je connais votre relation. Vous êtes de bons amis. Mais depuis la fragmentation de votre groupe et la disparition d’Aketaka…
— Je vois où tu veux en venir, mais rassure-toi. On peut lui faire confiance.
Evaal regarde son supérieur avec un air compréhensif, mais…
— Je ne sais pas si c’est sage de lui faire confiance, Ashrilm. Il a toujours été vague sur son passé. Et en plus, la G.U.I.L.D. n’a jamais cherché à obtenir son dossier de vie.
— Preuve qu’il est digne de confiance, non ?
— Je suppose… mais ça reste étrange. L’organisation demande un résumé complet de notre vie pendant notre formation. Et jamais personne n’y a échappé. Sauf lui, à ma connaissance.
— Si tu ne peux pas prouver qu’il y a léviaqua sous roche, tu ne peux pas accuser Etsuke de nous dissimuler des informations compromettantes pour la mission.
— Tu as raison. Je retourne à mes préparatifs. J’espère que je peux au moins avoir confiance en toi.
Ashrilm sourit à la jeune femme pour la rassurer, puis il se dirige seul vers la cahute.
— Tu as raison de douter, Evaal. C’est bien. Mais en l’occurrence… il nous cache uniquement son passé, et ça, je le sais depuis notre rencontre. se dit-il tout en continuant de se diriger vers son ami.
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