Chapitre 16: Dans la poussière et le sang.

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La mine éblouit Shef et Rauko à leur entrée dans cette abomination. Ils s’enfoncent dans la mine avec prudence, dissimulés sous leurs capes de marchands nomades. Ils atteignent facilement son cœur. Le silence règne entre eux, pas besoin de mots. Chaque pas les rapproche de l’enfer et alourdit l’air autour d’eux.

L’ambiance est presque banale. Les étals colorés sont illuminés par des lampes suspendues magnifiques. Les marchands sont partout, souriants, avenants, trop polis. Ils interpellent les passants avec entrain, vantant leurs produits d’une voix chaleureuse. Des clients discutent fort, rient même, comme s’ils faisaient leurs courses dans un marché de plein air. Certains s’embrassent comme de vieux amis, d’autres échangent des blagues grasses entre deux négociations. L’odeur d’épices, de cuir et de sueur remplit les narines.

Mais tout sonne faux.

Les regards sont trop vifs, trop inquisiteurs. Les sourires s’étendent jusqu’aux oreilles… Sous les rires, on sent une tension aiguë, une vigilance constante. Chaque client cache une arme. Chaque marchand jauge les nouveaux visages, cherche le moindre faux pas.

Les étals débordent de biens volés : lames gravées, objets religieux pillés, bijoux arrachés à des tombes. Un vendeur exhibe fièrement une collection de bijoux et un magnifique diadème, encore partiellement taché de sang séché, mal nettoyé. Ils notent la position de tous les marchands, leur disposition, les zones facilement utilisables pour la mission.

Plus ils avancent, plus les personnes autour d’eux semblent malsaines. La lumière devient plus rare, les odeurs plus rances. Ici, plus d’objets précieux : des chaînes, des cages dissimulées dans les ombres, juste derrière les étals, sur lesquels sont uniquement posées des plaques en bois avec des informations : couleur de cheveux, yeux, taille, âge.

En voyant cela, les deux hommes s’imaginent déjà baignant dans le sang des marchands qu’ils rêvent d’exécuter.

Un marchand passe, un enfant laissé derrière lui. Amaigri, des liens aux mains et aux chevilles. Personne n’y prête attention.

Un homme en robe riche plaisante avec un marchand à quelques pas. Ils parlent prix, rient aux éclats, discutent de livraison comme s’il s’agissait de marchandises courantes. L’enfant est à deux mètres. Invisible.

Shef sent sa mâchoire se contracter. Rauko reste impassible, mais ses yeux deviennent plus durs.

Ils continuent d’avancer, comme prévu.

Ils ont encore du chemin avant de cartographier toutes les zones.

Et surtout, ils ne doivent pas craquer.

Pas encore.

L’atmosphère devient de plus en plus lourde et malsaine. Le décor change subtilement : les étals deviennent plus rares, plus espacés, les voix plus basses, les regards plus perçants.

Puis, au détour d’un angle, une transaction attire leur attention.

Un homme richement vêtu, auréolé de chaînes d’or et d’odeurs entêtantes, tend un sac de pièces à un marchand. Ce dernier hoche la tête, puis tire violemment un enfant par le bras. L’enfant trébuche, chute sur les genoux, mais ne proteste pas. Il est trop maigre pour cela, trop vidé. L’homme le récupère comme un paquet qu’on vient d’acheter, puis l’empoigne brutalement à la gorge. Il le soulève légèrement, comme pour l'examiner. L’enfant gémit.

Un son faible, étranglé.

Mais suffisant pour figer Shef et Rauko.

Les gémissements percent la cacophonie du marché comme une lame glacée. Le rire de l’homme qui le tient éclate, gras, moqueur, inhumain. Des passants s'arrêtent à peine. La scène n’a rien d’anormal ici. Mais les deux infiltrés, eux, vacillent.

Shef serre les poings jusqu’à en blanchir les jointures. Rauko déglutit, sa mâchoire serrée, ses yeux fixes, froids comme l'acier. Une pulsion meurtrière enfle en eux. Ce n’est plus de la colère. C’est un instinct. Un raz-de-marée.

Puis, soudain, tout bascule.

L’homme relâche l’enfant, qui tombe au sol comme une marionnette dont on aurait tranché les fils. Il ne bouge pas. Pendant une seconde, tout semble figé. Un silence étrange, incongru, se pose sur la scène.

Puis l’enfant se relève.

Lentement.

Sa tête est baissée, ses cheveux sales cachent son visage. Il lève un bras tremblant et pointe l’homme du doigt.

Le collier d’or autour du cou de l’acheteur se met à vibrer. D’abord imperceptiblement. Puis, de plus en plus fort.

Les maillons se tordent, se resserrent, se nouent d’eux-mêmes.

L’homme tente de les arracher. Trop tard.

Dans un bruit sec, métallique, la chaîne se contracte brutalement. Un craquement sinistre. Puis un second. Le collier coupe net à travers peau et chair, sectionnant sa gorge comme un fil acéré. Sa tête roule au sol dans un bruit mou. Un silence de plomb lui succède.

Le corps tombe à genoux, puis s’écroule, les bras encore levés.

L’enfant reste immobile. Il ne tremble pas. Il ne pleure pas.

Shef et Rauko sont figés. Les marchands reculent discrètement. Personne ne crie. Personne n’a assisté à ce spectacle à part les gardes de l’homme sans tête et le marchand, maintenant en train de fuir en pleurs.

Et dans ce moment suspendu, les deux hommes qui accompagnaient l’acheteur sortent leurs armes et menacent l’enfant. Le duo intervient, n’arrivant plus à se maîtriser. Ils assomment violemment les deux individus.

Quand ils se retournent, l’enfant n’est plus là.

— Le gosse s’est enfui.
— Rauko, il faut partir, j’entends du monde rappliquer.
— Merde, tirons-nous, ça se barre en couille. Il manquerait plus qu’ils nous attaquent.

Shef et Rauko s’engouffrent dans une galerie adjacente. Des voix s’élèvent derrière eux, des pas précipités résonnent dans les couloirs de la mine.

— Là, murmure Shef en désignant une ouverture étroite dans la paroi. On l’a repérée à l’aller. Ça rejoint l’un des voies de sortie de la mine.

Sans un mot, ils s’y engagent. La lumière faiblit rapidement, remplacée par le vent et l'obscurité nocturne du désert. Ils avancent à tâtons, courbés, pressés, le souffle court. Derrière eux, le tumulte du marché semble s’éloigner, étouffé par les galeries. Plus rien que le silence, la roche et le goût amer de ce qu’ils ont vu.

Ils ne s’arrêtent pas.

Pas avant d’être loin de cet endroit maudit.

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