Prologue

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 Devant la télévision, je suis incapable de rester en place. Je sens le regard de ma mère se poser sur moi. Je sais qu’elle n’aime pas spécialement que je veille aussi tard, surtout face à des écrans, mais elle n’a pas pu se résigner à me le refuser. Il faut dire que demain, ce n’est pas n’importe quel jour ! Je fêterai mes huit ans, je deviens grand ! Et comme ce soir, il s’agit du match de huitième de finale de Champions League qui oppose Nantes à une importante équipe européenne où papa joue, maman a accepté que je le regarde avec elle.

 Je m’extasie devant les moindres mouvements. Mon corps réagit même aux différentes attaques. J’aimerais tellement me trouver sur le terrain au milieu d’eux, rendre fier mon père en évoluant à ses côtés.

 La rencontre est serrée. Les deux clubs sont au coude à coude. Nantes n’est pas favori, c’est même la première fois de leur histoire que les handballeurs ont pu se hisser aussi loin, mais j’ai confiance en eux. Ils vont rentrer avec une victoire et comme ça, quand papa passera la porte demain, il pourra fêter mon anniversaire et sa qualification. Je ne peux rêver mieux !

 Le temps défile. C’est papa qui a la balle. Je saute devant la télévision sous le sourire amusé de maman. Je sais qu’elle essaye de cacher ses sentiments. Mais elle a peur du résultat, elle s’inquiète beaucoup pour papa. Depuis quelques semaines, l’équipe peine à s’imposer et son moral en a pris un coup. Maman le réconforte et ils font semblant devant moi, mais je ne suis pas idiot. Alors j’espère bien que cette rencontre va se solder sur une belle victoire comme ça, toute la famille sera heureuse ! Le numéro 18 dans son dos, je le vois s’élancer pour tirer. Il est le plus fort, personne ne pourra le stopper. Pas même le gardien.

 Le ballon traverse la ligne. Le but est comptabilisé dans les dernières secondes du match. Je hurle de joie tout en dansant avec pour image de fond l’équipe qui se serre dans les bras, contente de cette victoire. Maman n’a pas pu s’empêcher de sortir l’appareil photo et me prendre pour conserver ce moment en souvenir et le partager à papi et mamie qu’on ne voit que très rarement à cause de la distance.

— Allez champion, c’est l’heure du dodo, maintenant !

 J’essaye de négocier, d’avoir un peu plus de temps pour pouvoir parler avec papa, mais elle ne cède pas. Je rechigne, mais je m’en vais dans ma chambre, fier de mon père. J’aborde le beau maillot nantais floqué du numéro 18 et Gomez qu’il m’a offert au début de la saison. J’entends les pas de maman qui se rapproche pour me dire une dernière fois bonne nuit avant l’extinction des feux. Bien emmitouflé au milieu des draps, je laisse échapper un bâillement avant de fermer les yeux.

***

 J’ouvre un œil pour regarder l’heure sur mon réveil impatient de revoir papa. Je me précipite enfin dans le salon. Le calme règne dans la maison. Bizarre. Normalement, j’entends toujours les discussions entre maman et papa, mais là rien du tout. Même la télévision en fond ne fait aucun bruit. La chaîne rediffuse les meilleurs moments du match d’hier, mais je l’ignore. J’espère que c’est une surprise qu’ils me font. J’accélère en silence pour leur faire peur et les prendre à leur propre jeu. Pourtant, seule, maman observe l’écran sans forcément faire attention à ce qui l’entoure. Sa tasse de café dans les mains, elle ne semble même pas m’avoir remarqué. Ses cheveux bruns si bien coiffés habituellement ne sont même pas démêlés.

一 Il est où papa ?

Son regard se déplace vers moi. Un fin sourire triste se dessine sur son visage quand elle tente de reprendre contenance devant moi. Je suis peut-être jeune, mais je vois bien qu’il se passe quelque chose. Alors en la voyant changer de discussion, je me sens contrarié. J’ai besoin de savoir ce qu’elle cache, pas qu’elle ignore toutes mes demandes. Je serre le bas du maillot et me mords la lèvre pour refouler ma frustration. Plus aucun son ne sort de ma bouche et pourtant mille questions doivent traverser mon regard que maman fuit. J’ai presque envie de hurler.

一 J’y vais, ça doit être papa ! je m’écris en entendant la sonnette, certain de le voir derrière la porte.

 Sans laisser le temps à maman de riposter, je cours pour ne pas le faire attendre. Il a dû avoir du retard avec le retour, c’est normal. Je ne peux pas le faire patienter plus longtemps. Tout sourire, j’ouvre la porte. Mais mon regard se bloque sur la personne qui me fait face. Ce n’est pas papa. C’est juste la voisine qui tient dans ses mains un paquet de biscuit.

一 Huit ans, ça se fête ! me félicite-t-elle en me le tendant.

 J’essaye de paraître le plus sympathique possible, mais ce goût de déception ne me quitte pas. J’ai tellement cru que c’était papa. Pas que je sois contre la voisine, elle est très agréable et je l’apprécie beaucoup, mais ce n’est pas elle que je voulais voir en priorité. Je la laisse rentrer pour qu’elle puisse discuter avec maman. Je laisse la porte ouverte et je patiente, observant la route. Je m’accroche à cette idée qu’il va surgir d’une minute à l’autre. Il me prendra dans ses bras et on fêtera tous les trois mon anniversaire et sa qualification.

 J’attends. Je ne sais pas combien de temps je reste planté devant le jardin. Maman arrive à mon niveau et m’enlace après avoir remercié la voisine. Je retiens mes larmes. Je ne peux pas pleurer maintenant que je suis grand alors je renifle juste dans la manche du maillot qui fait presque le double de ma taille.

一 Pourquoi ? je murmure en enfouissant mon visage dans son cou pour plus de réconfort. Pourquoi ne vient-il pas ?

 Je ne comprends pas. Qu’ai-je fait pour qu’il nous abandonne ? A-t-il si honte de moi qu’il n’a pas voulu rentrer ? Je suis perdu. Maman tente de me rassurer. Elle ne cesse de me répéter que ce n’est pas ma faute. Mais sa voix se brise, elle est aussi désemparée que moi.

 Je le revois m’ébouriffer les cheveux avant qu’il ne parte, me promettant de revenir avec une victoire. Il est rentré en France avec un succès mais n’a jamais passé la porte. Il nous a tout simplement abandonnés. Mais pas seulement maman et moi, l’équipe aussi n’a aucune nouvelle, à croire qu’il s’est envolé dans la soirée.

一 Tu parles d’un anniversaire…, pensé-je alors que les larmes ont commencé à couler, ne pouvant plus les retenir.

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