1 - Les murmures de l'Aube

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L'aube se levait doucement sur Véridian, baignant les rues embrumées d'une lueur dorée. La cité s'étendait comme une sombre toile avec ses élégantes bâtisses et ses hautes tours semblables à des javelots lancés vers des dieux indifférents. Les ruelles s'enroulaient en méandres abstraits, et des canaux parcouraient la cité telles les veines d'un organisme vivant. Les toits en ardoise recevaient la caresse chaleureuse du soleil naissant, tandis que les coupoles cuivrées des édifices administratifs scintillaient comme des joyaux. Au cœur de la cité, la Danseuse de fer, une horloge monumentale, dominait la scène. Ses aiguilles dorées qui tranchaient l'air au rythme du temps qui s'égrainait, ponctuaient les heures qui défilaient sans relâche.

La gare se trouvait à son pied, véritable chef-d'œuvre architectural dont les murs de granit semblaient griffés de cables d'acier. Les grandes fenêtres gothiques en verre teinté distillaient des rivières de lumière ambrée à travers les motifs complexes, et créaient des jeux d'ombres qui valsaient sur le marbre poli du sol.

Dans cet antre de fer et de pierre, les locomotives haletaient, exhalant des vapeurs qui emplissaient la gare d'une odeur mêlée de charbon et de métal chaud. Les machines rugissaient en un grondement continu amplifié par les sifflets des trains en partance, les voix des voyageurs et les claquements sourds des milliers de pas qui rythmait la vie de la gare. Les étals des marchands ambulants offraient aux passagers des gourmandises sucrées qui rivalisaient avec les journaux tout juste sortis des presses. Dans cette cacophonie organisée, les voyageurs se croisaient, se mêlaient et se séparaient, formant un kaléidoscope humain aux visages inconnus.

Tout semblait vivant : Les panneaux d'affichage s'activaient dans un cliquetis presque fébrile, annonçant les prochains départs, les guichets vrombissaient d'activité et les agents s'affairaient avec la cadence d'une chorégraphie bien rodée.

Dans cette effervescence fiévreuse, une fine silhouette se faufilait parmi la foule, aussi insaisissable qu'une feuille portée par un vent capricieux. Les voyageurs distraits, focalisés sur leur propre destin, ignoraient qu'elle se faufilait parmi eux pour dérober quelques pièces.

Alors que Shaolin glissait avec adresse à travers la marée humaine, un frisson froid comme le fil d'une lame, parcourut sa colonne vertébrale. Le regard d'un agent de la Sécurité, reconnaissable à son uniforme écarlate, croisa le sien et s'y accrocha. Un léger plissement de ses sourcils, aussi discret qu'un frémissement d'eau dans un étang, trahit sa suspicion, menace palpable pour la liberté précaire de la jeune femme.

Shaolin s'immobilisa lorsqu’il murmura dans son gantelet. Tels des loups, les rouges se déplaçaient toujours en meute et n'aimaient pas rentrer dans leur tanière les mains vides. En effet, trois autres agents convergeaient déjà dans sa direction.

— Hey ! Toi là-bas !

Ce fut comme un éclat de glace qui se fichait dans son âme. Shaolin fila, jouant des coudes, se dissimulant entre les voyageurs. Elle savait qu'elle n'avait pas le temps de s'attarder. Chaque seconde comptait désormais. La jeune femme savait qu'elle ne pouvait pas compter sur leur clémence, ils n’avaient pas de pitié envers les vauriens des bas quartiers, les considérant comme des parasites indésirables à éradiquer. Elle avait vu trop de camarades se volatiliser dans les mâchoires de ce système implacable.

Pourtant, la peur qui la griffait ne faisait qu'exacerber son instinct de survie. Le danger, loin de la paralyser, lui donnait des ailes. Chaque pas était un défi, chaque souffle, une petite victoire. Un sourire espiègle étira ses lèvres. Elle se sentait vivante, vibrante d'une énergie qui la poussait à courir sans relâche. Son cœur battait avec la frénésie d'une horloge déréglée et l'adrénaline déferlait dans ses veines en une dangereuse ivresse.

Alors que les gardes se rapprochaient inexorablement, Shaolin redoubla d'efforts, déterminée à ne pas se laisser attraper. Arrivée au bout du quai, elle s'immobilisa un instant. Devant elle, les rails s'étendaient à l'infini, interminable prairie de bois et d’acier. Sans un regard en arrière, elle s'élança dans cet espace ouvert, les hurlements des agents se déversant derrière elle comme un orage lointain.

Les traverses défilaient sous ses pieds, ses poursuivants n'étaient pas loin, précédés par leurs invectives. Dès qu'elle fut à l’air libre, elle n'hésita pas une seconde et escalada le mur de pierre qui séparait la ville des chemins de fer. Ses mains s'accrochèrent aux rebords, ses pieds trouvant des prises invisibles grâce à l'expérience de nombreuses années de fuite. Elle se hissa au sommet dans un grognement douloureux, puis, dans un dernier élan, bascula par-dessus le sommet avant d’atterrir lourdement sur les pavés. Le choc fit claquer ses dents et vibrer ses os, mais elle se redressa et prit appui sur le mur pour reprendre son souffle.

— Où es-tu, sale rat ? rugit l'un des gardes.

— Elle est de l'autre côté ! Faites le tour ! aboya un autre.

Shaolin détala aussitôt. Elle se mêla au chaos de la rue et se dirigea vers les quartiers les plus sombres de Véridian, là où les ruelles tortueuses lui offriraient un abri salutaire. Un rire lui échappa, éclat de défi, de liberté. Un rat, avaient-ils dit ? Si être un rat signifiait être libre, alors elle en était un. Dans ce monde impitoyable, mieux valait être un rat vivant qu'un lion en cage.

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