Ma petite poupée

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C'est le silence qui me réveille.

Comme chaque matin, mon cœur se serre si fort que je manque de suffoquer. Inutile de regarder le réveil : je sais déjà l'heure qu'il est ! L'heure où les étoiles s'évanouissent...

Après une longue inspiration, je parviens à contenir mes larmes derrière mes paupières fermées et à expulser la douleur qui me comprime la poitrine.

J'ouvre les yeux. L'Aurore filtre à travers les persiennes et tapisse le mur d'une teinte ocre. Mon regard se pose sur l'étagère qui surplombe le berceau, là où trône une collection de poupées en porcelaine. Je pense à Émilie. Une nouvelle inspiration, je dégage l'édredon et enfile mes chaussons.

Je m'approche du petit lit. Des petits yeux me fixent, ils brillent ! Le sourire aux lèvres, je tends les bras et l'attire contre moi. Je la respire, la couvre de baisers. Je n'aime rien tant que cette odeur de vanille qui emplit mes narines et inonde mon cœur de douceur.

Le temps s'étire, le passé s'envole.

Je m'installe dans le fauteuil à bascule et lui donne le biberon. Puis, je lui tapote doucement le dos tout en lui chantonnant une berceuse, celle que me chantait ma propre mère lorsque j'étais enfant. Je nettoie son visage avec un linge tiède, puis lui enfile une robe dont j'ai minutieusement repassé chaque pli. Je peigne ses fins cheveux et rassemble deux petites mèches que j'attache avec un joli ruban bleu. Je la contemple, m'attarde sur son visage nivéen, sur ses prunelles émeraudes, sur sa blondeur candide. Je la trouve si parfaite.

Je l'emmaillote dans une couverture et la dépose dans son landau puis me prépare à mon tour. J'enfile une robe fleurie, recouvre ma peau cendrée d'une fine poudre dorée, et réhausse mes yeux vitreux d'un fard charbonneux.

Le temps se dissout, le passé s'efface.

J'ouvre la porte et engage le landau sur l'allée bordée de peupliers. Les graviers crissent sous mes pas tandis que le vent tiède bruisse dans les ramures. J'avance, les yeux rivés droit devant moi, sans me soucier des messes basses qui s'insinuent sur mon passage. Je sens leurs paires d'yeux braqués sur moi mais, malgré la brûlure de ces regards inquisiteurs, je poursuis mon chemin. Fière et digne.
Peu m'importe qu'ils me jugent folle ou pitoyable ! Ils ne peuvent pas comprendre. Personne ne le peut.

Je m'installe sur le banc à l'orée du parc et profite des rayons du soleil qui réchauffent mon cœur, ma « Petite Poupée » serrée tout contre moi. Je voudrais que le temps s'arrête là, maintenant. Ne plus avoir à souffrir d'un autre crépuscule. Ne plus laisser les promesses du jour s'envoler pour se réveiller le lendemain, dans l'écho d'un cœur éteint.

Malgré moi, je finis par regagner la maison. Je fais couler l'eau du bain, prépare le dernier biberon et savoure les derniers instants de cette journée qui, déjà, ressemble au spectre de demain.

Le cœur gros, je me dévêtis sans pour autant me délester de ce poids qui vient se loger au creux de moi. Je sais que cette journée n'a été qu'une illusion de plus et que l'Aube prochaine me propulsera de nouveau dans la réalité. Pour l'heure, j'effectue les derniers rituels : dernier câlin, dernier bisou.

« Bonne nuit ma Petite Poupée »

Le temps se fige, le passé me glace.

Tremblante, je me glisse sous les draps. Je pense à Émilie et prie pour que les Ténèbres avalent mon âme aussi.

C'est le silence qui me réveille.

Mon cœur se serre. Je suffoque. Je jette un œil au réveil : 5h36. Évidemment.

J'inspire, dégage l'édredon et enfile mes chaussons. Je m'approche du petit lit. Vide. Évidemment.

Je lève mes yeux embués vers l'étagère. Des petits yeux me fixent, ils brillent !

Je tends les bras et la saisis.

Cette poupée de porcelaine achetée pour Émilie.

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