Nouvelle 3: Le départ
Dans trois mois je rentre.
C'est vrai qu'au niveau de mon projet proprement dit je suis déçue. Mais ici j'ai drôlement "grandi", évolué. Je connus un épanouissement rapide. Comme si je me sentais plus maître de ma vie. Et même si ce n'était pas toujours facile à assumer j'ai trouvé cela drôlement intéressant.
Bien sûr c'est flippant, parce que si je foire, j'aurai beaucoup plus de mal à accuser les autres. Mais ça procure une certaine excitation.Voyager, partir, c'est devenir plus indulgent et à la fois sacrément plus exigent.
Je devais combler ce trou de trois années qui se présentait malgré moi. J'avais été réformée « pour trois ans », et, il fallait bien que je trouve quelque chose pour esquiver la FAC.
Je réussissais donc mon entrée au lycée hôtelier mode BTS option art culinaire, un ancien projet proposé à l'autre quatre ans auparavant.
« Tu pourras faire un CAP cuisine si tu me ponds un dossier expliquant les raisons de ton choix, les causes, les conséquences, les risques,... » .Je donnai toute mon énergie à monter ce dossier. Je lui tendis plus tard, dans les temps. Il resta fermer. Il ne l'ouvrit jamais d'ailleurs.
« Tu pensais que je te laisserai ne pas passer ton BAC ?! »
Il faut croire qu'il n'y a pas que les ânes qui avance avec une carotte. Cependant mon petit passé aurait pu intervenir et me faire une piqûre de rappel. Que pouvais-je espérer de l'autre à part une facture de mon existence.
Le piège tendu avait encore fait une victime et un heureux...
J'y trouvais également dans ces études le moyen de partir et de vivre un peu différemment, de me sentir moins emprisonnée. Il y a même des stages de fin d'année. L'idée me plaît bien.
Pour ma première année de mise à niveau je choisis donc Evian-les-bains. Six cents kilomètres allaient nous séparer ma famille et moi. Quatre mois de stage m'attendaient et pas les plus faciles aux dires des "déjà passés par là".
Dans un cadre idyllique, des prestations sur plateaux en argent attiraient des clients prestigieux. Me voilà stagiaire-larbin-cuisto dans un gigantesque hôtel-restaurant qui rassemblait cet été là encore le Master Féminin de golf.
Dés les premiers jours j'ai su qu'il faudrait se sortir les doigts du cul. La théorie finalement c'est rien comparée à la pratique. Cet immense bâtiment avec son jardin à 18 trous sera ma prison.
Cuisines démesurées, couloirs sans fin, buanderies, l'hôtel que j'avais choisi semblait être un village à lui seul. Il était impossible en tant qu'employé de tous se connaître sinon d'y rester une vie entière.
Je ratai encore mon réveil ce matin. L'énergie m'abandonnait et plus d'une fois je me réveilla encore toute habillée de la veille. « La caserne », c'était le petit nom que nous avions trouvé pour décrire notre logement collectif. Des vieux lits de l'armée avaient été récupérés pour garnir nos chambres. Je pense que tout le mobilier venait de l'armée, les couvertures étaient brodées « 1945- régiment... ». Je ne me rappelle plus le régiment mais la date m'avait marqué. Le contraste évident des murs gris de la caserne l'avait isolée du luxe que proposait l'hôtel.
Les journées s’enchaînaient et je tenais de moins en moins le rythme. Pourtant tous les soirs je partais rejoindre notre groupe de potes de stage. C'était vital pour tenir notre contrat de quatre mois. J'avais besoin de retrouver une certaine humanité et de rêver. Avec quelques amis, on se voyait souvent, on parlait de pleins de chose, c'était facile. On vivait une expérience similaire.
Ici j'ai parlé, parlé et encore parlé comme je ne m'imaginais même pas avoir envie de parler. J'ai entendu des confidences que je n'aurais jamais voulu entendre. Tout ce qui se racontait était dit avec une telle honnêteté.
Et c'est peut-être là la différence. Cette honnêteté vis à vis de soi même, sans jamais essayer de se la faire valoir, ni rien.
Et même sans parler, j'ai appris des trucs sur moi même, sur mes rapports avec les autres.
Ici j'étais active dans le sens ou j'avais pleins de rêves. Je pouvais les raconter et on y croyait. Je les vivais déjà.
Été 98, c'est la première fois que j'ai un boulot, j'ai 19 ans.
Ce départ je l'ai pris comme un pari, j'en reviendrai comme une enfant de la forêt qui doit apprendre à vivre en société. Et pourtant c'est ici que j'ai vraiment compris la vie en groupe.
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