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Fanny tourna une nouvelle page, le souffle suspendu aux lettres qui dansaient sur le papier. Le livre de Catherine C., toujours à ses côtés, lui offrait un réconfort, une parenthèse poétique dans son univers chaotique. Le vrombissement régulier de l'avion, les passagers somnolents autour d'elle et la lumière tamisée de l'appareil : tout s'effaçait derrière les mots. Elle n'était plus à trente-milles pieds au-dessus du sol mais quelque part au Brésil, au cœur d'une terre à la culture vibrante.

" À mes côtés, Ismaïl avait enroulé son bras autour du mien. Il soutenait le poids de la maladie qui tendait à me grignoter toute étincelle de vie. Je tournais mon visage en sa direction, une expression bienveillante et reconnaissante puis je laissais glisser mes yeux vers le soleil couchant, là où les couleurs, huileuses, s'étalaient généreusement, pour former l'un de ces tableaux uniques. Une toile naturelle d'une perfection imparfaite. Je contemplais ce que l'homme aurait été incapable de créer, l'élégance d'un monde insoupçonné, grouillant d'une richesse végétale hors de commun. Le soleil descendait élégamment derrières les hautes herbes du Pantanal, projetant des éclats d'orangé sur la surface tranquille de l'eau. Je ne me lassais pas de ces prairies inondées tapissées de nénuphars démesurés qui se délassaient paisiblement, radeau de fortune pour quelques voyageurs ailés. Le vent guidait des hordes de flamants-roses qui glissaient au-dessus du fleuve, déposant leur reflet céleste comme des pierres en ricochet. Les hérons, aux longs becs, s'offraient une dernière baignade avant que tombe les premiers émois de la Lune, en pluie d'étoiles.

— Tu entends ? me demanda Ismaïl.

Je me figeai. Il n'y avait que la mélodie du vent sifflant entre les feuillages drus des arbres, et le clapotis discret de l'eau.

— C'est le chant de la paix. Celle qu'on en cherche jamais vraiment au bon endroit. Elle peut nous surprendre, à tout moment, n'importe où, parfois là où tu ne l'espérais pas, lui souffla-t-il à l'oreille.

Un caïman glissa lentement hors du fleuve, dérangeant un groupe de capybaras qui traversaient la berge avec nonchalance.

— Et toi, tu la cherches où, la paix, Catherine ?

Je n'ai pas su répondre. Je cherchais encore cette quiétude quelque part sans savoir encore qu'elle était à ma portée..."

Fanny referma légèrement le livre, le pouce entre deux pages, son regard s'égarant entre les nuages qui caressaient le hublot. Dehors, la nuit s'étirait. Mais, au fond d'elle, une lueur s'était allumée. Cette question "tu la cherches où, la paix ?" venait de trouver écho. Un écho perturbant.


La descente amorcée, Romain et Fanny en profitèrent pour rallumer leur téléphone. Une série ininterrompue de message vibrèrent à l'unisson dans une cacophonie perturbante. Ces quelques jours loin des nouvelles technologies leur avaient offert l'opportunité de s'affranchir de l'oppression du monde, ses obligations, son hypocrisie. Tandis que Fanny découvrait la flopée de messages laissés par Kate et Maryam, elle fut légèrement décontenancée par celui émanant de l'un de ses correspondants. Cela faisait plusieurs semaines qu'ils s'étaient vu, la promesse d'un "au-revoir" scellée dans une poignée de mains. Le temps lui avait manqué, certes, le courage également. Cette promesse nécessitait bien plus que des retrouvailles, elle annonçait un grand changement, l'un de ceux que l'on ne prend pas à la légère, que l'on réfléchit mûrement avant de se lancer, les deux pieds dedans. Fanny y avait réfléchi. Au fond d'elle, une lueur brillait, timide. Il suffisait de la saisir à pleine main, et de l'exposer au monde tel un flambeau pour que son avenir s'illumine ou ne s'éteigne sous le vent de son incertitude. Elle demeura interdite durant quelques minutes, le temps de serpenter le long de l'allée menant vers le poste aux frontières. Lorsque la queue de voyageurs s'interrompit, elle posa les mots en réponse à cet email, le cœur battant la chamade. Elle prenait un risque, peut-être le plus grand risque de toute sa vie. À ses côtés, Romain semblait occuper également, tapotant avec frénésie sur le clavier de son téléphone. Son attitude attira l'attention de Fanny.

T'as l'air bien passionné ? Tu envoies un message à Alice ? sourit-elle, une pointe de douceur dans la voix.

Il leva ses yeux émeraude en sa direction, légèrement hébété :

Tu disais ?

Je te disais que...

Elle fut interrompue par la sonnerie d'un téléphone. Son frère scruta l'écran de son appareil, une expression étrange déformait ses traits. Il décrocha tout en détournant le regard de sa sœur.

Papa, murmura-t-il.

Il décrocha immédiatement tout en invitant Fanny à avancer pour ne pas perdre la place dans la longue queue qui s'entassait déjà devant eux. Elle n'eut d'autre choix que de suivre son conseil, non désireuse de passer des heures dans cette file interminable. En s'éloignant, elle entendit le nom de son père, dans un murmure. Il lui cachait quelque chose et elle était bien déterminée à savoir de quoi il retournait.

Quand il la rejoignit, son expression paraissait moins détendue, des lignes saillantes se dessinaient le long de sa mâchoire crispée.

Je vais devoir annuler notre soirée.

La mine interrogative de sa sœur l'invitait à poursuivre et pourtant il aurait préféré faire l'impasse. Fanny pouvait être redoutable à ce petit jeu, un trait de caractère qu'elle avait indéniablement emprunté à son père. Cette simple pensée lui arracha un léger rictus. Ils avaient beau se battre l'un contre l'autre, se défier, se détester, ils se ressemblaient bien plus qu'ils ne l'admettraient.

Papa a besoin de moi, jeta-t-il comme pour se débarrasser de ses propres paroles.

Inutile de tourner autour du pot, Fanny allait le savoir tôt ou tard. La file d'attente était longue, et lui, épuisé. Bien qu'elle se doutait que Maxime était au cœur de ce revirement, elle fronça cependant les sourcils l'invitant à poursuivre.

Il a insisté.

Et tu vas y aller ? Comme ça ? Après tout ce qu'il t'a fait, Maxime claque des doigts, et tu rappliques !

Je n'ai pas envie de me disputer avec toi, souffla-t-il d'un ton las.

Ce n'est pas une dispute, Romain. Je ne comprends juste pas comment tu peux encore lui obéir, après tout ce qu'il t'a fait...après Kate, finit-elle dans un soupir.

Il ne répondit pas de suite, laissant les souvenirs, acides, revenir en pagaille. Ils affluaient les uns derrière les autres, s'entassant comme de vieilles blessures encore entrouvertes. Acides. brûlantes. Tranchantes.

Ce n'est pas aussi simple, Fanny.

Si, justement ça l'est ! trancha-t-elle sans ménagement. Tu n'as rien àç lui prouver, tu n'as...

Je vais y aller, coupa-t-il; la voix sèche.

Elle le fixa, décontenancée. Il n'était pas en colère mais l'expression qui s'était figée sur son visage trahissait une tension sous-jacente, comme s'il portait un fardeau bien trop lourd à porter mais qu'il n'était pas prêt à délester, là, sur le tarmac.

Qu'est-ce qu tu me caches, Rom' ? demanda-t-elle avec plus de douceur.

Romain serra les dents. Il était pris au piège. Une phrase de trop, un mot mal placé et tout risquait d'éclater bien trop tôt.

Rien. Il veut juste me voir.

Juste ça ?

Comme je te l'ai dit.

Alors, je viens avec toi.

Un silence lourd s'installa. Il oscillait entre le soulagement et la tension.

Très bien.

Le chemin vers Embrun fut caressé par un silence noueux entre frère et sœur. Fanny échafaudait des milliers de scénarios tandis que Romain redoutait la rencontre avec son père.

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