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Courir était la seule manière d'évacuer les tensions et surtout de ne plus repenser à cette tentative avortée de la veille. En songeant aux explications de Alexis concernant sa fuite, elle ne cessait de se répéter que quelque chose clochait. L'appel qu'il avait reçu sonnait comme un alibi, un prétexte bien ficelé pour pouvoir s'extirper d'une situation qu'il semblait vouloir éviter. Ou peut-être était-ce tout simplement le fruit de son imagination. Elle s'arrêta net sur le chemin menant jusqu'au petit pont du parc Monceau, les poings serrés. Elle ferma les yeux un instant, le vent souleva quelques mèches rebelles qui vinrent caresser ses joues rosies par l'effort.
Elle inspira lourdement pour relâcher la tension puis rouvrit les yeux soudainement, surprise par une petite boule de poil abricot qui vint se nicher entre ses jambes.
— Arthur ! Tu sais que tu es adorable, toi, s'exclama-t-elle.
Fanny s'agenouilla au niveau du caniche, les yeux empli de liesse. L'animal avait cet effet euphorisant sur elle. Chacune de leur rencontre était un instant de détente, un moment hors du temps où tous ses soucis s'envolaient. Le promeneur vint à elle, un sourire délicat étirait ses lèvres en guise de bonjour. Fanny en fit de même.
D'un accord silencieux, ils se promenèrent dans les allées du parc, le pas lent. Fanny osa un regard vers son compagnon de route. Sa barbe avait poussé depuis leurs derniers échanges. Il n'avait ni les yeux verts, ni deux fossettes séduisantes sur les joues, ni même un corps athlétique, mais la douceur qui peignait ses traits se suffisait à elle-même. Ils finirent par s'assoir sur un banc, face à l'étendue verte encore perlée de rosée.
— Tout va bien ? osa-t-il avec délicatesse, comme s'il craignait de rompre l'équilibre fragile de ce moment.
Fanny haussa les épaules, un sourire désabusé accroché à ses lèvres.
— Vous ne connaissez pas, vous aussi, un certain Maxime Coste ? lança-t-elle d'un ton ironique, presque amer.
Il la regarda longuement, sans se presser pour lui répondre.
Dans ses yeux, il n'y avait ni curiosité mal placée, ni jugement, mais une forme de sagesse tranquille.
— On croise tous des Maxime Coste dans une vie, dit-il finalement. La question est de savoir ce qu'on en fait.
Elle arqua un sourcil, amusée malgré elle. Si elle n'aurait jamais voulu en connaitre un de cet acabit, il demeurait son père et cela, elle ne pouvait le changer.
— Vous parlez comme un philosophe.
Il sourit presque gêné, puis caressa la tête de l'animal, installé entre eux.
— Non... juste une personne qui a appris à écouter. Même les silences.
— C'est ce qu'on vous apprend pour devenir vétérinaire ? tenta-t-elle pour le lancer sur un sujet qui la taraudait depuis la veille.
— Démasqué.
Fanny arqua légèrement les sourcils, l'œil pétillant.
— Un véto qui promène des chiens. Voilà une image que je n'avais pas en tête.
Ils rirent de bon cœur, des éclats sincères et bienvenus.
— Dites-m'en plus, cher docteur. Je suis toute ouïe.
— Ne riez pas mais l'idée ne vient pas de moi mais plutôt de lui, commença-t-il tout en désignant l'animal à quatre pattes qui s'était lové tout contre Fanny. Et puis de tous ceux dont je m'occupe au cabinet. Parfois, certains des propriétaires sont dans l'incapacité de donner le traitement qu'il se doit, ni de venir me voir régulièrement pour que je m'en occupe, alors j'ai décidé de les aider, de les accompagner. Parfois leur animal est leur seul compagnon, ce qui les maintient en vie, ce qui leur redonne le sourire au quotidien...
— Alors vous décidez d'aller au-delà de vos compétences. C'est généreux de votre part.
Il haussa doucement les épaules, légèrement gêné par le compliment.
— Et Arthur ? Pourquoi est-il toujours là ?
Son regard se voila un instant, mais son ton resta posé.
— Il appartenait à un vieil homme, Monsieur Abdelaziz, un homme charmant. Il nous a quitté il y a quelques mois. Je n'ai pas eu le cœur de le mettre aussitôt dans une nouvelle famille... alors, je l'ai gardé en attendant de trouver quelqu'un qui saura vraiment l'aimer.
— Il a de la chance de vous avoir, glissa-t-elle dans un souffle.
Il détourna son regard vers le jardin fleuri, un sourire discret flottant sur ses lèvres.
— Je crois que c'est plutôt moi qui ai de la chance.
Un silence s'installa, mais il n'avait rien de pesant. Juste une paix fragile, comme un souffle suspendu. Un silence dont elle avait besoin.
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