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La route s'étendait devant elle telle une échappée impossible. Le moteur grondait, ses mains cramponnées sur le volant. traduisaient la tension qui la submergeait encore. Elle roulait trop vite, comme si la vitesse pouvait la libérer de ce qu'elle avait laissé derrière elle. Dans sa tête, la voix de son frère jumeau résonnait à tue-tête comme un vieux disque rayé. Son regard blessé, sa colère contenue et surtout ses mots prononcés dans la serre : "tu voulais écrire des histoires. Alors, commence par celle-ci. Raconte ce que t’as fui. Ce que t’as perdu. Et ce que tu veux réparer." Un mélange de reproche et d'espoir, une main tendue qu'elle n'avait pas su saisir, trop énervée, trop rancunière. Lucas lui manquait déjà. Ce séjour à Embrun, chargé de tristesse malgré tout, leur avait permis de se rapprocher, de recoller quelques morceaux de cet amour morcelé.

À ses cotés, sur le siège passager, Romain gardait le silence. Cramponné à la poignée de maintien, il regardait sa sœur défier l'horizon. Il avait senti qu'il valait mieux attendre qu'elle se calme avant de lancer le sujet qui lui brûlait les lèvres. Bien qu'il avait quitté la pièce prématurément, faisant front à son père, Romain n'avait rien raté de la pagaille que Fanny avait semée. Il ne pouvait que la comprendre, et la soutenir, lui-même ayant été victime de l'autorité complexe de leur père. Il en avait fait les frais, perdant son amour de jeunesse au détour d'un chantage. Et pourtant, cela le rendait triste, triste pour elle, et surtout pour Maxime, qui avec les années, avait tenté de se racheter de ses maladresses. Mais Fanny s'était absentée bien trop longtemps, et sa douleur reflétait celle d'une adolescente abandonnée, d'une jeune femme brisée.

Au bout d'une centaine de kilomètres, Romain finit par se tourner vers elle, une pointe d'inquiétude dans la voix.

— Tu comptes battre un record de vitesse, ou bien tu veux juste m'impressionner ?

Un sourire fugace effleura ls lèvres de Fanny.

— J'essaie juste de mettre de la distance, répondit-elle, sans détourner les yeux de la route.

— Avec la maison ? Avec papa ? Ou avec ce que tu refuses de dire à Lucas ? insista-t-il doucement.

Fanny sursauta légèrement. Elle lui jeta un coup d'œil rapide, tout en fronçant les sourcils.

— Quoi ? Tu écoutes au portes maintenant ?

— Pas besoin, dit-il en haussant les épaules. tu crois vraiment que ça ne se voyait pas ? Que t'avais encore une boule coincée dans la gorge ?

Ses yeux s'embuèrent. Elle renifla avant de reprendre :

— Certaines vérités sont trop lourdes à poser sur les épaules de ceux qu'on aime.

— Ouais. Et c'est plus juste d'endurer ça toute seule ?

— Rom'...souffla-t-elle.

— T'as peut-être raison, mais si tu veux que Lucas comprenne un jour...faudra bien que quelqu'un conte cette histoire, celle qui t'a fait dévier de notre chemin.

Fanny eut un rire bref.

— T'écoutais bien aux portes ! Je le savais ! lança-t-elle un brin moqueuse malgré ses yeux rougis.

Levant les mains en l'air pour se défendre, Romain éclata de rire, un rire contagieux qui la contamina en un rien de temps.

Dehors les peupliers parsemés d'éclats de soleil, défilaient devant leurs yeux, tatouant la route de reflets dorés. L'atmosphère plus détendue rendit le voyage un peu moins chaotique et les confidences se firent plus naturelles. La colère et les larmes s'étaient dissipées pour retrouver cette complicité qu'ils avaient toujours su garder intactes malgré les aléas et la fuite de Fanny vers Paris. Romain était de loin celui qui la comprenait le mieux, et puis surtout, celle qui ressemblait le plus à leur mère et d'un certain sens, sa présence le réconfortait, bien plus qu'il n'aurait voulu l'avouer.

Romain tapota distraitement ses genoux avant de lâcher, tel un enfant impatient :

— J'ai eu ma réponse pour Continental...

— Quoi ! s'exclama Fanny en déviant son regard de la route. Et ?

— J'ai eu le poste.

— Et tu attendais quoi pour me le dire, répliqua-t-elle lâchant le levier de vitesse pour lui donner une petite tape sur l'épaule.

Romain rit, attrapa la main de sa sœur et la plaça doucement sur le volant.

— Peut-être le bon moment... ou juste que tu sois moins en colère contre la Terre entière.

Elle roula des yeux mais son sourire lumineux trahissait ses sentiments.

— T'es vraiment insupportable, tu sais ?

— C'est pour ça que tu m'aimes, non ?

— Et tu commences quand ?

— La semaine prochaine.

Ils échangèrent un long moment sur ses prochains voyages, les sites qu'il devait magnifier à travers son objectif, ce qui fit doucement rêver Fanny. Elle se promit de terminer le livre "un voyage inattendu" et de goûter à ces destinations qu'elle avait laisser dormir sur le verso du marque-page.

Le silence reprit sa place dans l'habitacle, plus doux, plus serein et pourtant, il y avait encore mille et unes questions qui taraudaient Romain. Il profita d'un café dans l'aire de repos pour lancer un sujet épineux.

— Au fait, Fanny, c'est qui Alexis pour toi ?

Le prénom la heurta de plein fouet. Elle avala une gorgée de café avant de répondre, l'air faussement détendu :

— Pourquoi tu me demandes ça ?

— Parce que t'as balancé son nom comme une bombe ce matin, et à en croire le visage de papa, il captait encore moins que moi. Alors, je voudrais comprendre.

Elle laissa quelques secondes flotter au -dessus d'eux, comme pour essayer de rassembler des idées.

— C'est mon patron. Mon directeur marketing.

— Ce n'était pas le poste que tu convoitais ? Je croyais que...

— Bah tu croyais mal.

Romain la fixa un instant, les sourcils froncés. Les pièces du puzzle semblaient complètement désassemblées.

— Attends...Donc, c'est lui qui a pris le poste de Roger ?

— Oui exactement.

— Je comprends mieux pourquoi tu lui en veux à ce type.

— En réalité, je ne lui en veux pas à lui, enfin, je ne sais pas, c'est juste que, y'a un truc louche et j'arrive pas à avoir la main dessus.

— Mais, je comprends pas. Quel est le rapport avec papa ?

Elle eut un rictus amer et finit par lâcher qu'elle avait trouvé le numéro de son patron dans les contacts téléphoniques de leur père. Le visage de Romain se décomposa, comme s'il revivait le film de sa vie : les manipulations, les non-dits, les secrets. Et si Maxime n'avait finalement jamais changé ? Cette simple pensée lui brisa le cœur. Il avait pourtant vu à quel point son père se démenait pour se laver de cette figure paternelle autoritaire. Mais lorsqu'il s'agissait de Fanny, la raison semblait s'effacer.

Il dévisagea sa sœur, une peine non dissimulée.

— Et Alexis, tu lui as posé la question ?

— J'ai essayé mais à chaque fois... Je veux dire...J'ai jamais réussi.

— Et tu vas laisser cette histoire te miner, ternir ce visage magnifique, fit-il tout en lui caressant la joue, d'une attitude fraternelle.

Elle plongea ses prunelles océan dans celles de son frère, deux grands yeux aux nuances caramel qui lui rappelaient ceux de sa mère, cette beauté atypique hindou dont chacun d'eux avaient volé un éclat. Romain avait ce don de toujours lui remonter le moral. Elle lui offrit un sourire timide avant de se ressaisir.

— t'as raison. Demain, dès que je retourne au boulot, je lui demande des comptes.

— Voilà une attitude de gagnante. Une vraie Coste !

— Tu parles comme Maxime.

— Il y a un peu de lui en chacun de nous, même quand on s’y attend le moins.

Fanny fit face à une vérité qu'elle avait toujours fuie et malgré toute la rancune et la colère accumulées, une part d'elle-même portait l'ombre de Maxime.

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