Un garage

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Qu’il en avait marre d’entendre ses vieilles dames le complimenter sur son charmant visage, son joli teint hâlé, ses magnifiques yeux verts… ce n’était pas comme si Laurel cherchait à les séduire, bien au contraire ! De plus, il n’était pas du tout porté sur les femmes ayant dépassé la date de péremption, ni même les femmes plus globalement… Il appréciait plutôt la sensualité naturelle des mâles. D’ailleurs, dans la pharmacie dans laquelle il travaillait, les beaux jeunes hommes ne se pointaient pas souvent devant son comptoir, pour ne pas dire jamais. Les jeunes et la santé, décidément pas leur priorité…

Il ne restait qu’une dizaine de minutes avant la pose du midi quand déboula dans la pharmacie un jeune homme dont le visage lui parut immédiatement familier. Les deux se figèrent un instant alors qu’ils se reconnaissaient mutuellement. Des yeux subtilement bridés, un teint mat si seyant, des pommettes envoûtantes… Oui, c’était bien lui !

— Mickaël ? s’écria alors Laurel sans cacher son étonnement.

— Ça alors… Laurel, j’savais pas qu’tu bossais ici ! répondit Mickaël d’une égale surprise.

Laurel se mit alors à lui expliquer très-très-très succinctement la raison de sa présence ici : emploi saisonnier, en somme rien de bien extraordinaire. Cela faisait bien cinq années que les deux garçons ne s’étaient pas revus ; depuis la fin du lycée, leurs chemins s’étaient séparés et aucun des deux n’avait cherché à garder contact, encore moins le renouer ! Pourtant, à cette époque, ils trainaient tout le temps ensemble, mais Laurel était alors trop timide et préféra passer à autre chose une fois le baccalauréat décroché, persuadé de l’unilatéralité de ce qu’il ressentait.

Néanmoins, présentement, Mickaël avait l’air radieux en voyant Laurel, et cela lui faisait immédiatement chaud au cœur comme chaque fois qu’il eut été honoré de sa présence autrefois. Mickaël lui fila son ordonnance tout en se mettant à parler sans que Laurel ne réussisse à répondre sans bafouillages ridicules, ce qui avait pour effet d’amuser son interlocuteur.

Visiblement pressé, il le remercia et repartit dès qu’il reçut ses médicaments, déclarant espérer le revoir ultérieurement. Laurel resta alors planté là, l’esprit incrédule face au bref instant qu’il avait eu la chance de pouvoir partager avec lui…

Après la pose, il reprit son service, la tête emplie de pensées énamourées.

Sa journée de travail enfin terminée, Laurel fut de retour chez lui. À peine eut-il posé ses affaires qu’il entendit depuis l’étage sa mère lui sommer de préparer le vide-greniers de ce weekend. Il se dirigea tout droit en direction du bureau où tout plein d’affaires y étaient entreposées, prêts à être descendus au rez-de-chaussée. Il ne se mit pas au boulot tout de suite pour autant, il voulait souffler, repenser à son ancien ami enfin retrouvé, à ses moments passés ensemble où ils avaient été bien silencieux, les regards ailleurs, fuyards, les échanges gênés…

Il se mit soudainement à fouiller dans les étagères, loin des affaires à bazarder, à la recherche de quelque chose, un souvenir précieux… Voilà ! Photos de classe des années lycée. Il les ouvrit et se perdit à les contempler… Enfin, surtout à contempler Mickaël, à observer ô combien avait-il mûri physiquement en trois années de temps ; et surtout la photo de terminale, où ils s’étaient retrouvé assis côte à côte, leur proximité et le lien spécial qu’il aimait imaginer les unir immortalisés pour toujours sur le papier. Il se perdit encore quelques minutes dans ces songes pleins de tendresse, ressentant ce souhait profond de le revoir, de le côtoyer à nouveau, d’apprendre vraiment à le connaître cette fois-ci en-dehors même du cadre amoureux…

L’heure de se mettre au boulot arriva bien vite ; après tout, ce vide-greniers n’allait pas s’organiser tout seul ! Il déballa plein de cartons et vida plein de rangements pour en sortir moults babioles à l’utilité discutable. Au bout d’un moment, il tomba sur ce qui semblait être une petite amulette, artefact folklorique appartenant sans aucun doute à sa mère, étant elle-même, certes d’origine kabyle comme toute sa famille, mais surtout assez superstitieuse. L’amulette était poussiéreuse, alors Laurel frotta dessus avec sa manche pour le lustrer, quand tout-à-coup l’objet vibra, chauffa puis s’illumina d’une lumière qui le força à se couvrir les yeux. Lorsqu’il put enfin les rouvrir : rien, hormis une sensation de ne plus être seul… Il se retourna et tomba nez à nez avec une inconnue jeune fille au teint noir et du même âge, le faisant violemment sursauter sur le coup.

— Bonjour Laurel, je suis Aziza la Fée. Que puis-je pour toi ?

— Comment ça « Que puis-je pour toi » ? Je n’vous ai rien demandé !

— Ah ? Eh bien, au plaisir, dit-elle en disparaissant aussitôt dans un soupir.

Laurel resta là, bouche bée, ne comprenant pas ce qui venait de se produire sous ses yeux… Il frotta alors une nouvelle fois l’amulette et reçut concomitamment une violente frappe sur la tête, il se retourna par réflexe et vit derrière lui Aziza la Fée, contrariée, lui demandant alors :

— Pourquoi m’appelles-tu encore alors que tu n’as rien à me dire ? Tu cherches à me provoquer ? à me faire perdre mon temps ? Je suis une femme surbookée !

— Bah, euh… désolé… Je voulais juste vérifier que vous étiez liée à l’amulette de Maman… avoua-t-il en se frottant la tête pour apaiser sa douleur. Mais d’ailleurs, pourquoi est-ce que vous apparaissez lorsque je la nettoie ?

— Frotter l’amulette tout en ayant l’esprit préoccupé est pour moi un signal d’appel. Je suis la fée des causes désespérées, en quelque sorte la sainte Rita des incrédules, et suis donc toute à toi afin de t’aider à réaliser quelque chose qui te tient profondément à cœur. Dis-moi donc ce qui te tracasse et je t’assisterai.

C’est que cela tombait vraiment bien ! Laurel avait bien envie de réaliser quelque chose qu’il n’avait pas eu le bonheur de vivre quelques années auparavant…

— Je voudrais tellement être l’amoureux de Mickaël, annonça Laurel un peu honteux tout en montrant le visage de son cher et tendre sur la photo de classe. Je suis sûr qu’il y a quelque chose entre nous, et même tout à l’heure, je ressentais un truc impossible à décrire !

Elle sembla déchiffrer la photo qu’il lui présentait puis hypothétisa :

— Extrême-oriental ?

— Physionomiste à ce que je vois… ajouta-t-il sarcastiquement.

— Ne dénigre pas, je te prie, mon sens de la déduction !

Elle se calma d’un coup et reprit.

— Bref… Je vois que j’ai affaire à un petit cœur d’artichaut ! Je ne peux pas faire en sorte qu’il ait pour toi les mêmes sentiments que ceux que tu lui portes ; l’amour doit se vivre sincèrement mon p’tit chou ! Cependant je peux t’aider à te rapprocher de lui, afin que vous découvriez si vous êtes faits l’un pour l’autre.

Il s’approcha promptement d’elle et s’agenouilla à ses pieds, comme prêt à la supplier.

— Évidemment, je veux apprendre à le connaître, rattraper le temps perdu !

— Je sens qu’au fond de toi tu rêves d’un grand voyage… annonça-t-elle en se dandinant telle une prophétesse. Ainsi commence ton épopée, VOTRE épopée ! Quant à moi, je serai votre conseillère, votre guide. Allez ! rejoignons ta voiture, afin que nous partions sans tarder pour l’aventu…

— Attends ! interrompit Laurel de peur qu’elle ne s’en aille précipitamment. Et mes parents, alors ? Qu’est-ce que je leur dis ? Je ne vais pas m’absenter comme ça sans rien dire !

— Ne t’en fais pas mon p’tit chou, je vais leur troubler l’esprit, de sorte qu’ils ne remarqueront pas ton absence.

Il ne savait pas si cela le rassurait vraiment, ce n’était pas très correct vis-à-vis d’eux… Mais une chose était sûre, Laurel voulait revoir Mickaël, et ses parents ne le comprendraient guère. Alors, il se décida à quitter la maison, ni vu ni connu, accompagné d’Aziza la Fée. Ils s’installèrent dans la voiture de Laurel, prêt à mettre le contact et démarrer.

— Au fait, où est-ce qu’on va ? demanda Laurel en prenant conscience qu’il ne savait rien de ce qu’il était en train d’entreprendre.

— Là où se trouve celui que tu recherches, répondit-elle avec un sourire qui lui inspira assez peu de confiance.

Aziza la Fée claqua alors des doigts, faisant ronronner très fort la voiture, et à peine eut-il effleuré la pédale d’accélération que le véhicule fusa dans les rues de la ville à une vitesse qui ne le permettait pas d’avoir le moindre contrôle dessus. Pris d’effroi à cause d’une situation ayant trop brutalement dérapé à son goût, il hurlait à la mort tandis que sa copilote se réjouissait des sensations fortes procurées par ce trajet endiablé. Malgré sa vitesse folle et sa conduite brusque, la voiture évitait tous les obstacles qui se dressaient devant elle en klaxonnant sans gêne aucune…

Alors que Laurel s’accrochait au volant comme à sa vie, il vit une maison au loin droit devant… Il pressentit qu’ils se dirigeaient dessus, alors, à deux doigts de voir sa vie défiler devant ses yeux impuissants et exorbités , il cria encore et encore :

— ARRÊTE-TOI ! ARRÊTE-TOI !

— NON, VAS-Y ! hurla-t-elle en même temps toujours dans son euphorie surréaliste. FONCE, FOOOONCE !

La voiture écouta cette dernière, accéléra puis défonça la porte du garage pour s’écraser contre le lave-linge qui trônait là paisiblement… Le corps de Laurel fut propulsé tout entier contre le volant, lui coupant brièvement la respiration, et la voiture klaxonna aussi fort qu’elle en avait percuté l’appareil ménager. Aziza la Fée se marrait bien de son côté et lança :

— Voyons mon p’tit chou, ne fais pas ta mijaurée, t’avais qu’à rouler moins vite !

— NON MAIS ÇA VA PAS LA TÊTE ? hurla-t-il après avoir récupéré son souffle. Je n’ai rien contrôlé du tout ! Et puis, comment ça « ma mijaurée » ? On aurait pu se TUER !

— Aucun risque, voyons ; je contrôle totalement la situation !

— Je rêve là, t’as pas l’air de comprendre… on vient de PÉNÉTRER par EFFRACTION chez QUELQU’UN, et on a CASSÉ leur LAVE-LINGE !

— Tu appelles cela « cassé » ? Il est complètement EXPLOSÉ, tu veux dire ! reprit-elle en éclatant de rire.

Infiniment exaspéré, Laurel se regarda plutôt dans le rétroviseur : rien, indemne, pas même une égratignure. Au moins elle lui avait épargné de finir blessé, mais cela ne l’empêchait pas de regretter être parti à l’aventure avec une démente pareille… En revanche, le garage dans lequel ils s’étaient échoués était bel et bien sens dessus dessous.

Soudain, alors que la voiture continuait à klaxonner comme un soir de victoire des Bleus à la Coupe du monde, les vitres latérales se baissèrent ; Laurel vit la porte qui menait au reste de la maison s’ouvrir et la personne qui se présenta…

— Lau… LAUREL ? s’écria Mickaël choqué de voir ce qu’il voyait.

Cette fois-ci, Laurel vit vraiment sa vie défiler devant lui.

— Mickaël, je… je peux tout t’expliquer !

— Eh bien tu l’expliqueras devant les policiers sombre fils de p…

— Maître Mickaël ! Maître Mickaël ! répéta une nouvelle voix robotique en plein cœur du chaotique garage.

Les deux garçons bondirent à l’écoute de cette interpellation inopinée, ils se tournèrent alors en direction de l’origine de la voix…

— Le lave-linge ? soupirèrent-ils ensemble.

— Maître Mickaël, dit une nouvelle fois le lave-linge, ne vous énervez pas, ne vous énervez pas ! Mais vous avez terriblement besoin de vacances.

Le lave-linge doubla aussitôt de volume et aspira Mickaël en son sein avant de le recracher dans les airs. Ce dernier fut réceptionné par la voiture de Laurel qui ouvrit son toit et le fit retomber sur la banquette arrière. Laurel, ahuri par ce spectacle, se tourna mi-affolé mi-courroucé vers Aziza la Fée. Néanmoins, cette dernière, sereine au possible et comme apte à lire dans ses pensées, anticipa la question et dit avec l’air persuasif d’une vendeuse d’attrape-nigauds :

— Oui, désormais c’est une décapotable.

Laurel craignit ensuite pour Mickaël, vu le vol plané qu’il avait fait dix secondes plus tôt, et se tourna vers lui : assommé. Bon sang… pourvu qu’à son réveil il ne lui prenne pas l’envie de l’assassiner !

La voiture redémarra et fit marche arrière, Laurel s’agrippa donc à son siège tandis que le garage tantôt saccagé se remettait en ordre lui-même.

Une fois dans la rue, la voiture ronronna une nouvelle fois, prêt à faire de nouvelles dingueries. Laurel jeta un dernier coup d’œil en direction de Mickaël, s’assurant qu’il allait « bien », alors qu’Aziza la Fée annonça fièrement :

— En route pour l’AVENTURE !

Puis la voiture s’enquilla à toute berzingue vers un nouvel horizon, klaxonnant de joie.

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