Chapitre 2

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250 ml d'eau, une cuillère à café de sucre, une pincée de sel et 100 g de beurre.

"Suite à un signalement reçu par nos services."

Ébullition, beurre fondu, retirer du feu.

"Une enquête sociale est ouverte concernant la situation de votre fille."

150g de farine tamisée, mélanger vigoureusement à la spatule, obtention d'une pâte homogène.

" Entretien le vendredi 4 janvier."

Remettre la préparation sur le feu, dessécher la pâte jusqu'à décollement des parois, former une boule.

"Un signalement reçu par nos services."

Verser la pâte dans le bol du pétrin, laisser tiédir 5 minutes, incorporer les œufs un à un.

" Enquête sociale ouverte."

Pâte souple, lisse et légèrement brillante.

" Situation de votre fille".

Former un ruban lorsqu'on soulève la feuille.

" Enquête sociale ".

La pâte retombe et forme un bec.

"Situation de votre fille."

- Audrey fait attention! S'exclame Amanda auprès de la nouvelle stagiaire.

Tournant la tête vers la jeune fille, je l'aperçois se tenir la main. Elle s'est brûlée. Amanda, notre patronne et propriétaire de la pâtisserie Le Petit Palais se dirige vers elle pour s'enquérir de son état.

Un coup d'œil vers le pétrin, je m'assure de la texture de ma pâte à choux, prenant le temps de me reconnecter au monde.
La lettre du Service de Protection de l'Enfance tourne en boucle dans ma tête. Je n'arrive pas à m'en défaire. Je réfléchis encore et encore, cherchant avec acharnement la cause de ce signalement.

Pourquoi ? Pourquoi ouvrir une enquête à mon sujet ? Maevis est mon diamant, mon trésor. C'est ce que j'ai de plus cher. Alors pourquoi ? Où ai-je fauté ? Qu'ai je fais ? Qui m'a signalé ? Pourquoi ?

Tout mon être ne cesse de réfléchir, analyser , déchiffrer le moindre indice sans résultat.

Je me sens fatiguée, exténuée. Je veux rentrer à la maison. Pleurer. Dormir. Prendre ma fille dans mes bras et ne rien faire d'autre. Mais ce privilège m'est inaccessible. Je dois continuer à travailler. Je dois continuer à avancer. Faire comme si de rien n'était. Non, je n'ai pas droit au répit.

Je soupire et m'attelle à pocher ma pâte. C'est alors qu'Amanda s'adresse à moi.

- Ça n'a pas l'air grave, mais je préfère emmener Audrey aux urgences pour avoir le cœur net. Échange de place avec Sophie. Tiens la caisse et dis lui de venir en cuisine.

Je fronce les sourcils. Rester derrière la caisse n'est pas vraiment ce que je préfère et je ne comprends pas la raison de cette demande.

- Je pense pouvoir continuer les préparatifs seule Amanda.

- Je ne pense pas non. Ça fait un moment que je t'observe et tu n'es clairement pas dans ton assiette aujourd'hui. Me répond ma patronne.

- Mais je n'ai fait aucune erreur, insistai-je.

- On peut utiliser les mêmes ingrédients, suivre les mêmes étapes et avoir tout de même un résultat différent. Cuisiner est donné vie à une partie de soi même, déposer sa propre touche. Chaque entremet est une création. Et pour créer il faut du cœur. Mais aujourd'hui ton esprit est absent Vanessa et il ne m'est pas difficile de le remarquer ma chère.

Je ne réponds rien. Je sais qu'elle a raison. Je m'abstiens alors à faire ce qu'elle me demande. Je prends la place de Sophie et sert le client qui n'a pas l'air content du changement de personnel. Il préfère apparemment la jolie rouquine souriante. Rien à cirer, je continue comme si de rien n'était et lui sert sa commande avec un sourire totalement faux plaqué aux lèvres. Il s'en vas sans rien dire, pas de remerciement, aucun mot à mon égard. Mais je suis quand même obligée de lui souhaiter bonne journée ce qui est le contraire de ce que j'espére réellement. Déjà que je passe un mauvais moment, je n'ai pas besoin qu'on en rajoute.

À nouveau seule, je laisse libre cours à mes pensées. C'est ainsi que mon esprit retourne à ma première nuit en France. On venait juste d'avoir dix-huit ans, l'âge adulte. Nouveau départ, nouvelle vie et donc nouveau pays. Mais atterrie dans ce territoire étranger, ce n'est pas la joie, l'euphorie ou l'excitation que je ressentais. Non , pas du tout, je me sentais perdue.

J'avais l'impression que toutes les personnes passant à nos côtés nous dévisageaiant, nous jugeaient. Je ne me suis jamais sentie aussi médiocre que lorsque j'essayais de parler français et que mon interlocuteur ne faisait que froncer les sourcils me répondant aussitôt en anglais. Une autre langue que je ne maîtrisais pas. Mettant ainsi fin à notre discussion qui n'en a jamais vraiment été une.

Raphaël, lui, s'en sortait mieux que moi . Il avait plus d'aisance avec les langues. D'ailleurs il a toujours été l'intellectuel entre nous deux. Moi, je préférais ce qui était pratique et manuel. Mais malgré son allure assurée, je voyais bien son désarroi à lui aussi, on avait nul part où aller, nul part où dormir et on galèrait à obtenir des renseignements. La nuit devenait de plus en plus dense et on était toujours dehors, je tremblais de froid comme de peur. C'est alors que Raphaël glissa sa main dans la mienne, m'apportant un minimum de chaleur et de réconfort. Mes yeux retrouvèrent les pupilles vertes tachetées de doré de mon frère. Mon jumeau, ma moitié, mon tout. Oui, j'étais perdu mais pas seule.

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