Chapitre 4

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Les barreaudages du portail métallique me surplombent. La sensation d'entrer dans une cage ne me quitte pas. Je suis comme prise au piège. J'aimerais fuir. M'éloigner. Mais mes pas me rapprochent de plus en plus de cet endroit qui me hante. Mon cauchemar se matérialise, et je ne fais que m'enfoncer dedans. Je pénètre dans la salle d'attente. Je doute, j'hésite puis je capitule.

- Bonjour, m'entendis-je dire d'une voix tellement rêche que je faillis ne pas la reconnaître.

Le réceptionniste ne réagit pas tout de suite, me faisant douter sur le fait qu'il m'ait entendu ou non. Je m'apprête à me répéter quand il relève enfin la tête vers moi et dit :

- Bonjour Madame, c'est pour ?

Je serre la convocation qu'on m'a envoyé dans la main et fini par la déposer sous ses yeux. Mon vocabulaire réduit au minimum, je réussis tout de même à articuler :

- J'ai un rendez-vous.

Mon interlocuteur me regarde un instant, avant de prendre la feuille que je lui ai présenté.

J'ai l'impression de revenir six ans en arrière. D'être à nouveau cette petite étrangère qui avait du mal à se faire comprendre à cause de son niveau de langue. Pourtant ce n'est plus le cas à présent. Aujourd'hui , je peux affirmer, que je parle couramment la langue de Molière. Certes mon accent trahi mon origine espagnole, mais rien de grave.

Pourtant je ne cesse de chercher dans le regard des gens le moindre indice d'un jugement porté à mon égard. Je sais que ce n'est pas le cas. Que tout cela se joue dans mon esprit. Mais je n'arrive pas à arrêter ce flot de pensées. Surtout pas maintenant que je suis réellement jugée par des personnes doutant de ma capacité à prendre soin de ma fille.

- Veuillez attendre quelques minutes et je vous conduis au bureau de Madame Dupont. Tout en me répondant, il m'indique d'un geste de main les chaises d'à droite.

Je prends place à l'endroit indiqué. Le métal froid me fait frissonner, et le grincement du siège accentue mon malaise. Ma jambe martèle le parquet et mes doigts triturent la sangle de mon sac.

Comme un étudiant avant l'examen, je répète dans ma tête toutes les réponses que j'avais préparées auparavant avec Raphaël . Stressée, je l'avais réveillé en plein milieu de la nuit, pour qu'il m'aide à imaginer les questions posées à ce genre d'entretien.

Je n'ai pas le temps de tout repasser en mémoire que le réceptionniste m'interpelle déjà. Dans ma hâte, je trébuche en me relevant manquant de peu de faire connaissance avec le sol. Le karma de m'être défoulée sur lui plutôt.

On traverse ensuite un couloir gris aux murs impersonnels. Tout ici renvoie à la froideur, contrastant fortement avec l'image de ma petite chérie. Le destin de ma lumière sera pris dans cette pénombre.

Trois coups à la porte, suivi d'un "entrez" me rappellent à la réalité. Je me retrouve à présent face à une femme à l'expression neutre, s'accordant parfaitement à l'aura du lieu.

- Bonjour, Madame Sanchez, installez vous je vous prie.

La voix de Madame Dupont est posée, ni chaleureuse, ni froide. Son regard ancré au mien, me donne l'impression qu'elle fouille  mon esprit. Je prends place en face d'elle, rassemblant tout mon courage pour affronter l'interrogatoire qui suivra.

- Connaissez-vous la raison de votre convocation aujourd'hui ? Dit-elle en feuilletant un dossier.

J'essaie discrètement de jeter un coup d'œil aux feuilles qu'elle lit. Celles qui décrivent sûrement ma situation. Mais je n'ai pas le temps de déchiffrer quoi que ce soit qu'elle referme déjà le document me fixant à nouveau.

- Vous avez mentionné un signalement dans la lettre. Je finis par répondre en répétant intérieurement les instructions de mon frère : "Répond de façon courte, claire et nette. N'hésite pas. Ne panique pas. Montre leur que tu n'as rien à cacher."

- Vous êtes jeune. D'après ce qui est mentionné, vous avez accouché à l'âge de dix-neuf ans. Vous ne trouvez pas cela difficile d'être mère aussi tôt ?

Ce changement de sujet me déstabilise. Je m'attendais plutôt à ce qu'elle m'informe de la nature de ce signalement. Ignorant mon trouble, je garde un ton calme et réponds :

- L'amour d'une mère ne se mesure pas aux nombres qui constituent son âge.

Aucune réaction, elle continue sur le même ton.

- Étant célibataire, vous vivez seule avec votre fille n'est-ce pas ?

- Non. Nous habitons avec mon frère.

- Et comment s'organise la garde ?

- Je travaille beaucoup mais suis tout de même présente pour ma fille. Mon frère m'aide énormément aussi.

Ses doigts tapotent le stylo contre la surface lisse du bureau. Le rythme qu'elle tient est en parfaite harmonie avec le tic tac de l'horloge. Elle décortique chaque mot, chaque geste de ma part. Son visage inexpressif , me trouble. Mes réponses sont elles convaincantes ou non ?

- Qui garde votre fille pendant vos horaires ?

- Elle va en maternelle, elle est à présent en grande section. Ma patronne m'autorise à la ramener avec moi lorsqu'elle n'est pas à l'école.

- Vous arrivez donc à gérer votre travail et les responsabilités de votre fille. Insiste-t-elle en m'observant.

Qu'insinue-t-elle ? Que je néglige ma fille ? Sa remarque me blesse. Mes doigts serrent mon sac. Je ne dois pas montrer de doutes. Mais ma voix résonne moins fort lorsque je réponds :

- Oui. C'est bien cela.

- Il est tout de même mentionné plusieurs retards répétés à la sortie de l'école, dans le rapport.

Mon sang se glace. Je déglutis et essaye de me défendre.

- Ce n'est pas par négligence. Mon lieu de travail est un peu éloigné de l'école. Et les jours de pluie, les embouteillages sont insupportables.

L'encre se déverse sur les pages blanches de son carnet comme le désespoir et la peur se propagent dans mon âme.

- Comment est votre relation avec les autres parents d'élèves ?

Un silence s'installe dans la salle. Les autres parents d'élèves ? Je ne les vois que très peu. Par manque de temps et d'envie aussi. Pour la majorité plus âgés que moi, j'évite d'affronter leurs regards et questionnements. Mais ce n'est pas ce qui m'inquiète. Si jusque là, je ne comprenais pas la raison de ce signalement. Tout s'éclaire dans ma tête maintenant. Je me souviens. Je comprends. Mon cœur bat à vive allure. Mes yeux s'embrouillent. C'est donc pour cela.

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