Chapitre 14
- Donc on va avoir une nouvelle maison ?
Toutes les deux assises sur le lit, je peigne les cheveux bruns de ma petite fille.
- Oui, on va vivre un moment avec Eden, mon ami docteur, tu t'en souviens ?
Maevis et Eden se connaissent, ils se sont croisés plusieurs fois et ce dernier lui avait offert un jouet sous forme de stéthoscope. Mais je préfère tout de même m'assurer que ma fille a bel et bien compris de qui je parle.
- Oui je sais c'est qui. On a guéri ensemble mes poupées. S'exclame ma fille. Mais pourquoi on va vivre dans sa maison ? Tu es malade ?
Les questions innocentes de ma fille résonnent autrement dans mon esprit. Je n'étais pas malade mais impuissante. Était-ce si différent que cela en fond. L'une touche le corps, l'autre l'esprit. L'une est apparente, l'autre non. Mais toutes les deux rongent leur propriétaire.
- Mama ?
Ne comprenant pas mon mutisme, ma fille se retourne vers moi et me fixe de ses yeux verts.
- No, querida, je ne suis pas malade. La rassurai-je en lui souriant tendrement. Mais notre ancienne maison doit être réparée, alors on a besoin d'un nouvel endroit.
- Et ici ? C'est pas notre nouvelle maison ? Me demande-t-elle en ouvrant les bras pour montrer la chambre d'hôtel.
- Non ici c'est un hôtel. Quand on a besoin d'un endroit où dormir, on reste ici quelques jours puis chacun repart chez lui. Lui expliquai-je en essayant de simplifier les choses.
- Mais chez ton ami le docteur c'est pas chez nous. Me fait-elle remarquer.
Mon cœur se serre. Ce n'est pas chez nous effectivement. Je n'ai même pas réussi à lui offrir un chez nous. Ma gorge se noue, mes yeux me piquent mais je continue à sourire face au regard inquisiteur de ma fille.
- Eden nous prête sa maison querida. Pendant un moment on vivra ensemble, Eden, toi et moi.
- Et tío ? Il va pas venir avec nous ? Demande Maevis, une petite moue au visage.
Mon cœur explose. Tout mon être crie. Je tourne ma tête sur le côté pour empêcher Maevis d'apercevoir mes larmes. Peine perdue, ma fille tend la tête et les remarque. Je vois l'incompréhension se peindre sur son visage. Et c'est tout naturellement qu'elle vient se blottir contre moi.
C'est avec toutes les peines du monde que je réprime mes sanglots. Déjà que je pleure devant Maevis, il ne manquerait plus que je me laisse davantage abattre sous ses yeux.
Mes bras entourent son petit corps. Mes doigts caressent ses cheveux et mes lèvres se pressent continuellement sur le haut de son crâne.
- Vous êtes fâchés ? Me demande Maevis.
Mon cœur pulse à un rythme effréné. Ma cage thoracique ne lui suffit plus. Tout s'enchaîne dans mon esprit. Un bourdonnement affreux s'immisce dans ma tête. Mais encore une fois je sourie à ma fille. Mon corps et mon esprit en parfait désaccord.
- Non, on est pas fâché tous les deux. Mais tío Raphaël a beaucoup de travail tu sais ? Et chez Eden c'est loin de son travail, alors il va rester chez un ami à lui.
- Jusqu'à ce qu'on trouve un nouveau chez nous ? S'empresse de demander Maevis, l'espoir illuminant son regard.
En essuyant les larmes qui ruisselaient sur mes joues, je lui réponds.
- Oui, jusqu'à ce qu'on trouve un nouveau chez nous.
***
Le lendemain matin, je me retrouve face au miroir de la chambre. Dans le village où j'ai grandi, on racontait qu'un ancien miroir se trouvait au sous-sol de la cathédrale, celui de La Dama Blanca.
C'était une jeune femme à la beauté exceptionnelle, qui vivait au Moyen-Âge. Alors qu'elle était amoureuse d'un simple berger, son père l'obligea à épouser un noble chevalier. La nuit de ses noces, la jeune femme, vêtue de sa robe blanche, s'enfuit dans la forêt et disparue à jamais. La seule chose qu'on retrouva au plein milieu des bois était un mystérieux miroir apparu de nulle part. Depuis ce jour, avant de se marier, les jeunes femmes allaient voir leurs reflets dans celui-ci. Si l'amour était pur, le miroir brillait d'une lumière blanche et affichait le reflet de l'être aimé. Mais si cela n'était pas sincère, une brume couvrait l'image du conjoint et La Dama Blanca glaçait le cœur de ceux qui se mariaient par intérêt.
C'est ce que la légende disait. Mais comment voir l'image de notre partenaire si on n'aperçoit pas notre propre reflet. Personne n'avait mentionné cela. Mon cœur était bel et bien glacé, mais aucune réponse ne m'étais fournie.
Le jour J était arrivé. Aujourd'hui je me marie. Mais tout ce que je ressens est un énorme vide. Je me retrouve seule au milieu de cette chambre d'hôtel. Je suis vêtu d'une robe blanche qui m'arrive au dessus des genoux. Le tissu est léger et offre une tombée fluide et aérienne. Le décolleté en V est orné de fines surpiqûres, qui structurent la ligne du buste. Quant à la taille, elle est marquée par une ceinture plissée mettant en valeur ma silhouette.
Ma chevelure brune que j'avais ondulée pour l'occasion, cascadait le long de mon dos. Mon maquillage sublimait les traits de mon visage et faisait ressortir encore plus l'éclat de mes yeux verts.
J'étais belle. Mais ce n'était pas moi.
" Tu penses vraiment réussir ?"
Une voix que je croyais avoir enfin enterrée revient me hanter. Je ferme longuement les yeux pour la faire taire. Ce n'était pas le moment. Pas maintenant.
Ma préparation finie, je fais rapidement mon tour habituel de la chambre pour m'assurer que tout est en place et que je n'ai rien oublié. Mais en ouvrant le tiroir de la table de nuit, je remarque une boîte déposée. Une carte y était collée, avec écrit dessus "bruja".
En ouvrant la boîte, je reste dans un premier temps figée. La surprise passée, mes jambes fléchissent et mon corps s'écroule. Mes larmes coulent et je me retrouve à pleurer et à rire en même temps. Serrant mon présent contre moi, j'ai l'impression de revenir des années en arrière.
Enfant, je trimballais avec moi partout où j'allais ma peluche. Señor, comme je l'appelais, était un ourson portant des lunettes. Un jour alors que je jouais en faisant semblant de prendre le thé, Señor que j'avais installé en face de moi s'était penché. En cours de ce geste, il avait fléchi une jambe alors que l'autre était resté tendu. Ignorante de ce qu'on appelait la gravité à l'époque, je m'étais écriée folle de joie " Señor m'a demandé en mariage". Lorsque des mois plus tard je l'avais perdu, c'était dévasté que je rentrais à la maison en leur affirmant que "Señor m'a quitté".
Dix-huit ans plus tard, voilà que mon frère m'offre à nouveau une peluche ressemblant à celle de mon enfance. Autour de son cou, il avait attaché un mot dans lequel était écrit "Señor 2.0".
Même lors de nos disputes mon frère me soutenait. Dans ce monde de mensonges dans lequel je m'apprêtais à rentrer, il m'offrait la seule réalité à laquelle je pourrais m'accrocher.
La peluche contre la poitrine, c'est automatiquement que ma main remonte vers mon cou, pour toucher mon tatouage d'étoile. Lorsque les marins prennent la mer, ils se repèrent grâce aux étoiles. Pour moi, Raphaël était la mienne. Celui qui me guidait lorsque j'étais perdue.
Mais que faire, lorsque pour arriver au bon endroit, il nous faut emprunter un mauvais chemin ?

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