1. À la recherche du Vieil Adam

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1. À la recherche du Vieil Adam

Aujourd’hui, nous commençons seulement à connaître nos origines. Depuis la fin du XIXe siècle et les théories de Darwin, il est scientifiquement admis que l’être humain descend d’un ancêtre commun aux grands singes. Mais comment sommes-nous devenus « hommes » ? La question du chaînon manquant se pose inévitablement. Où celui-ci se trouve-t-il dans notre arbre généalogique ? Eugène Dubois, un anatomiste néerlandais, pensa l’avoir découvert en 1890, à Java. Mais ce qu’il avait découvert était-il un anthropopithèque (un singe-homme) ou un pithécanthrope (un homme-singe) ?

Il y eut d’autres découvertes au cours du XXe siècle. Il est possible d’évoquer, Lucy (Australopithèque afarensis) qui fut considérée comme la grand-mère de l’Humanité avant d’en devenir, à partir de l’année 1999, une cousine éloignée, suite à de nouvelles découvertes. Abel fut découvert au Tchad en 1995 et, d’après l’anthropologue Ian Cattersall, il aurait à peu près l’âge de Lucy, c'est-à-dire entre 3 et 4 millions d’années. Toujours en 1995, des archéologues découvrent la mâchoire d’un australopithèque anamensis. Il serait âgé de 4 millions d’années au moins. En 2001, deux nouvelles découvertes sont présentées au public : l’Homme Kenyan (Kenyanthropus), et celui que l’on appellera l’Homme Originel (Orrorin tugenensis), âgé de 6.5 millions d’années. Il aurait pu rester le plus vieil hominidé connu si, en 2002, une équipe d’archéologues franco-tchadienne n’avait découvert le crâne de celui que l’on surnommera Toumaï (Sahelanthropus tchadensis). Il serait âgé d’environ 7 millions d’années.

Non seulement l’arbre généalogique de l’Humanité peut changer en fonction des nouvelles découvertes − le changement de place de Lucy en est un exemple connu −, mais cet arbre est largement incomplet. Le paléontologue Yves Coppens en est persuadé, tôt ou tard, nous découvrirons un tronc commun aux singes et aux êtres humains, et donc un ancêtre conjoint. Une fois ce dernier découvert, il restera le plus important à faire : découvrir comment cet ancêtre a donné naissance à ces deux lignées si différentes que sont celle de l’Homme et celles du Primate. Quel facteur a pu favoriser cette scission d’une espèce unique en deux branches principales ? Cette découverte pourrait être lourde de conséquences pour l’avenir de notre espèce comme pour celui du singe, voire pour l’avenir de n’importe quelle autre espèce animale ou végétale, dont nous partageons nos lointaines origines, car un pareil changement pourrait se reproduire.

Si l’hypothèse de l’ancêtre commun s’avérait vérifiée, il faudrait alors se demander comment l’une (ou plusieurs) de ces branches a pu muter, « dégénérer » et donner naissance à autant d’espèces de singes. Du reste, qui sait si notre espèce n’est pas la « dégénérescence » d’une branche ? S’agit-il seulement d’une « dégénérescence » ? Abordé de ce point de vue, le film Planet of the Apes pourrait ne plus ressembler à de la science-fiction. L’image finale de 2001, A Space Odyssey pourrait être lue à la fois comme une régression de l’espèce, une involution, mais aussi comme une évolution vers l’Homo superior. Aurait-il pu exister une ramure qui aurait donné naissance à un autre type d’humains, plus évolué que le nôtre, et qui pour une raison ou une autre, aurait disparu de l’arbre ?

Le cinéma a spéculé sur cette idée. Le mythe de l’Atlantide a offert cette possibilité d’un peuple humanoïde extraordinaire dont l’Homme pourrait être le descendant. L’origine des Atlantes renvoie aux étoiles et non aux grands singes. Sans donner de crédit à l’origine atlante, il est aujourd’hui admis que l’Homme est un enfant des étoiles, comme tout ce qui vit sur Terre. Une question reste posée : puisque nous ne descendons pas du singe mais d’un ancêtre commun, qu’est-ce qui a fait de nous ce que nous sommes ?

À chaque fois qu’il faut classer une découverte paléontologique dans une famille, nous faisons appel à des critères morphologiques qui induisent des critères psychologiques et physiologiques. Le visage de l’Homme de Neandertal est connu de tous, grâce au film de Jean-Jacques Annaud, La guerre du feu (1981), et de même que celui de l’Homme de Cro-Magnon. Grâce à Lucie, nous savons à quoi pouvaient ressembler nos cousins, il y a 3 à 4 millions d’années. Mais en dehors des scientifiques concernés, qui sait à quoi ressemblait l’Australopithèque aethiopicus ? Ou encore notre ancêtre Homo rudolfensis ? Orrorin, avait-il quelque chose qui évoquait l’humain plus que le singe, ou le contraire ? En son temps, Kubrick a tranché. Ses premiers hommes sont plus proches des grands singes que des êtres humains. Les ellipses de la première séquence laissent présumer qu’il s’agit de la même tribu, mais pas forcément des mêmes individus. La tribu peut être considérée comme un échantillon de l’espèce, et cette première séquence montre l’évolution de celle-ci.

Dans un premier temps, le groupe doit partager sa nourriture avec d’autres mammifères herbivores. Ses membres ont néanmoins une notion de la propriété, car ils protègent leur nourriture et soulignent, en ce sens, une certaine violence. Kubrick indique ainsi que des bases inaltérables sont inscrites dans les gènes de ces ancêtres de l’Homme et se sont perpétuées jusqu’à nos jours. Mais, comme nous le voyons ensuite, avec l’attaque du fauve, leur statut dans la chaîne alimentaire les place encore loin du sommet, car ils sont des proies faciles malgré leur taille. La notion de groupe, de famille existe, mais pas celle de la protection d’un individu au détriment du reste de la communauté.

Dès l’instant où l’un des pré-humains apprend à se servir d’un outil, il l’utilise aussi comme une arme. L’alimentation du groupe change alors. Le pré-humain entreprend de chasser les mammifères avec lesquels il partageait son repas pour manger leur chair. Il s’assure la domination de sa communauté, puis celle d’un territoire, en reprenant le point d’eau dont son groupe avait été chassé précédemment. Dans ce but, il commet aussi le premier meurtre individuel, puis collectif, en lynchant son alter ego dans le groupe opposé. Il porte les premiers coups qui seront fatals à son ennemi, mais c’est le reste du groupe qui achève ce dernier. Que voir dans cette image si ce n’est la présence persistante de l’animalité ? Elle est aussi inaltérable et tout autant inscrite dans les gènes des futurs Hommes que l’est la notion d’appartenance à un groupe.

Kubrick voulait que son récit soit aussi réaliste que possible. Il y a donc une possibilité pour que cette évolution se soit produite sur de nombreuses générations. Seulement, il y a le monolithe.

Contrairement à l'hypothèse envisagée plus haut, il peut aussi s’agir du même groupe d’individus tout au long de la séquence. Ce serait une manière imagée d’évoquer la théorie des équilibres ponctués[1] mais celle-ci n’a été élaborée qu’en 1972, soit trois ans après la sortie de 2001, A Space Odyssey. Alors s’agit-il plus de lamarckisme[2] ? Il est précisé, au travers des différents plans fixes décrivant le paysage, que la nourriture est rare. La tribu a dû s’adapter à son milieu et trouver une autre forme de nourriture. Peut-être s’agit-il de mutationnisme[3] ? Un élément adventice a radicalement transformé la physiologie et la psychologie des membres du groupe qui le côtoyait. En l’occurrence, l’élément perturbateur serait le monolithe.

En partant de cette hypothèse, l’objet devient le symbole de quelque chose que les scientifiques n’auraient pas découvert. Cette chose aurait « transformé » une branche de l’espèce primate en espèce pré-humaine. On pourrait donc assimiler le monolithe au chaînon manquant.


[1] Voir Annexe « À propos des origines de l’Homme : différentes théories ».

[2] Idem.

[3] Idem.

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