3. Deux autres formes de colonisation

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3. Deux autres formes de colonisation

En 2001, deux récits, au cinéma, ont montré une forme d’invasion qui peut s’apparenter, elle aussi, à la panspermie. Il ne s’agit pas d’envahisseurs traditionnels dans la mesure où ils le sont malgré eux. Ils n’en sont pas moins agressifs.

Ainsi, les fantômes de Ghosts of Mars, de John Carpenter (2001), sont des envahisseurs dans leur propre monde. Ils pourraient être considérés comme des envahisseurs traditionnels, mais, à la différence de ceux-ci, ils n’ont pas d’incarnation et sont obligés d’habiter un corps humain.

Il y a, dans le récit de Carpenter, un mélange de genres entre la science-fiction et le fantastique. Ce n’est pas nouveau pour le réalisateur d’Invasion Los Angeles (1988), The Thing (1982) ou Big Trouble in Little China (1986). Ce qui est original dans Ghosts of Mars, c’est l’inversion des valeurs. L’Homme est le colonisateur (même s’il a trouvé la planète déserte à son arrivée), et le fantôme est l’autochtone sur Mars. Dans le récit, nous découvrons qu’il est allergique aux stimulants chimiques et, qu’au cours d’une guerre effroyable, son espèce a été vaincue par une autre avant d'être enfermée dans un tombeau qui n’aurait jamais dû être ouvert. Le récit n’en dit pas plus.

Si la planète était un tombeau, ceci expliquerait la prolifération soudaine des fantômes. Quant aux autres espèces, dont il n’est pas fait mention dans le récit, elles se sont sans doute éteintes au cours des millénaires qui ont précédé l’arrivée de l’Homme sur la planète. Une fois le tombeau ouvert par des humains, les fantômes s’échappent et prennent possession de ces derniers. En dehors du fait que l’action se situe dans le futur, sur la planète Mars, la nuance existante avec d’autres films fantastiques est que les fantômes ne créent pas de nouveaux fantômes.

Plus que de fantômes, il s’agit d’âmes immortelles qui ont besoin d’une enveloppe charnelle pour mener à bien leur projet. Les esprits martiens sont plus forts que les esprits humains qui deviennent, une fois possédés, de simples spectateurs. Mais dans le cinéma de Carpenter, rien n’est simple. Ainsi, il y a une inversion des valeurs morales traditionnelles de notre société. Dans ce film, c’est la drogue qui sauve l’héroïne de la possession. Comme si, entre deux maux, il fallait choisir le moindre. L’univers dans lequel évoluent les personnages, dès le début du film, avant la libération des esprits martiens, est déjà un univers anxiogène (obscurité, uniformes, acier, drogues, allusions au sexe et à la domination…). Les esprits ne feront que pousser à l’extrême les angoisses des personnages et les tensions existant entre eux.

Les fantômes du film d'animation Final fantasy : The Spirits within, de Hironobu Sakaguchi et Motonori Sakakibara (2001), sont les victimes d’une apocalypse extraterrestre. Ils ont échoué sur la Terre après avoir été transportés par une météorite et, plus exactement, par un morceau de leur planète d’origine. Ils sont d’abord considérés comme des envahisseurs prenant la Terre d’assaut. L’héroïne, Aki Ross, parvient à prouver qu’ils ne sont que des esprits, dans le vrai sens du terme : des âmes errantes qui ne peuvent pas trouver le repos. Le dialogue entre les personnages est sans ambiguïté lorsque l’un d’entre eux explique qu’il y a des envahisseurs de taille humaine et d’autres de taille monstrueuse.

« … il n’y a aucun lien entre les différents fantômes. C’est un vrai zoo là-bas.

− Exactement, je crois que leurs géants sont nos éléphants à nous, nos baleines.

− Mais pourquoi une armée d’envahisseurs apporterait des éléphants et des baleines dans leurs bagages ?

− Peut-être qu’ils ont débarqué dans une arche de Noé déjantée…

− Nous avons toujours présumé qu’ils avaient provoqué le lancement de l’astéroïde pour venir jusqu’ici… Peut-être qu’on se trompe…

−L’astéroïde est un morceau de leur planète qui a été projeté dans l’espace quand ils ont détruit leur monde.

− Attendez (…) comment ils ont pu arriver vivants après un voyage galactique sur un bout de caillou.

− Ils n’ont pas survécu.

− (…) Qu’est-ce que vous pensez de tout ça mon Capitaine ?

− Je pense que c’était perdu d’avance. Toute notre stratégie reposait sur une seule hypothèse : que nous combattions des envahisseurs extraterrestres.

− Gray, rappelle-toi le rêve, comment ils sont morts… Ils n’ont pas cessé de souffrir depuis. Ce ne sont pas des envahisseurs… Ce sont… des spectres. »

Ces fantômes n’ont pas de conscience, si ce n’est celle de leur douleur. Cette invasion paraît être l’une des plus « crédibles » du cinéma de science-fiction. Pour quatre raisons au moins.

La première est que l’envahisseur ne reflète pas une forme de vie similaire ou proche de celle de l’être humain. Pour que la vie soit celle que nous connaissons aujourd’hui, il lui a fallu au moins cinq grandes extinctions et de nombreux hasards. En admettant qu’il existe de la vie, quelque part dans l’univers, il y aurait peu de chances pour qu’elle ait un schéma de développement identique à celle de la Terre.

La deuxième raison est, qu’arriver sur la Terre par un moyen aussi élémentaire que l’astéroïde, relève de l’exploit. En entrant dans l’atmosphère terrestre, toute forme de vie est irrémédiablement irradiée, calcinée et, donc, détruite. À une exception cependant. Il existe une protéine qui résiste à de très hautes températures : le prion. En ce qui concerne les créatures de Final fantasy, celles-ci sont déjà mortes, donc le principe de leur arrivée sur Terre ne se pose pas.

Troisième raison, si nous croyons aux esprits, et si nous nous référons au prion dont l’existence et la résistance ont été scientifiquement prouvées, nous pouvons considérer cette forme d’invasion comme possible.

Enfin, une quatrième raison retient notre attention sur Final fantasy. Bien que de production américaine, sous l’étiquette de la science-fiction, le film reprend une thématique récurrente des cinémas asiatique et fantastique : la croyance en un univers de revenants. Elle est à l'Asie ce que les dieux sont à la Grèce, à l’Égypte et à l’Europe du Nord. Des fantômes à la théorie démiurgique et au créationnisme, il n’y a donc qu’un pas.

La théorie de la panspermie n’est pas seulement fondée sur l’idée que la vie vient de l’espace et que la Terre a été fécondée par les météorites. Ces dernières ont aussi pu être les porteuses d’un virus ayant donné lieu à l’une des cinq grandes extinctions préalables à l’existence de notre monde ? Peut-être est-ce un virus qui a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui ? Nous savons que le prion est capable de propager une maladie comme le ferait un virus. En 1968, pas plus Kubrick que les scientifiques ne connaissaient l’existence des prions. Pourtant, comme le montre avec insistance le premier plan de 2001, A Space Odyssey, la vie commence dans le cosmos. Le plan de l’alignement Lune Terre Soleil établit qu’il faut un certain nombre de facteurs pour arriver au monde que nous connaissons aujourd’hui. Il pose ainsi une question : Pourquoi est-ce sur la Terre qu’il y a de la vie et non ailleurs ? Il précise aussi l’importance du soleil (lumière et chaleur) dans la valse de la vie.

Enfin, il est possible de voir ce plan comme une métaphore divine, celle de La Création. On peut reprendre les paroles d’Hésiode[1] racontant les débuts du monde : « D’abord, il y eut Chaos, l’immensurable abîme. » Rien n’existe sauf une obscurité éternelle. De Chaos naîtra un couple frère et sœur : l’Érèbe, un gouffre insondable où règne la mort, et la nuit : « Puis, la nuit dépose un œuf au sein de L’Érèbe ; il en sortira Éros (ou l’Amour). » Les allusions sont claires : Hésiode évoque le divin, l’intangible et les esprits. Peut-être est-ce l’idée du scénariste du film, Arthur C. Clarke, car Kubrick ne l’affirme pas et laisse le choix aux spectateurs.

Cependant, ce choix est restreint : la grande hypothèse reste la panspermie, mais derrière l’existence de la vie, la théorie démiurgique, à la limite du créationnisme, fait surface. Le cinéaste ne cherche pas à valider une théorie plus qu’une autre. Au contraire, il semble dire qu'elles sont complémentaires.


[1] Hésiode : poète grec du milieu du VIIIe siècle avant J. –C. Il fut l’auteur de poèmes mythologiques (La Théogonie), ainsi que le créateur de la poésie didactique (Les Travaux et les Jours).

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