2. Et 2001, A Space Odyssey fut
2. Et 2001, A Space Odyssey fut
En 1968, Stanley Kubrick invente le space opera métaphysique et philosophique. Il rejoint, par son sérieux le propos de quelques auteurs littéraires et scientifiques, tels Isaac Asimov et Arthur C. Clarke, auteur de la nouvelle La Sentinelle, écrite vers 1951. Clarke et Kubrick développeront cette dernière. Le premier en extraira un roman et un scénario, le second, un film qui n’a pas encore trouvé son égal.
À l’exception de la première partie, que nous appellerons L’aube de l’humanité, l’ensemble du film se se déroule dans l’espace. Un voyage vers la Lune permettra la découverte d’un monolithe identique à celui que les Grands Singes ont découvert sur Terre. Cette découverte donnera lieu à une seconde expédition, en 2003, en direction de Jupiter, avec deux astronautes faisant route à bord d’une navette spatiale. Ils doivent supporter, outre la durée du voyage, l’ordinateur évolutif HAL 9000. Celui-ci, à la suite d’une erreur intentionnelle, tente de contrecarrer les plans des deux hommes visant à le neutraliser. Dans sa rébellion, il parvient à éliminer l’un des astronautes en l’abandonnant dans l’espace. Pour survivre, le second astronaute, usant de son intelligence, parvient à mettre HAL hors service. Il doit désormais poursuivre son voyage seul. La quatrième partie laisse planer un doute dans la mesure où nous ne savons pas où nous nous trouvons. Une explication consisterait à envisager l’idée que Bowman a atteint les limites du système solaire et celles du monde connu ou supposé connu dans lequel l’homme n’est jamais allé physiquement (et tel un enfant à naître, il a tout à apprendre), et celles de sa propre tolérance à la solitude (il représente aussi le tout premier embryon d'humanité en dehors de notre système solaire).
On sait aujourd’hui que l’un des obstacles au voyage spatial est le temps. Une vie humaine suffirait à peine[1] pour un aller simple au-delà du système solaire. Comment un homme pourrait-il vivre seul durant tout ce temps sans céder à la folie ?
Dans 2001, A Space Odyssey, l’espace n’est pas un simple décor. Il est un élément essentiel du récit. Les personnages lui sont soumis dans la mesure où, comme dans la réalité, il devient hostile si l’on ne respecte pas ses règles. Il ne s’agit pas d’un monstre mais d’un élément naturel que Kubrick traite avec le plus grand sérieux sur plusieurs plans, notamment celui de la science physique (quel type d’appareillage faire évoluer dans un espace que l’homme ne connaît pas ? Comment les acteurs doivent-ils bouger pour rendre les scènes crédibles à l’extérieur du vaisseau Discovery ?) et celui des sciences humaines (comment l’homme appréhendera-t-il la vie dans l’espace, sur un long temps, et seul ?). On est loin des sujets naïfs, et xénophobes, des films qui ont précédé 2001, A Space Odyssey.
Après 2001, la relève est difficile à prendre. Pour plusieurs raisons.
La première est évidente. 2001, A Space Odyssey, comme tous les films de Kubrick (Dr Strangelove or How I learned to stop warming and love the bomb, 1964 ; A Clockwork Orange, 1971 ; …) est critiqué à sa sortie. Il partage les amateurs de science-fiction. Certains voient dans ce film un discours obscur et inabordable, loin de la légèreté du genre. D’autres, au contraire, y voient la quintessence du genre. Si le succès n’a pas été immédiat (le film sera retiré de l’affiche peu après sa sortie en 1968), le bouche-à-oreille va, quant à lui, fonctionner et dépasser les frontières de la science-fiction. Devenu mythique en quelques mois, le film ressortira en 1969, et il connaîtra un succès qui ne cessera de grandir. Le public, lassé des westerns intergalactiques insipides, attend du grand écran qu’il lui propose de véritables aventures humaines.
Mais le propos du film n’est pas la seule raison qui attirera les amateurs vers le space opera. Il en existe une seconde, aussi évidente : les moyens matériels et financiers mis à la disposition de l’auteur. Ce film, considéré comme l’un des plus chers de l’époque, montre que chaque dollar a été employé à bon escient. Nous sommes loin des décors carton-pâte fantaisistes ou des effets spéciaux approximatifs. Tous les décors ont été conçus et pensés d'une manière réaliste par des décorateurs conseillés par des scientifiques de la NASA (National Aeronautics and space Administration). Ils sont tellement réalistes qu’en retour, les concepteurs de la NASA s’en inspireront pour les futures navettes spatiales, dont l’une portera le nom de Discovery, et pour la future station orbitale, ou.. pour les plateaux repas des astronautes.
C’est à des acteurs inconnus que revient la charge de supporter chacune des parties du film. Il n’y a pas d’acteur principal pour la première partie, « L’aube de l’humanité », un seul interprète principal, William Sylvester (docteur Floyd) pour la deuxième « Voyage vers la Lune », deux comédiens pour la troisième, « Expédition spatiale vers Jupiter », Keir Dullea (Bowman) et Gary Lockwood (Poole), et la voix de Douglas Rain (HAL 9000). La figuration, quant à elle, se résume aux deux premières parties. Elle n’est pas anecdotique. Les hôtesses donnent vie aux lieux et à des actions qui peuvent paraître banales (elles donnent du réalisme au voyage dans l’espace), et semblent donc plausibles aux yeux du spectateur.
Après l’avènement de 2001, A Space Odyssey, le spectateur de films de science-fiction en veut pour son argent. Lorsqu’il entre dans une salle, il veut retrouver le prix de son billet sur l’écran. Mais les années 70 sont celles de la crise économique. L’heure n’est pas aux risques financiers pour les studios de cinéma. La guerre du Vietnam s’achève par une défaite traumatisante pour l’Amérique. Les préoccupations sont bien présentes et puis il y a d’autres sujets, d’autres genres.
Enfin, rares sont les réalisateurs ayant le génie de Kubrick. Quelques-uns vont s’essayer au space opera et réaliser des œuvres que le public recevra avec plus ou moins d’intérêt. Il faut néanmoins mentionner Silent Running, (1971), de Douglas Trumbull, qui fut le concepteur des effets spéciaux de 2001, A Space Odyssey, Dark Star (1974), de John Carpenter, et Star Wars (1977), de George Lucas.
Le propos de Silent Running n’est pas très éloigné de celui de 2001. Il évoque lui aussi l’avenir de l’homme. La métaphysique a fait place à l’écologie mais la philosophie reste. Ce qui est loin d’être le cas pour Dark Star, le premier film de John Carpenter. Réalisé en trois ans avec un budget d’environ 60 000 dollars, ce film a la particularité de ne pas se prendre au sérieux. Il se moque ouvertement de la science-fiction de série B, montrant que, sans aller jusqu’aux sommets atteints par Kubrick, on peut parvenir à quelque chose d’honnête avec des moyens restreints et de l’ingéniosité. Il suggère, avant l’heure, que la science-fiction, et plus largement le cinéma américain, a surtout besoin d’idées neuves.
[1] Pas en terme de durée (si, actuellement, on estime qu'il faut environ 10 ans pour atteindre Pluton), mais aussi en termes de constitution physique et psychologique.
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