2. L’héritage de 2001, A Space Odyssey

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2. L’héritage de 2001, A Space Odyssey

Par son originalité, tant du point de vue du scénario que de la structure filmique, sans oublier les effets spéciaux, 2001, A Space Odyssey a ouvert de nouvelles voies. Rares sont les films de science-fiction, et en particulier ceux intervenant dans le space opera, qui ne doivent pas un de leurs aspects au film de Kubrick. Certains sont plus tributaires que d’autres. Mais le fait de sortir des sentiers battus de la science-fiction ne donne pas forcément au film le statut de chef d’œuvre, et à son réalisateur, celui de génie.

Après avoir collaboré à 2001, A Space Odyssey comme spécialiste des effets spéciaux, Douglas Trumbull réalise Silent Running, en 1971. Il est donc normal que son film soit influencé par l’œuvre de Stanley Kubrick. De la même manière, il s’inscrit dans les courants de pensées de son époque. Cependant, plutôt que d’évoquer l’existence de Dieu ou d’une civilisation plus avancée que la civilisation humaine, Trumbull préfère l’écologie. À travers cette thématique, le devenir de l’être humain et, par extension, celui de la planète se retrouvent. Le récit est centré sur un seul personnage qui, pour sauver les plantes abritées par son vaisseau, tue ses trois collègues. Dès lors, le botaniste Freeman Lowell survit seul, à bord du vaisseau avec, pour seule compagnie, trois petits robots.

L’influence de Silent Running est ressentie, tout comme celle de 2001, A Space Odyssey, dans le premier film de John Carpenter, Dark Star (1973). À l’origine, un court métrage d’étudiant dans lequel un astronaute dialogue avec une bombe nucléaire intelligente persuadée d’être douée d’une conscience. Du court, le film va passer au long métrage avec un scénario qui rend sa double parenté évidente : le Dark Star est un vaisseau dont l’équipage est engagé pour vingt ans dans une mission consistant à dégager une route de convoyage en faisant exploser tout ce qui se trouve en travers du chemin du vaisseau (planètes, étoiles, …). Parallèlement, l’équipage doit trouver à s’occuper durant le voyage s’il ne veut pas mourir d’ennui. Les défaillances de l’ordinateur de bord et une bombe nucléaire consciente vont leur fournir l’action attendue. Du film de Trumbull, Carpenter retient l’ennui des ouvriers, développé d’une manière différente de celle du film de Kubrick.

Dans 2001, A Space Odyssey, cet ennui apparaît dans la séquence finale où Bowman se voit vivre et mourir. Ce film est resté une expérience unique. Néanmoins, il connaîtra une suite, 2010, The Year we made contact (1983) réalisé par Peter Hyams. Ce dernier a réalisé, cinq ans plus tôt, Capricorn One, une critique du pouvoir et des médias au travers d’une mystification consistant à faire croire, à l’opinion publique, à la conquête de Mars alors que celle-ci a été déprogrammée par la NASA. Le voyage vers Mars est donc simulé en studio.

Alien (1979), de Ridley Scott, joue aussi sur le réalisme dans le space opera. Il ajoute le mélange des genres puisque le film se révèle être un récit d’horreur spatiale. Le réalisme se trouve jusque dans l’accroche du film : « Dans l’espace, personne ne vous entend crier. » Si le design du cargo Nostromo n’a plus rien à voir avec celui de la navette Discovery, elle n’en est pas moins aussi réaliste grâce à l’éclairage, et à l’eau qui suinte de chaque tuyau constituant les entrailles du vaisseau. Le moindre détail est traité de manière réaliste jusqu’au physique des astronautes qui n’a rien d’hollywoodien. D’ailleurs, il n’y a pas de "vedettes" (l’acteur du casting le plus connu étant l’anglais John Hurt [1]). L’un des personnages se révélera être un androïde qui trahira ses collègues de travail… Si cette trahison fait "partie de sa mission", il donne pourtant l’impression d’avoir lui aussi un problème de programmation.

Lorsqu’en 1983, Peter Hyams réalise 2010, The Year we made contact, ce n’est ni pour rivaliser ni pour surpasser Stanley Kubrick. Son film ne possède pas cette originalité qui a fait la célébrité de son aîné. Il se veut moins hermétique. Son but est d’atteindre autant ceux qui ont vu 2001, A Space Odyssey que ceux qui ne connaissent le film de Kubrick que de réputation. Le réalisateur se démarque clairement de Stanley Kubrick en faisant précisément ce que ce dernier n’a pas fait : il ne se contente plus de suggérer, et il répond aux questions posées par son prédécesseur. La Terre est montrée dans une phase pré apocalyptique et Bowman, qui a rencontré Dieu, revient sur Terre tel un messie, et prône la réconciliation entre les peuples afin d’éviter le désastre final. Il annonce la découverte de la vie sur un satellite de Jupiter.

Les années 80 seront les années de Star Trek au cinéma. Les séries télévisées (Star Trek Original et Star Trek, The Next Generation) passeront au grand écran avec plus ou moins de succès. D’un point de vue scénaristique, les épisodes de la première série développent une philosophie qui ne tombe jamais dans la mièvrerie : comprendre son prochain pour mieux l’aimer. Star Trek, The Next Generation reprendra cette philosophie en la modernisant.

Le film le plus révélateur de l’influence de 2001, A Space Odyssey, autant dans sa mise en scène que dans sa thématique, est sans doute le premier, Star Trek, The Movie (1979), de Robert Wise. Les longs plans descriptifs du vaisseau rappellent ceux de 2001. L’Enterprise, le vaisseau transportant l’équipage, doit intercepter une nuée qui se dirige vers la Terre. Cette nuée vaporise tout sur son passage. Avec plus de dix ans d’écart, Robert Wise utilise les effets spéciaux qui ont participé au succès de 2001. Est-ce dû à la présence de Douglas Trumbull dans l'équipe technique ? Pas seulement. Il y a encore le choix du compositeur, Jerry Goldsmith. Celui-ci compose une musique tour à tour harmonieuse et discordante. Les satellites planant au-dessus de la Terre évoluent sur une partition qui oscille entre la valse et la sarabande. La nuée ressemble aux visions de Bowman. Dans Star Trek, The Movie, ce n’est pas un monolithe qui émet un chant mais une sonde.

Une autre idée de ce premier film Star Trek est apparentée à 2001, A Space Odyssey : V. Ger. Nous découvrirons qu’il s’agit d’une machine vivante qui n’a aucun état d’âme concernant l’espèce humaine. Elle est prête à la détruire pour rencontrer son créateur, sans savoir qu’il n’est autre que l’Homme. La fin du récit montre un accouplement homme / machine, puis induit un accouchement que nous ne pouvons qu’imaginer, et dont l’enfant est une allusion à la séquence finale de 2001. La petite phrase du docteur Mac Coy appuie cette hypothèse :

« J’espère que l’enfant est né sous une bonne étoile. »

Enfin, dernier emprunt fait à Kubrick, l’ennui qui habite les membres de l’équipage de l’Enterprise : Kirk semble dépassé par les événements. Son Second, Spock, passe son temps à le contredire, en vain. Spock, personnage monolithique, dont l'une des rares actions atypiques sera d’endormir un membre de l’équipage d’un seul geste, sans brutalité. Quant au docteur Mac Coy, il se contente de faire de l’humour. L’action n’est pas de mise. Les personnages sont cantonnés à faire le point sur une situation qu’ils ne contrôlent pas. Les Star Trek suivants s’éloigneront du modèle initial, mais Star Trek, First Contact, à travers la sortie dans l’espace de Picard, Worf et d’un troisième astronaute évoque la sortie de Poole. S’il y a de l’action, dans cette séquence, son temps de mise en place est ralenti par l’évolution inhabituelle, et se voulant réaliste, des héros dans l’espace.

Les astronautes de Mission to Mars (1999), de Brian De Palma, connaîtrons des problèmes analogues. L’espace n’est pas un lieu d’action mais un lieu hostile pour l’être humain dont la moindre défaillance peut être mortelle. Le film de Brian De Palma présente un voyage vers Mars et une exploration de la planète avec une rigueur scientifique et un réalisme semblables à ceux de Kubrick en son temps. Néanmoins, à l’exemple des comédies des années 50, pas un cheveu ne bouge et ne donne l’impression d’être en apesanteur. La recherche du réalisme a ses limites. Toutefois, nul ne reprochera au réalisateur de laisser ses acteurs inactifs. Ils ont tous un rôle défini. Les apports techniques et scientifiques sont présents dans leurs dialogues. Ceux-ci restent compréhensibles pour le spectateur qui ne possède pas de bagage scientifique. L'approche d'une certaine forme de réalisme montre rapidement ses limites. La rencontre avec les martiens, la disparition de la vie sur Mars et son apparition sur Terre ne sont, à l’heure actuelle, que des hypothèses.

Les interrogations sur l’origine de l’homme sont présentes dans Red Planet (2000), d’Anthony Hoffman. Cette interrogation se retrouve dans Event Horizon (1998), de Paul Anderson. Solaris (2002), de Steven Soderbergh met aussi en scène le monde intérieur des habitants d’une station spatiale. À l’origine, la première version de Tarkovski, en 1972, se voulait une réponse à 2001. L’interrogation reste identique : Qu’est-ce que l’être humain ? D’autres exemples peuvent être cités : Sphere (1998), de Barry Levinson, Lost in space (1998), de Stephen Hopkins, Wing Commander (1999), de Chris Roberts ou The Black Hole (1978), de Gary Nelson. Tous ces films tentent d’utiliser les apports philosophiques de 2001, A Space Odyssey, en choisissant tantôt l’alternative divine, tantôt l’alternative extraterrestre, ou encore l’alternative humaine.

[1] Acteur vu dans de nombreux seconds rôles, dans des productions et coproductions britanniques, notamment Midnight Express (1978), d'Alan Parker, avant d'accéder à un premier rôle marquant, celui de John Merrick dans Elephant Man (1980), de David Lynch

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