2. Une évolution à plusieurs vitesses

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2. Une évolution à plusieurs vitesses

Dans son roman, Crichton reconstitue le témoignage historique partiel de l’ambassadeur Ahmed Ibn Fadhlan à propos de sa rencontre avec des Vikings, dirigés par Buliwyf, et de leur combat contre les Mangeurs de morts, en 922 après J.- C. L’auteur comble les vides, entre les fragments de textes, en y associant la légende de Beowulf, un chevalier viking partant, avec quatorze compagnons, secourir un royaume menacé par un monstre, Grendel, habitant les marécages. Beowulf le tue mais la mère de Grendel cherche à se venger en entraînant le héros dans une caverne sous les eaux. Dans le récit cinématographique, les Wendols, mènent des raids sanguinaires, et disparaissent avec leurs morts, et la tête de leurs ennemis. Buliwyf et treize de ses hommes, dont un étranger, Fadhlan, sont requis pour mettre fin à leurs agissements.

John McTiernan suit la ligne narrative du roman sans cacher ses visées anthropologiques. Alors que nous pourrions nous attendre à un choc frontal (batailles et acculturation ou annihilation), le réalisateur choisit l’observation par le biais de Fadhlan. La première séquence le montre au fond d’un drakkar bravant la tempête. Cette séquence est suivie d’un flash-back dont la première partie montre la civilisation de Fadhlan autant que ses paroles informent sur son rang dans celle-ci. Quatre plans subjectifs accompagnent ses paroles et permettent de découvrir Bagdad comme une ville des Mille et Une Nuits. Le premier, un plan d’ensemble de la ville, la présente d’une manière lumineuse, ensoleillée. Le deuxième montre une femme, nimbée de lumière. Le troisième évoque le trône du Khalife. Bien qu’étant un plan rapproché, il laisse entrevoir la lumière en arrière plan ainsi que des couleurs chaudes. Enfin, en réponse à ce champ, un contrechamp, plan de demi-ensemble, montre la salle du trône où Fadhlan se trouve, chaleureuse et ouverte. Ces souvenirs sont fantasmés. Au moment où il les appelle, sa situation est cauchemardesque. Le fantasme fait place à la réalité de l’exil symbolisé par l’aridité des terres que traverse l’ambassadeur, puis par l’attaque dont il manque d’être l’une des victimes. Seule la présence des Normands le sauve des Tartares, ses attaquants. Sa première vision des Vikings est en opposition à ses souvenirs de Bagdad : sombre, sauvage et occulte.

Son entrée, sous la tente où siège le nouveau chef des vikings, est une incursion dans un univers inconnu. Le lieu est hermétique à la lumière du jour et à l’air extérieur. L’atmosphère intérieure paraît chargée d’odeurs : celles de la sueur des hommes, de la nourriture, de la boisson, et de la mort, car un cadavre, celui de l’ancien roi, repose dans une tente adjacente. L’espace est saturé par les couleurs sombres qui le réduisent, et par le nombre de personnes qui s’y trouvent. Alors que le palais arabe était éclairé par la lumière, ici, tout est foncé par des zones d’ombre. Le rouge et le brun, présents dans cette séquence, possèdent des tonalités extrêmes : celles du sang et de l’animalité. Le feu, source de lumière devient le symbole de la vie et de la mort, et non du confort et de la volupté. Les sons saturent aussi l’espace : les rires de l’ivresse et autres débauches, la musique tribale, les paroles rudes et incompréhensibles. L’impossibilité de communiquer relève autant du bruit que de l’incompréhension du langage et des mœurs.

Aux yeux de l’ambassadeur, la civilisation viking se trouve aux antipodes culturels de la civilisation orientale.

Trois exemples sont donnés. Le premier, lorsqu’il parvient à communiquer, Fadhlan est sommé de réciter un poème en l’honneur du roi mort. À peine a-t-il commencé que le prétendant au trône est attaqué par un rival qui est décapité en quelques coups d’épée précis. Fadhlan découvre un aspect de la politique de ce peuple que, évidemment, il ignorait. Cette ignorance ne va que dans un sens. Buliwyf, ne doute pas de la culture de Fadhlan. Il a vu en lui un lettré (la demande de l’éloge au mort le prouve, et l’épisode du dessin des sons le confirme).

Cette altercation légitime Buliwyf dans sa fonction de souverain.

Le deuxième exemple est l’immolation de l’ancien roi : si la scène relève du religieux, elle n’en est pas moins cruelle, car une jeune femme est immolée, vivante, pour accompagner le roi défunt dans l’au-delà. La mort est au cœur de la civilisation viking.

Le troisième exemple de différenciation culturelle explique cette ignorance dont l’ambassadeur et son interprète ont fait l’objet à leur entrée sous la tente. Peu après son arrivée, Fadhlan remarque un bateau à quai, non loin du campement des Vikings. Il en fait part à son interprète :

« Un autre bateau est arrivé dans la nuit, un jeune garçon se tient à l’avant telle une figure de proue.

− Il veut que tout le monde le voie.

− Il n’y a pas à s’inquiéter alors…

− Oui, mais ils ne savent pas s’il est réel. Je pense que ça a un rapport avec la brume. Apparemment, les esprits néfastes peuvent se dissimuler dans la brume. L’enfant fait preuve de politesse. Il leur offre l’opportunité de voir qu’il est bien réel. »

Ces croyances obscures laissent Fadhlan dubitatif. Comme pour confirmer qu’il est dans un monde qui n’a rien en commun avec le sien, il assiste aussitôt aux ablutions de ses hôtes. Il les observe cracher, boire, se laver, se moucher dans une coupe qui passe d’un homme à un autre avant de lui parvenir. Il l’accepte dans un premier temps, pour ne pas offenser ses hôtes, mais, dans un deuxième temps, il repousse le récipient comme si celui-ci portait les germes d’une douzaine de maladies. Ce geste est éloquent.

Il ne faut pas oublier non plus l’apparence physique des Vikings, opposée à celle de Fadhlan. Ceux-ci sont vêtus de tissus rudimentaires, non teints, et de peaux de bêtes. Ils ont le teint buriné, les cheveux longs, et la barbe. L’importance de la rencontre entre ces deux civilisations est traduite par le flash-back entièrement construit sur le témoignage de Fadhlan. Il les considère alors comme une civilisation sous-développée. Buliwyf lui démontrera que l’intelligence et le niveau culturel sont deux choses différentes. Plus Fadhlan apprend à les connaître, plus il est fasciné par ces hommes et par leur civilisation. À ses yeux, ses nouveaux compagnons acquerront des qualités humaines dont la bravoure ne sera pas la moindre.

Cette confrontation entre l’Orient et l’Occident intéresse plus McTiernan que la confrontation avec les Wendols qui se révèlent être des anthropophages. Toutefois, il prouve que les Mangeurs de morts ne s’opposent pas seulement à Fadhlan et aux Normands ainsi qu’à leurs différentes croyances. Ils les confrontent à leur humanité.

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