3. La communication comme signe d’intégration

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3. La communication comme signe d’intégration

La communication s’établit sur deux plans : verbal et non verbal. Trois langues sont parlées : l’anglais (VO) / français (VF), un dialecte nordique et le latin. Le grec est aussi testé lors des premières tentatives de communication. Curieusement, la langue arabe est absente. Le verbe participe au fossé culturel entre les deux civilisations. Mais un langage commun, le latin, est trouvé. L’un des Vikings, Herger, le parle, et l’interprète de Fadhlan le comprend et le pratique. Ce premier échange, sous la tente, donne lieu à une scène s’apparentant au quiproquo. L’ambassadeur sollicite une rencontre avec le chef des Vikings. Son interprète lui traduit la réponse :


« Il dit que le roi est à côté, dans cette tente. Il dit qu’il refusera de parler avec nous… Apparemment, c’est plutôt qu’il ne pourra pas discuter… parce qu’il est mort. Ce sont ses funérailles. »


Cette scène est aussi celle de la première rencontre entre Fadhlan et Buliwyf mais aucun des deux n’est en état de communiquer. Le premier parce qu’il ne comprend pas ce qui se passe autour de lui. Le choc culturel le submerge. Le deuxième parce qu’il est ivre. Cette impossibilité à communiquer est exprimée visuellement : les deux hommes sont séparés par la distance et par des guerriers. L’épaisseur de l’atmosphère participe aussi à cet effet. Mais ce n’est qu’une apparence. La demande qu’il émet en direction de Fadhlan indique que Buliwyf possède des connaissances sur la civilisation arabe. Peut-être ne considère-t-il pas son interlocuteur comme dangereux. Il ne le sous-estime pas pour autant. Lorsqu’un rival tente de l’assassiner, dans cette scène, il démontre qu’un Viking sait rester vigilent. C’est un avertissement pour l’émissaire arabe dont le rôle ne sera pas seulement de rapporter ce qu’il a vu. Il saura aussi qu’il est dangereux de s’attaquer à un Viking, même ivre.

Si des mots sont prononcés, et non compris d’une part ou de l’autre, les gestes et les actes de Buliwyf sont éloquents. Fadhlan est, a priori, perçu comme un inoffensif poète. Mais la requête de Buliwyf n’est probablement pas innocente. Le but peut être de vérifier si l’ambassadeur est ce qu’il prétend être. Cette sollicitation, interrompue trop tôt, reste une interrogation. Elle précède une forme de réponse que les Vikings confirmeront verbalement après que Fadhlan se soit précipité hors de la maison de la ferme où a eu lieu un massacre. lIne supporte pas ce qu’il voit. Seul, un homme de guerre le peut. Les Vikings ont ainsi la preuve que, même s’il sait se battre, il n’est pas un guerrier, et ils l’expriment en ces mots simples :


« Il nous a dit la vérité… »


Ce qu’il n’a pu exprimer par la parole, Fadhlan l’exprime par le geste.

On comprend mieux la réaction des Vikings lorsqu’ils découvrent que Fadhlan comprend leur langue.

À l’instar de The Hunt for Red October, McTiernan utilise le vocabulaire cinématographique pour mettre en scène cet apprentissage. Les ellipses, courtes, décomposent en trois parties un temps qui, sans cela, aurait pu paraître continu. Cette déstructuration est renforcée par un effet climatique dans la partie centrale. Dans la première partie, Fadhlan écoute les paroles de ses nouveaux compagnons en essayant d’associer le mouvement de leurs lèvres à leurs paroles, et les expressions de leur visage à la signification des mots. McTiernan cerne les faciès d’obscurité, celui de Fadhlan qui écoute, et ceux des Vikings qui parlent. Lorsque les plans s’élargissent, c’est pour montrer un geste et les paroles qui s’y associent. Il utilise la répétition, montrant ainsi que Fadhlan s’imprègne des sons. Dans la seconde partie, la pluie intervient et indique qu’il s’agit d’une autre nuit. Les procédés scéniques sont identiques mais, cette fois, Fadhlan répète silencieusement ce qu’il entend, et certaines phrases acquièrent du sens. Le moyen de le faire comprendre est de les entendre en français (VF) / anglais (VO). Les deux langues s’entremêlent subjectivement : Fadhlan commence à comprendre mais il ne déchiffre pas tout. Dans la troisième partie, les conversations sont intelligibles. Le regard de Fadhlan quitte les lèvres des Normands, car il comprend leur conversation. Pour la première fois, alors qu’il était resté en retrait, il réagit à une insulte lancée par un Viking, en s’exprimant avec la lenteur de ceux qui ont peur de ne pas se faire comprendre dans une langue qui n’est pas la leur. Herger et un deuxième Viking, pensant qu’il s’est joué d’eux en leur faisant croire qu’il ne parlait pas leur langue, sont alors prêts à le trucider. Nous pourrions supposer que les insultes de l’émissaire sont provocatrices, mais est-ce ce qui conduit les deux hommes, habitués des joutes verbales, à le menacer physiquement ? Vraisemblablement, ce serait plutôt la crainte d’un espion à la solde d’un rival qui, après avoir gagné leur confiance, pourrait assassiner leur nouveau roi, Buliwyf.

La lutte du pouvoir est présente dans le récit. Ainsi, Wiglif, le fils du roi qui a demandé l’aide de Buliwyf, a assassiné ses frères. En ce qui concerne Fadhlan, alors que l’on s’attend à un acte de violence, la scène de l’insulte s’achève sur un éclat de rire de Herger. Mais le regard de Fadhlan et celui de Herger démentent toute légèreté. Et comme pour confirmer la méfiance que Fadhlan inspire, Buliwyf le presse une nouvelle fois de prouver ce qu’il prétend être en dessinant les sons. Fadhlan s’exécute et lit les signes qu’il écrit :


« Il n’y a qu’un seul Dieu, et Mahomet est son prophète. »


Buliwyf a la preuve qu’il voulait, mais il ne s’intéresse pas à la signification des signes. Une fois encore, ce n’est qu’une apparence et l’intérêt de la scène ne se situe pas où nous le pensons, c'est-à-dire dans la signification de ces paroles. Les Vikings sont polythéistes et ces paroles, dans leur langue, n’ont aucun sens. Par la suite, Buliwyf montrera à Fadhlan que, si aux yeux de celui-ci, la civilisation viking est inférieure à la civilisation arabe, son intelligence vaut celle de l’ambassadeur. Ainsi, il ne lui a fallu qu’un bref regard sur les signes pour les retenir et les reproduire quelques jours plus tard. C’est un exploit pour un homme qui n’a peut-être jamais écrit de sa vie.

En donnant une fraction de son savoir, Fadhlan gagne la confiance de Buliwyf. Corrélativement, il renonce à comprendre le désintérêt apparent de celui-ci. Il lui faut ensuite gagner la confiance de ses compagnons de voyage. Pour cela, il utilise le motif des railleries de ces derniers, son cheval, que les Normands comparent à un chien. Il leur prouve qu’ils ne doivent pas, eux aussi, se fier aux apparences et que, malgré sa petite taille, son cheval vaut les lourds chevaux du Nord. L’audace de Fadhlan plaît aux Vikings et établit un contact définitif.

Le flash-back, commencé dans les premiers instants du film, avec la séquence du bateau dans la tempête, prend fin en nous ramenant dans le drakkar. Il aura duré vingt minutes. Nous nous apercevons que l’homme seul, recroquevillé au fond du bateau, ne l’est plus. L’un des vikings lui apporte à manger, l’appelle « fiston » (plus tard, ses compagnons l’appelleront « petit frère ») et lui tape sur l’épaule. Il est membre du groupe. Mais tout peut encore se renverser. Ainsi, à leur arrivée dans le Nord, s’il n’avait pas reconnu ses propres signes écrits dans ceux dessinés par Buliwyf, il aurait perdu leur confiance. Et personne ne lui aurait confié une épée. Toute trace de méfiance disparaîtra après l’épisode de la ferme dans la forêt, et sa valeur auprès des autres guerriers sera confirmée après la première bataille.

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