1. Tarzan, L’homme singe et Mowgli, L’enfant sauvage
1. Tarzan, L’homme singe et Mowgli, L’enfant sauvage
Le personnage de Tarzan, l’homme singe a été inventé par Edgar Rice Burroughs (1875-1950). Il est tout autant surhomme, naufragé, chevaleresque et… non civilisé. Il est donc, à la fois, Hercule, Ulysse, Lancelot et Vendredi. Sa première aventure est publiée en 1912. Il s’agit de Tarzan of the Apes. C’est le premier tome d’une saga qui comprendra 24 romans devenus indissociables de l’heroic fantasy.
Au cinéma, les aventures de Tarzan sont mises en scène dès 1918, et le public le retrouvera au travers de 48 films, dont Tarzan, the Ape Man (1932), de W.S. Van Dyke, Tarzan and his Mate (1934), de Cedric Gibbons, Tarzan goes to India (1962), de John Guillermin, Greystocke (1984), de Hugh Hudson. Tarzan sera transposé en dessin animé par les Studios Disney en 1999. Il sera parodié en 1997 avec George of the Jungle (1997), de Sam Weisman. Si le but de cette parodie est de détourner le mythe, elle n’est guère différente de la plupart des autres adaptations qui ne sont pas plus fidèles aux romans initiaux. Alors que dans ses romans, Edgar Rice Burroughs en fait un homme avec les qualités évoquées précédemment, le cinéma en fait un athlète un peu simple d’esprit qui saute de liane en liane en poussant son célèbre cri. Les romans et le mythe ont été dénaturés, édulcorés, par Hollywood. Le Code Hayes y a aussi grandement participé. Ainsi, dès l’instant où il rencontre Jane, Tarzan passe son temps à la sauver mais, toute marque de sentiment amoureux lui est interdite, donc pas de baisers langoureux à l’écran, ni d’étreintes sensuelles, juste quelques accolades amicales.
Évidemment, dans la jungle, il n’y a pas d’église, et de toutes les façons Tarzan ne peut connaître le concept civilisé du mariage. Il ne peut donc épouser Jane et, par conséquent, avoir de rapports sexuels avec elle. Pourtant, ils auront un enfant ensemble… ou presque. Pour contourner le Code Hayes, les auteurs font de cet enfant, le seul rescapé d’un accident d’avion. D’autre part, ce code touche autant la longueur du pagne de Tarzan que la pilosité de son torse. Il y avait pourtant un moyen plus simple que la censure et le puritanisme américain pour empêcher Tarzan et Jane de s’aimer, et c’est l’écrivain Edgar Rice Burroughs qui le donne dans son premier roman : Tarzan ignore, jusqu’à ce qu’il retrouve le monde civilisé, qu’il est né dans une famille noble comme Jane, ce qui lui donne le droit de l’épouser. Or, il se tait sur ce point et la laisse épouser un autre homme appartenant au même rang social qu’elle. Il abandonne même à ce rival son titre et sa fortune pour retourner dans la Jungle.
Pas moins d’une dizaine d’acteurs a incarné le héros d’Edgar Rice Burroughs. Le premier fut Elmo Lincoln en 1918, mais le plus célèbre fut Johnny Weissmuller, le champion olympique de natation. C’est à lui que l’on doit le fameux cri de Tarzan (qui serait inspiré d’un chant tyrolien). Il fut l’interprète de Tarzan dans 12 longs métrages. Aujourd’hui, il reste l’acteur qui l’a le plus interprété, et le plus longtemps, de 1932 à 1948. Parmi ses films, Tarzan, the Ape Man (1932), de W.S. Van Dick, Tarzan and his Mate (1934), de Cedric Gibbons, Tarzan escapes (1936), et Tarzan finds a Son (1939), de Richard Thorpe, Tarzan and the Mermaids (1948), de Robert Florey.
D’autres interprètes reprendront le rôle entre 1949 et 1997 : Lex Barker, Gordon Scott, Azad, Denis Miller, Jock Mahoney, Mike Henry, Ron Elyr, Christophe Lambert et Casper Van Dien. Greystoke, the Legend of Tarzan, Lord of the Apes, de Hugh Hudson a lancé la carrière d'un acteur quasiment inconnu jusqu'alors : Christophe Lambert. Ce n’est pas un hasard, mais le résultat du travail conjoint de l'acteur et du réalisateur qui conseilla à l'interprète de ne pas parodier l’homme singe mais, de le devenir, de l’incarner au plus près. De plus, outre une interprétation des plus réalistes, le film remonte aux sources du roman et surtout de l’époque, la fin du XIXème siècle. Il en retrouve l’essence : la révolution industrielle transformant la société, les découvertes scientifiques passionnant un public avide de connaissances. Durant ce siècle, les théories de Darwin s’opposent à celles de Lamarck. Cette ambivalence est présente dans Greystocke.
Deux autres films verront le jour mais, à travers eux, Tarzan n’aura jamais été autant dénaturé. Dans George of the Jungle (1997) de Sam Weisman, il est parodié par un Brendan Fraser grimaçant, et son personnage, George, se révèle être un idiot complet. Chez Disney, en 1999, s’il a retrouvé toute son adresse et sa souplesse, et un semblant d’intelligence, il se révèle n’être rien moins qu’un surfer californien.
Force est de constater que, s’il est l’un des héros littéraires les plus adaptés au cinéma, Tarzan n’a jamais eu le traitement qu’il méritait, et avec les moyens techniques dont nous disposons aujourd’hui, tout demeure à faire. Mais le public désire-t-il vraiment voir un nouveau Tarzan ?
En évoquant Tarzan, nous sommes conduits à citer un autre mythe, celui de l’enfant sauvage. Le cinéma en connaît deux, celui de Truffaut, L’Enfant sauvage (1969), et celui de Kipling, Mowgli, qui sera adapté par Zoltan Korda en 1942 sous le titre du roman, The Jungle Book[1], et que nous retrouverons dans les adaptations de Disney en 1967, et de Stephen Sommers en 1994. Nous pourrions ajouter le héros du roman de James M. Barry, Peter Pan, adapté au cinéma par Disney en 1953, par Steven Spielberg en 1991 sous le titre Hook et par P. J. Hogan en 2003. Malgré toutes ses différences avec les deux autres personnages, Peter n’en reste pas moins un enfant (refusant de grandir) qui s’est élevé seul dans un monde hostile.
Les exemples d’enfants sauvages les plus connus sont Romulus et Remus, les fondateurs de Rome qui ont été, eux aussi, mis en scène par Sergio Corbucci, en 1961, dans Romulus et Remus, un film historique plus qu’un péplum italien. Dans la réalité, des expériences ont été faites sur des enfants pour connaître la nature de l’Homme dès le Vème siècle avant notre ère. Hérodote (-484−-420) évoque un pharaon qui cherchait à savoir quelle langue des enfants, auxquels on n’adressait jamais la parole, parleraient. Marivaux (1688-1763) et Rousseau (1712-1778) évoquent les enfants sauvages dans leurs écrits, ainsi que Buffon (1707-1788). Des cas sont régulièrement découverts : le petit sauvage de Hanovre, l’enfant loup de Wetteravie (1544), l’enfant mouton, la fille sauvage de Karpfen, celle de Songy et Victor de l’Aveyron, l’enfant dont François Truffaut raconte l’histoire.
Il y a une vingtaine de cas connus dans le monde, plus ou moins vérifiés, mais seulement trois ont été mis en scène.
Deux séries télévisées américaines, The Pretenders[2] (1996-2000) et Dark Angel (2000-2002), mettent en scène des enfants (devenus adultes) élevés hors du monde normal, soit pour cultiver leur génie, soit pour aiguiser leurs instincts guerriers et développer d’autres facultés. Dans les deux cas, il s’agit d’expérimentations secrètes menées par des organisations dont nous ignorons les objectifs réels.
Mowgli, l’enfant inventé par l’écrivain Rudyard Kipling (1865-1936) a connu trois adaptations cinématographiques différentes dont celle, animée, des Studios Disney qui a donné lieu à une polémique parce qu’elle dénaturait l’œuvre d’origine. Cependant, elle reste la plus célèbre parce qu’elle est la seule à s’adresser directement aux enfants. La version de Stephen Sommers se veut résolument moderne et pure heroic fantasy avec la quête d’une Humanité perdue. Du moins l’image de cette Humanité perdue, car Mowgli, qui aspire à devenir un homme, se révèle plus humain que la plupart des hommes qui l’entourent, à l’image de Tarzan.
Ce n’est pas le cas des enfants sauvages réels, sortis de la civilisation. Ce qui intéresse les réalisateurs, chez Tarzan ou Mowgli, est moins d’où ils viennent que ce qu’ils peuvent faire une fois qu’ils ont retrouvé la civilisation. Les enfants sauvages posent autant la question de leur origine que de leur devenir, mais il est impossible d’oublier qu’il s’agit d’êtres humains et non de héros de papier. Il est donc nécessaire de traiter de tels cas avec tact et sérieux, car le public, aujourd’hui, accepte mal les idées d’expérimentation sur des enfants.
En ce qui concerne les adultes, un traitement sous un angle comique ne provoquerait pas les mêmes réactions comme l’a montré Encino Man (1992), de Les Mayfield. Brendan Fraser y interprète un homme des cavernes projeté dans la Californie des années 1990. L’acteur semble abonné aux rôles de sauvages mal dégrossis et d’inadaptés sociaux propres à la comédie, car nous le retrouvons dans Blast from the Past (1999), de Hugh Wilson. Il ne s’agit pas réellement d’un enfant / homme sauvage. L’histoire a un point de départ original : en 1962, Calvin naît dans l’abri antiatomique dans lequel s’est enfermée sa famille. Ici, il n’en ressort que trente-cinq ans plus tard et doit apprendre à vivre dans un monde qui a continué d’évoluer. L’intérêt s’arrête une fois passée l’idée initiale. Nous retrouvons les clichés inhérents au bon sauvage partant à la rencontre de la civilisation et y découvrant l’Amour. Le réalisateur joue sur l’absurde des situations et Brendan Fraser est à l’aise dans la peau de l’ahuri innocent. L’innocence est ce qui caractérise Tarzan, Mowgli et les enfants sauvages. Ils fascinent l’être civilisé qui voudrait retrouver cette innocence perdue et évoquent la possibilité d’un retour à la nature et à la pureté du monde originel.
Dans la dynamique de l’évolution, ce serait une manière, pour l’Humanité, de refermer la boucle afin de passer à une étape supérieure, comme peut le suggérer la fin de 2001, A Space Odyssey. Mais est-ce la direction choisie ? Avons-nous seulement le choix de la direction à prendre ? Nous ne maîtrisons pas encore notre avenir. Et si tel était le cas, quel genre d’Hommes engendrerions-nous ? Un Être humain à notre image ? Quelle image d’ailleurs ? Physique ou psychologique ? Pourquoi pas un Être humain parfait à l’image de ce que nous ne sommes pas, comme dans Gattaca (1998), d’Andrew Niccol ? Et si, au contraire, le futur de notre espèce se trouvait dans ce que nous supposons être ses tares ?
[1] Le Livre de la Jungle.
[2] Le Caméléon.
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