2. Les Formes et les mouvements dans la réalisation

8 minutes de lecture

2. Les Formes et les mouvements dans la réalisation

Peter Jackson donne le rythme de son récit dès le prologue qui se partagera entre moments de paix et batailles épiques, entre scènes intimistes et scènes d’ensemble. Il a su tirer une œuvre cinématographique d’un texte littéraire dont l’auteur n’a jamais eu pour ambition de le faire adapter au cinéma, mais aussi une traduction personnelle de ce récit. Il l’explique dans une interview :

« Le Professeur Tolkien est décédé. Ces films ne sont pas des adaptations officielles autorisées. Ils sont notre interprétation collective de ces personnages, de cette histoire. J’ai consulté des experts pour être sûr de porter une attention particulière aux noms et aux langages. Nous avons essayé de bien faire les choses, mais vous savez, au bout du compte, que cela reste toujours une interprétation, en l’occurrence la mienne. »[1]

Il confirme ainsi les intentions évoquées au cours de la préparation de la trilogie :

« Au fil des versions du script, nous avons délayé l’histoire. Certains des épisodes sont indispensables (Isildur, Elendil, etc.), d’autres moins. Mais ils contribuent tous à la crédibilité de l’ensemble. Aucun film ne peut prétendre atteindre le degré de complexité de Tolkien, mais nous allons utiliser un prologue, des flash-back et une narration afin de décrire une Terre du Milieu qui ne soit pas superficielle. Il est vital d’éviter la confusion comme l’ont fait beaucoup de films d’heroic fantasy. Initiés et non-initiés doivent pouvoir apprécier et comprendre ces films sans que nous ayons pour autant à « tirer vers le bas » et simplifier à l’extrême. »[2]

Aux longues descriptions, le réalisateur choisit l’action. Lorsque la caméra s’attarde sur un décor, c’est pour situer géographiquement une action. Cela se révèle nécessaire dans la mesure où l’unité de lieu est bousculée. Le spectateur a besoin de repères visuels. Le décor est traité de manière intrinsèque au récit comme un élément naturel, et non extraordinaire. À la manière d’un costume, il donne corps aux rôles, produit une ambiance et définit une scène ou un protagoniste.

Les personnages ne sont jamais décrits par des paroles (« On dit que… ») mais par leurs actes, sauf en ce qui concerne Aragorn qui est d’abord défini par le tavernier, ou Galadriel décrite par Gimli. Mais dans ces deux cas, la réalité n’est pas du tout celle énoncée. Leurs attitudes, leur physique et leurs costumes définissent les personnages autant visuellement que psychologiquement. Ceci donne lieu à une plus forte implication de la part du spectateur, et participe à la recherche du réalisme. Chez les hobbits, par exemple : Sam Gamegie est lié d’une manière indéfectible à Frodon qu’il ne cesse d’appeler avec respect « Monsieur Frodon ».

Les deux premières parties du récit sont parcourues de fines touches qui définissent Sam et les relations qu’il entretient avec les autres : timide, il n’ose pas danser avec l’élue de son cœur et c’est Frodon qui le jette dans les bras de cette dernière. Il est toujours présent là où on ne l’attend pas : sous les fenêtres de Frodon, dans la Salle du Conseil d’Elrond, sans doute lorsque Boromir tente d’arracher l’anneau à Frodon, et lors de la mort de ce dernier, car c’est lui qui expliquera à Faramir les vraies raisons de la disparition tragique de son frère. Il veille continuellement au bien-être de son maître. Durant les deux premières parties du récit, Peter Jackson prend un malin plaisir à ne pas insister sur ce personnage qu’il laisse en arrière-plan de Frodon. Pourtant cette présence constante en fait un adjuvant essentiel et Sam se révélera en véritable héros dans la conclusion du récit.

Jamais Sam ne faillit à la promesse qu’il a faite à Gandalf : protéger Frodon. Il le suit jusqu’à risquer sa vie. Deux scènes sont particulièrement fortes, et emblématiques du caractère de Sam, à la fin de The Two Towers. La première lorsque Frodon lui avoue sa crainte d’échouer. Sam tente alors de trouver les mots pour l’encourager. Il se refuse à céder au désespoir devant Frodon. S’il n’est pas foncièrement optimiste à cet instant, il reste courageux. À cette scène, répond la séquence où Sam revient sur les contes qu’ils raconteront à leurs enfants. Cette fois, c’est Frodon qui fait preuve d’optimisme et en donnant à Sam le bon rôle.

Peter Jackson est familier de ces petites scènes apparemment insignifiantes qui donnent une profondeur au récit. Souvent, elles répondent à des scènes importantes : Lorsque Boromir, au début de leur quête, apprend à Merry et Pippin à se battre, il blesse involontairement Pippin. Aussitôt Merry réagit en se jetant sur lui. La scène évolue alors vers le jeu. Elle montre l’amitié qui lie les deux hobbits, et qui va trouver une extension chez Boromir. Elle se répercute sur la mort de ce dernier dont les deux hobbits sont les témoins désespėrės. La disparition de Boromir, compagnon d’Aragorn, renvoie à une autre mort, celle d’Haldir, un Elfe. Ce personnage, peu développé dans le premier épisode, ne le paraît guère plus dans le deuxième si l’on ne prête pas attention à la mise en scène et à la façon dont Jackson le filme. Dans The Fellowship of the Ring, il est caractérisé par un humour pince-sans-rire. Ainsi, lorsque les compagnons, après la disparition de Gandalf, pénètrent dans la Forêt de Lórien., et au moment où Gimli met en garde les hobbits contre ses habitants, la pointe d’une flèche menace soudainement le Nain. Les plans suivants, trés brefs, montrent tous les compagnons menacés. Un Elfe apparaît alors comme le chef des assaillants et fait une remarque en langue elfique...

« Le Nain respire si fort que nous aurions pu le tuer dans le noir. »


... avant qu’Aragorn prenne la parole : 


« Haldir de Lórien. Nous cherchons aide et protection. »

Ce personnage réapparaît dans The Two Towers, à la tête d’une armée d’Elfes avant le début de la Bataille du Gouffre de Helm. L’arrivée de ces forces inattendues redonne de l’espoir aux hommes qui s’apprêtaient à livrer une bataille perdue d’avance contre l’armée levée par Saroumane. La première réaction d’Aragorn est de serrer son allié dans ses bras. L’effet de surprise est évident pour l’Elfe qui ne s'attendait sans doute pas à une pareille manifestation d'amitié en public tant la défiance entre les Hommes et ceux de son peuple est grande. Ce geste, simple et discret, participera à l’intensité de la scène de la mort de Haldir durant cette bataille.

La tragédie est doublement soutenue par son regard perdu sur les Elfes tombés au combat, puis par le regard du spectateur qui assiste, pour la seconde fois, à la mort d’un compagnon d’Aragorn dans les bras de celui-ci. De nombreuses scènes trouvent ainsi un écho d’une partie à l’autre du récit.

Il faudrait encore évoquer la manière dont est mise en scène la relation entre Merry et Pippin dans la suite de leurs aventures, l’évolution de la relation qui s’établit entre Legolas et Gimli qui va de la haine naturelle entre un Nain et un Elfe à l’amitié qui lie les deux compagnons d’aventures.

Certaines scènes se font aussi l’écho de scènes aperçues dans d’autres œuvres. La mort de Haldir rappelle celle de Buliwyf, dans The 13th Warrior, de McTiernan. Sa mort est vue par Fadhlan de la même manière qu’Aragorn perçoit celle de Haldir. Les coups portés au Viking comme à l’Elfe sont filmés de manière identique. Il y a les mêmes gestes, l’image est ralentie, et soulignée par la musique. La pluie qui apparaît avant la bataille participe à l’action. Hasard ou non, les deux hommes ont un physique proche.

Ce n’est pas là le seul emprunt de Jackson à McTiernan. Les femmes et les enfants sont filmés, en quelques plans, se mettant à l’abri et ils sont montrés dans l’attente de la bataille. L’arrivée de l’ennemi est annoncée par une ligne lumineuse qui rappelle celle du Dragon Luciole, et par le bruit de pas évoquant celui des chevaux des Wendols. L’entrée de Gandalf, d’Aragorn, de Legolas et de Gimli dans la cour du roi du Rohan, Théoden, rappelle l’arrivée de Buliwyf et de ses guerriers à la cour du roi Rothgar, un roi tout autant diminué que Théoden et aussi mal conseillé. Cette scène est évocatrice du théâtre shakespearien, et le conseiller de Théoden, Grima Langue-de-serpent, n’est pas sans évoquer Thurio (Deux Gentilshommes de Vérone).

Le réalisateur fait aussi clairement allusion à l’opéra et à l’expressionnisme allemand, dans la scène de l’épreuve de Galadriel face à l’anneau. Le ton théâtral et puissant de la voix de Galadriel y participe. Enfin, sur l’ensemble de l’œuvre, la musique possède une intonation évocatrice.

Peter Jackson emprunte encore, respectueusement, à d’autres formes de cinéma, et à d’autres genres, notamment le cinéma muet avec la scène de l’épreuve de Galadriel, dans la première partie. Dans la seconde, c’est l’avenir d’Arwen auprès d’Aragorn qui lui répond tel un pendant. Cette scène nous plonge dans un cinéma féerique et onirique par la tonalité de la voix-off, par le point de vue thématique et par l’amour impossible entre une immortelle et un mortel.

Il y a aussi le western et le film de cape et d’épée (la chevauchée d’Arwen poursuivie par les nazgûls…), l’aventure (la découverte de nouveaux territoires…), le fantastique (les kelpies ou chevaux d’écume invoqués par Arwen…), l’horreur (l’exorcisme de Théoden…), le gore (la naissance des uruk-hais …), la comédie musicale (la chorégraphie des batailles…), le comédie comique (Merry, Pippin et Gimli…), la comédie romantique (la relation amoureuse d’Aragorn et Arwen …), la tragédie (la folie de l’intendant du Gondor…) et enfin la science-fiction (la télépathie de Galadriel, et l’hommage non caché à 2001, A Space Odyssey, à travers un voyage dans le temps et dans l’espace, lorsque Gandalf meurt et ressuscite (Peter Jackson semble s’offrir ici le luxe de donner son explication du film de Kubrick par le biais de Gandalf…).

Tous ces genres inspirent le mouvement. Le nombre de scènes filmées en hauteur (hélicoptère) est impressionnant et participe à l’amplifier, à donner de la fluidité et de l’espace aux scènes et aux séquences. Cet espace évoque l’immensité géographique et, de ce fait, le passage du temps. C’est particulièrement visible dans The Two Towers où la communauté est éclatée en trois groupes. Frodon et Sam font route vers le Mordor. En chemin, ils rencontrent Gollum et les Dúnédains, les hommes du Gondor, auxquels appartient le frère de Boromir, Faramir ; Merry et Pippin, enlevés par les Orques, sont poursuivis par Aragorn, Legolas et Gimli qui ne les rattraperont jamais. Libérés au cours d’une bataille, et en fuite, ils rencontrent Sylvebarbe, un Ent, avec lequel ils vont voyager. Aragorn, Gimli et Legolas rencontrent, quant à eux, les Rohirrims, les Cavaliers de la Marche, peuple auxquels appartiennent Théoden, Eomer et Eowyn. Cette rencontre les conduira à la Bataille du Gouffre de Helm.

Peter Jackson dynamise encore sa mise en scène par différents effets dont la répétition ou l’éclatement ne sont pas les moindres.


[1] Mad Movies n°131, mai 2000, « Lord of the Rings : Le Retour du Roi Jackson » ; Propos traduits et mis en forme par Rafik Djoumi.

[2] Impact n° 83, décembre 1999, « Lord of the Rings : Peter Jackson parle ». Propos traduits et mis en formes par Rafik Djoumi.

Annotations

Vous aimez lire Nath.Rvr ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0