La Planète Verte

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Un paradis de verdure. Le calme, bercé du règne animal, guéri de ses anciennes blessures. Les bois résonnent du chant des arbres dont les racines s’entrelacent dans l’intimité de la Terre purifiée des maux du passé. Serpentant entre les conifères et les fougères éparses, les eaux miroitantes d’un jeune ruisseau arrosent la flore à son doux passage, alors qu’une famille de chevreuils vient laper sa surface.

Par-delà les bois, une plaine. Immense, paisible, dérangée seulement du passage de bovins par les cris des rapaces virevoltant dans l’air pur. Il fait beau. Le soleil réchauffe les herbes de la rosée gouttant encore sur leurs longues tiges odorantes. À la verdure succède les insondables océans et les déserts ambrés de lointains continents ; mais ici, sur le sol de la vieille Europe, le vert a depuis des années repris son emprise.

Des décennies de silence à osciller au rythme lent de la Terre, de sa mélopée venteuse et son impétueux ballet magmatique. Une quiétude brisée quelques jours plus tôt dans une clairière en bord de goudron lézardé. Une hase et son conjoint avaient subitement dressé l’oreille et filer dans leur gîte caché dans les fourrées. Moins d’une minute plus tard, l’air avait crépité, puis s’était étiré, déchiré par des arcs électriques, avant de laisser passer deux spécimens disparus, chargés de lourds coffres hermétiques.

Même espèce sans pour autant être semblable. L’un était grand, sec, le visage partiellement ridé, figé sur une expression en permanence agacée ; l’autre, plus baraqué, râblé et plus sympathique d’apparence, si l’on mettait de côté le bras mécanique greffé à la chair de son corps. Différents, mais tous deux relevant du genre humain.

Fidèles à leurs ancêtres, ils avaient rapidement pris leurs aises, installé tout un fatras de machines pioupioutesques sur la terre cicatrisant encore de leur bref passage sous le soleil et doublé en moins d’une heure leur territoire.

Curieux, les mammifères épars les avaient observés durant les jours qui suivirent. Étrange créature que l’Homme. Si frêle d’apparence, fragile, les os cassants, pourtant si destructeur pour son prochain. Le plus grand et mince des deux, n’avaient de cesse de gesticuler, mouliner des bras et planter des longs tubes transparents dans le sol granuleux. Son acolyte avait au début participé, soulevant notamment un lourd bloc de roches chargé de minéraux, dissimulant la tanière d’une mouffette peu amène. Ensuite, lassé sans doute de l’exaltation de son comparse, il s’était aventuré dans les profondeurs des bois proches.

Lui savait profiter de ce que la nature offrait. Loin de déraciner des troncs ou extraire le sang des arbres, il se contentait de se poser sur la mousse au creux des pins et écouter le refrain d’un cours d’eau lointain, harmonisant son souffle à celui de la Terre. Ainsi immobile, dans la paix et le repos qui n’a jamais cessé d’être, il se faisait presqu’oublier des autres locataires du sanctuaire végétal.

Un matin, lors qu’il était appuyé contre un large chêne centenaire, une chevêchette tâchetée vint se percher sur le tissu couvrant son épaule encore constituée de chair et d’os. Il réagit à peine, tout juste ouvrit-il les yeux pour jeter un œil vers son intriguant visiteur. L’homme émit un sifflement à la fois mélodieux et strident, avant de lever son lourd bras de titane vers l’oiseau. Celui-ci piqua son bec dessus, avant de ne plus y prêter la moindre attention.

Peut-être est-ce cela qui poussa un jeune cervidé à ne pas marquer un détour et passer à côté de ce visiteur du passé, pour aller tremper sa langue dans un étang entouré de ronces. Même loin de la sécurité du bitume, l’Homme sait se faire accepter.

Du bitume justement, il y en a encore, moins d’une dizaine de kilomètres à l’ouest du campement improvisé. Une ancienne cité, ou ville comme les nommaient ainsi les anciens Hommes. Panachage de hautes tours bétonnées, aux vitres depuis longtemps brisées par la poussière, le lent passage du temps, usé par les racines du monde. Fusion de la nature opprimée et l’arrogance de l’humanité. Des siècles plus tard, ce n’est plus qu’un champ de ruines, triste, prisonnier d’une arborescence tortueuse.

L’autre humain, le maigre, au nez souvent surmonté d’une paire de lunettes tintée, s’y était rendu par deux fois. Il avait parcouru les longues avenues désertes, d’où émergeaient entre les crevasses des touffes d’herbes desséchées ; monté au sommet ravagé d’une cathédrale, rongée par l’humidité. Abandonnée par l’architecte, qui une fois se voulut l’égal d’un dieu que personne ne vit jamais.

À l’occasion, l’homme s’était assis à l’ombre d’un vieil abribus, dans l’obscurité d’une salle de péroraison, voire d’un carrefour à peine traversé par quelques chiens sauvages. Il était étrange pour lui d’évoluer dans un tel silence. Une telle plénitude, enrobée d’un air si pur, libéré de toute toxine. À la cime de certains gratte-ciels, il avait noté la présence répétée de panneaux solaires. En périphérie, comme dissimulé honteusement aux yeux des populations, c’était un parc tout entier qui trônait à l’abandon, entre les friches et les plantes grimpantes.

Dans un dernier éclair de lucidité, au milieu des tempêtes et des secousses, l’Homme avait tenté de se racheter une conduite. Une solution procrastinée, instituée pourtant avec suffisance un siècle trop tard.

Puis l’Homme avait cessé d’être. Éradiqué par son arrogance. Balayé par celle qui l’avait vu naître.

Temps écoulé. Voilà ce que conclut celui venu du passé.

Alors ce matin, dans une fine bruine estivale, ce même homme a décidé qu’il était temps d’abandonner la planète à sa tranquillité. La laisser en paix. Aussi calme que l’époque qu’il s’apprête à quitter, l’autre acquiesce, jetant un regard teinté de mélancolie vers l’obscurité sylvestre où il devine la présence d’animaux curieux.

Les deux hommes remballent leur matériel clignotant, replient la longue toile solaire et font grésiller l’air, le fissure en deux. L’excité passe le portail le premier, les bras chargés, sans un regard en arrière. Le plus calme, balaie le paysage du regard, prend une dernière bouffée d’oxygène, avant de retourner vers une époque encore empoisonné par le roi des parasites.

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