La Planète Blanche (2/2)

8 minutes de lecture

En voyant l’immense station orbitale dans le terminal de son prévisualisateur, Sanchez avait pensé avoir touché le jackpot.

Enfin !

Enfin, son espèce ahurie avait mis les bouchées doubles pour quitter ce maudit globe terrestre. Puis il avait aperçu la Terre, passée chez le teinturier. Un teinturier, nommé Sapiens, dont la pertinence du nom se diluait au fil des siècles. Qu’est-ce que ce crétin avait encore fabriqué ? Probablement rien, avant d’admettre trop tard, que les températures moyennes tendaient à foutrement baisser.

Il était possible cependant, que l’humanité ait réussi à s’embarquer dans son anneau satellite, avant que sa période interglaciaire ne se termine. Mais déjà, à ce moment-là, le cul vissé sur sa chaise ravagée, Sanchez en doutait, tout comme Leone.

La Chouette avait choisi de l’accompagner, non qu’il lui ait donné vraiment le choix. Le professeur y avait vu là l’occasion parfaite pour tester la combinaison cybernétique qu’il venait tout juste de terminer. Une combinaison en fibre de verre thermique, s’intégrant à la perfection avec le corps cybernétique de son nouvel assistant multitâche.

Naturellement, ils avaient convenu, enfin surtout Sanchez, d’envoyer Leone faire des prélèvements à la surface, pour le bien de la science. -127 degrés, c’est supportable pour un individu de sa tempe. La Chouette avait vaguement haussé les épaules, chose peu visible sous l’épaisse combinaison, puis traverser le portail.

De son côté, le professeur avait opté pour la relative sécurité de l’immense anneau planétaire. Nul doute pour lui qu’il y aurait masse de trouvailles dans ce tas de ferraille stellaire.

Une demi-heure plus tard, dans un environnement à -54 degrés, il commence sérieusement à en douter. Les couloirs succèdent aux sas, les chambres plus ou moins spacieuses aux galeries marchandes. Accroché à ses principes, tout particulièrement le glorieux capitalisme, l’humanité avait tenté de le préserver dans l’espace. Tous ses travers inclus ma bonne-dame.

La gravité artificielle s’est fait la malle avec probablement les derniers représentants de l’espèce, dans l’hypothèse où elle a vraiment réussi à se hisser dans son arche. Connaissant les humains, pas besoin d’avoir fait Cambridge pour se douter qu’elle avait probablement tenté de séparer le bon grain de l’ivraie avant le grand départ. Ses dernières heures sur la planète blanche avaient dû être sanglantes.

Cela dit, l’apesanteur arrange plutôt bien Sanchez. Il lui a fallu un petit temps d’adaptation au début pour éviter de partir en looping à chaque brasse inutile, mais depuis glisse à travers l’immense structure façon Chercheur à Grande Vitesse.

Il n’a pas encore débusqué le nom de cet immense halo blindé. Le peu d’indications gribouillées en mandarin qu’il a aperçues jusqu’à présent est illisible ou liquéfié. Reste que l’architecture est assez folle. Construite sur plusieurs niveaux, chacun visiblement attribué à une caste sociale (on ne change pas une recette qui foire), la structure fait le tour de la Terre, transmutant l’énergie thermique et solaire par de puissants panneaux dédiés. En théorie du moins.

En pratique, soit les batteries sont mortes, soit le dernier occupant devait être de la famille Thunberg et avait décidé de faire des économies de bouts de bobine. Sans les lampes de sa combinaison, Sanchez ne voit pratiquement rien. En plus, il est arrivé dans la face cachée de l’anneau, là où son comparse a lui le luxe d’évoluer sous la chaleur relative du soleil. Il en met sa main dans l’espace que Chang a fait ça volontairement. Soi-disant qu’il aurait échappé de peu à la mort durant la précédente expédition. Qu’est-ce qu’il n’est pas prêt d’inventer pour gagner son attention…

Finalement, Sanchez décide de marquer une petite pause au milieu d’un immense hall semi-transparent. Sorte de baie vitrée de deux étages, allouée à des privilégiés pour se prélasser, un Mojito à la main, devant la Terre mourante. Si toutefois bien sûr, ces oisifs ont pu un jour profiter d’un tel luxe. Le bar est abandonné, ses placards hermétiquement clos. Des bancs mal vissés, très typés 70s, flottent sur place. Quelques tubes serpentant sur la surface vitrée, laissent à penser que l’architecte s’était amusé avec la gravité, à moins que cela ne soit qu’un gigantesque espace de jeux pour enfant.

Il reste dommage qu’il se trouve dans l’ombre de la planète. En pleine lumière, la vue doit être époustouflante. Sans doute aurait-il même poussé le vice à prendre une authentique photo du nouvel âge glaciaire.

Messieurs, mesdames, admirez ce que nous promet la glaciation entamée en 2030 ! Un anneau désert, de la glace et du blanc sur toute la surface du globe. Allez-vous continuer vos conneries ? Ou vous serrer la nouille et tentez au moins de construire une arche digne de ce nom ? Vous avez trois siècles pour répondre. Prenez votre temps, mais dépêchez-vous quand même !

Dans cet avenir, point de hâte. Résultat : les puissants avaient dû continuer leur cirque bariolé, puis des décennies plus tard, écouter distraitement les voix de la raison de plus en plus nombreuses. Probable qu’ils aient programmé ensuite tout un pataquès de procrastination écologique avant d’admettre que oui, les pôles ont doublé de volume et oui, la Scandinavie a un surplus de glace annuel, mais quoi ? On ne va pas mourir de soif, au moins !

Les 1% ont un excellent sens de l’humour. Dommage que plus personne ne soit en vie pour en profiter.

En flottant vers une passerelle surélevée, Sanchez aperçoit enfin un objet utile au milieu de cette débauche d’iniquité : un plan. Une longue coupe de l’anneau, nommé Aurora (originalité, quand tu nous tiens), s’étirant sur un mur entier, de toute évidence, pensée pour être interactive. Mais sans courant, pas d’agrément. Il note tout de même, un segment plus intéressant. Quartiers orientaux des ingénieurs. Voilà l’endroit parfait pour grappiller un peu de sciences et d’avenir.

D’un geste, il active sa communication radio.

- Leone, vous en êtes où de votre côté ?

- Je… entends très… ko. Ajus... quence, crachouille la voix de Leone.

- Putain de merde ! Ça m’énerve ! Je l’avais pourtant calibré plus tôt. Tss...

- Inut… er… Parfaitem... que l’... sphère l… se pas…

Sanchez ne prend pas la peine de répondre. Ses doigts, rendus malhabile par l’épaisse combinaison, tripotent le cadran de la radio sur son poignet. Au bout d’une minute qui lui paraît durer une éternité, il finit par rétablir une connexion digne de ce nom.

L’échange est bref, mais exhaustif. À part de la glace, donc de la flotte, il n’y a rien sur la surface. Rien d’étonnant, bien qu’il ait secrètement espéré qu’au bout de plusieurs siècles, les êtres vivants d’antan soient revenus en force. Cela étant, Leone s’est retrouvé sur la Manche. Hormis de gros poissons sous ses pieds, il avait peu de chance de tomber sur un mammouth laineux. Chang, nom d’un poulpe…

Bref, la Chouette retourne dans son nid, pendant que lui continue vers un segment plus lumineux. Il prend appui sur un mur pour se propulser comme une balle à travers l’enfilade de corridors. Pratiquement rien ne l’arrête. Il faut dire que l’anneau ne semble pas terminé. Au-delà des coups de peinture aléatoires, certains compartiments d’apparence plus fragiles n’ont pas résisté aux météores de passage. Preuve en est que l’Homme, dans son immense sagesse, a bricolé cet engin au dernier moment.

Au détour d’un coude, Sanchez évite de justesse une porte, puis des morceaux de charpente pour être contraint de se raccrocher à un néon vissé au plafond et éviter de filer dans le vide intersidéral. Plusieurs niveaux n’ont pas résisté au choc d’un plus gros débris. Le professeur pousse un reniflement de mépris et continue sa route via des compartiments plus solides, comme par hasard terminés et hasard encore plus grand, tous destinés au “gratin” de l’humanité. Jusqu’au bout ils auront cherché à se la mettre bien profond.

L’avantage s’il en est, c’est qu’il peut continuer son exploration sans devoir se balader dans l’espace. Vu que l’homo debilus est porté disparu, il ne va pas abroger l’opération. Autant que le sacrifice des plus humbles puisse permettre de faire avancer la science ad minima.

Après plusieurs minutes de flottaison silencieuse, les premiers rayonnements solaires viennent illuminer l’Aurora. Le professeur marque une pause dans une sorte de galerie d’art moderne, le temps de laisser ses yeux se réhabituer au retour de la lumière. Au passage, il embarque une statue en forme de bonhomme, qui aurait pu être dessiné par un gamin de six ans, mais signée de la main de Jeff Koons, d’où son exposition. Hors de question qu’il quitte cet avenir déprimant les mains vides. Si en plus cette horreur peut permettre d’influer sur la carrière du plasticien, il ne va pas cracher dessus.

Quand il parvient dans les quartiers orientaux, une dizaine de minutes plus tard, la Terre est un peu plus visible. Sanchez discerne sa surface laiteuse où se réfléchissent les rayons d’une aube naissante. Il savoure l’instant, prend une photo avec la caméra de son casque, puis farfouille dans la machinerie. Les compartiments sont un peu différents ici. Pas de fanfreluches, de toiles hors de prix ou design tarabiscoté, essentiellement du matos pratique.

Il y a eu de la vie ici, pense Sanchez en notant la présence de penderies en chambard, de fringues troués en apesanteur et de cadres photo numériques. Mais d’humains ou de vie, il n’y a aucune trace. Aucun corps gelé dans la mort et l’éternité, ni de trace d’être vivant. Seulement le silence du vide.

Quant aux machines… elles ont dû fonctionner aussi, il fut un temps. Puis la mort est passée par là et faute d’entretien, elles sont tombées à l’abandon. Leurs fluides se sont solidifiés, les réacteurs, cessés d’être alimenté. Bref de l’énergie il y en a, mais plus rien pour l’utiliser ou la stocker. Privé d’assistance l’anneau a peu à peu cessé de tourner. En l'état, ce n’est plus qu’un cimetière volant, dernier vestige d’une espèce ayant abusé des ressources qu’une éventuelle feignasse divine leur avait prêté. Plusieurs milliers de kilomètres plus bas, la planète blanche attend la fin de son nouveau cycle glaciaire.

Le professeur se permet tout de même “d’emprunter” sur le long terme, quelques gadgets qui retiennent son attention, tout particulièrement un petit panneau solaire aux cellules photovoltaïque condensées qui pourraient, il en est sûr, lui être utile.

Finalement, il sort un petit étui isotherme, scellé à grands coups de fer à souder près de quatre siècles plus tôt, refermant un mini prototype monochargé de sa machine. Synchronisé avec le point d’ancrage, il ne reste plus qu’à son propriétaire à presser le bouton et… Bingo !

Devant lui, le vide se distord, l’espace tourbillonne puis matérialise la traditionnelle faille verdâtre. Sanchez la traverse sans un regard en arrière, quittant à jamais le futur le plus froid qu’il ait jamais connu.

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