Contacts entre individus
Il existe une certaine science derrière l’humain. Bien entendu, les sciences naturelles sont partie majoritaire de l’ensemble qu’est l’humanité, mais je sens qu’il y a quelque chose d’autre. Quelque chose de mystérieux, indescriptible, se retrouvant dans chacun de nous et nous rassemblant non en tant qu’espèce animale de la race des humains, mais comme être conscient possédant une âme, des émotions, une histoire. Un individu peut être décrit comme un amas d’os, de muscles, de tendons et de cartilages, mais il est impossible de savoir ce qui anime cet amas afin de donner un être à part entière. Est-ce son âme, cette théorie impossible à prouver qui rend les scientifiques perplexes, même aujourd’hui? Ses émotions, cette manière de communiquer des idées ne se traduisant pas en mots intelligibles? Son histoire, son vécu, ce qu’il a fait, ceux qu’il a rencontrés, touchés, parlés? Pour le moment, la science secrète derrière notre monde, je la ressens de plein fouet. Victor dans mes bras, j’ai l’impression de connaître tout son monde, savoir tout ce qui s’y passe et être capable de ressentir son humanité entière.
Main dans la main, comme au bon vieux temps, il me guide jusqu’à son chez-lui, quelques pâtés de maisons plus loin. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai un sourire dans le visage, malgré mes nombreuses blessures, mes yeux d’un rouge flamboyant et ma démarche maladroite. Je me sens en sécurité. J’ai quelqu’un.
Arrivé à destination, je remarque que la majorité des invités sont déjà présents : c’est une petite soirée entre amis dont je ne connais que Victor. Tous les regards se posent immédiatement sur moi. Ils me jugent, je le ressens. Je ne suis pas comme eux : je possède un lien spécial avec Victor, un lien humain. Une science peut-elle réellement être humaine? Ne serait-ce là qu’une personnification imaginative que nous donnerions à une chose bien concrète composée de molécules et de formules? L’amitié semble bien réelle et il est possible d’y associer une séquence de phénomènes chimiques, serait-ce là une preuve de la qualité humaine de la science?
Je discute avec ces gens jaloux de cette science dont je possède maintenant le secret. Je leur demande leur histoire : ils me répondent tous ce qu’ils ont étudié, ce qu’ils ont fait hier soir et ce qu’ils vont faire la semaine prochaine, ce à quoi je leur réponds qu’ils doivent plutôt se concentrer sur les contacts humains qui leur procurent du bonheur. C’est là la véritable clef de cette émotion, ce concept abstrait qu’est le bonheur, la joie, la satisfaction individuelle. Ai-je bien fait de m’enfuir de mon beau-père, lui qui ne m’en apportait point? Selon toute logique, la réponse est bien entendu affirmative.
Il est maintenant 22:00. Mon téléphone n’a pas encore vibré avec un beau-papa en colère au bout du fil : bonne nouvelle. Mauvaise nouvelle : cet inconnu prénommé Kevin s’est à moitié dénudé et s’est exclamé haut et fort que c’était l’heure des «shots». Je ne pense pas que ma tête ni mon corps ne puissent supporter d’avaler des gouttes de ce breuvage empoisonné, encore moins des verres complets. Mes jambes se dirigent vers Victor, ma bouche lui dit à prochaine, mes bras l’enlacent et je m’éclipse dans la nuit, de nouveau sur la route d’introspection de moi-même, ayant perdu tous mes points de repères précédents. Cette fois-ci, mon seul moyen de me retrouver est de creuser au plus profond de moi-même, par-delà mon sang et mon histoire, et de retrouver ce qui m’associe au reste du monde afin de m’en dissocier. La joie que j’ai vécue à la vue de Victor, le désespoir lorsque j’ai chuté de ma planche, la tristesse qui m’a embelli plus tôt en pensant à maman et à papa, la détermination dans mes yeux en allant à la bibliothèque, tous ces phénomènes se retrouvent chez chaque individu qui soi. La réponse se trouve donc peut-être au travers des émotions, partie intrinsèque de la science humaine.
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