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LES ICÔNES DU PÉCHÉ - chapitre deuxième

— Commençons sans plus attendre par le sujet qui agite la Troll-sphère depuis quelque temps. Avez-vous des nouvelles de la Terre, Janette ? De notre Terre, des news bien de chez nous ? J'ai entendu dire qu'il s'y passe des choses pour le moins inquiétantes.

— Effectivement, Marcello. Il semblerait que des événements terribles se préparent. Nos pigistes-reporters sont sur le pied de guerre afin de débusquer des secrets profondément enfouis. Il y a eu un cafouillage avec les dossiers d'Emerance. Mais heureusement, Alessya a pris le relais en nous dénichant des nouvelles de Chicago. Là où, apparemment, les Sentinelles auraient repéré la signature du Shabah Almawt. Celui que l'on nomme l'Esprit de la Mort ou encore l'Ange de la destruction.

— Des secrets, dites-vous ? Tout ceci me semble fort excitant ! Une tasse de thé, Janette ? Nous avons du Perle de Jade, aujourd'hui.

— Volontiers, Marcello. Enfin, du thé vert ! Mais je crains qu'il n'y ait pas de quoi se réjouir. J'en veux pour preuve ce nouveau documentaire qui vient de tomber des archives du FBI, histoire que nos trollitos comprennent bien le contexte et ce qui nous attend... attention, âmes sensibles s'abstenir !

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Quatre petites filles

En ce début de mois d'octobre 2040, les rayons dorés du soleil d'automne inondent les rues de Chicago. La ville s'éveille. Le métro aérien serpente au-dessus des voitures et des piétons exécutants leur chorégraphie matinale. La cité de bronze et de verre scintille, animée par le rituel quotidien de ses habitants. L'odeur de café embaume l'atmosphère. Les vendeurs de journaux exhibent les gazettes aux yeux des passants, apportant une note vintage au tableau. La fourmilière grouille de vie.

Dorian Parish se hâte d'entrer dans la salle de réunion. Ses collègues regardent les nouvelles diffusées sur le projecteur holographique. La presse s'est emparée de l'affaire, énonçant d'absurdes spéculations.

— Il sera plus difficile de faire notre travail avec ces vautours, mais nous n'avons pas le choix. Trois cadavres de fillettes retrouvés et la petite Jessica Preston a disparu depuis treize heures, déjà. Préparez-vous à enchaîner les nuits blanches.

Se tournant vers Dorian, Aaron Levar, le chef de la section spéciale lance au jeune homme :

— Je peux te parler, s'il te plaît ?

— Oui patron, répond-il, le suivant jusqu'à son bureau.

Dorian referme la porte derrière lui.

— Tu as besoin de congés ? Parce que ça fait une semaine que tu arrives en retard. Quelque chose ne va pas ?

— Pardon, chef, c'est juste que ma sœur et sa fille vivent chez moi depuis un mois. Elle a divorcé - ça fait deux ans maintenant - et son ex-mari lui prend encore la tête pour la garde de la petite.

— Je vois. Tu as besoin de prendre des jours, tu me dis. Sans ça, j'aimerais que tu arrives à l'heure, dorénavant.

— Oui, boss. Promis, je vais me reprendre. Merci.

Les deux hommes sortent du bureau, puis retournent au briefing. Le capitaine Levar donne les instructions à sa brigade. Chacun part avec son binôme arpenter les rues de Chicago, à la recherche de témoignages qui permettraient d'établir une liste de suspects, après étude des scènes de crime ainsi que des rapports du légiste. Aaron reste au QG afin d'effectuer des recherches de toutes sortes utiles à l'enquête et en superviser le déroulement. Les agents gardent constamment contact entre eux, avec l'holocom*, pour faciliter la circulation des informations. Ainsi, en cas de besoin, leur capitaine peut contacter un juge susceptible de fournir rapidement un mandat de perquisition ou informer les autorités locales de l'arrivée de ses agents lors d'investigations sortant de la géographie de la mégalopole.

Aujourd'hui, Parish fait équipe avec Daniella King, une jolie jeune femme de vingt-cinq ans. La geek de la division des experts du comportement criminel. Sa longue chevelure auburn nouée en queue de cheval, elle porte une veste kaki, un débardeur blanc, un jean bleu clair et des bottines marron à lacets. Une tenue pratique, qui reste cependant féminine. Daniella aime s'habiller avec un certain style. Militaire sexy. Secrètement amoureuse de son collègue, elle tente discrètement de le séduire, mais il ne remarque aucun de ses efforts. Dorian est obnubilé par son travail et les problèmes de sa sœur. La ravissante Ritalo-Usayenne ne s'avoue pas vaincue. Elle reste pourtant professionnelle, n'entreprenant rien qui soit susceptible d'embarrasser le jeune homme, encore moins de freiner la progression de l'enquête. La demoiselle a bien conscience que leur travail est plus important. Leur section est le dernier recours quand la police a épuisé toutes ses ressources, avant la fermeture définitive d'un dossier, qui finira indubitablement dans les caisses froides des archives.

Arrivés à Glencoe, un village situé dans le comté de Cook en proche banlieue de Chicago, les deux agents interrogent les parents ainsi que le voisinage aux alentours de Chesnut Ln, afin de glaner un maximum d'informations sur les circonstances de la disparition de la petite Jessica. Daniella ne peut s'empêcher d'admirer son bel Eireen. Élancé, un physique sportif. Les cheveux bruns mi-longs. Les yeux marron pétillants. Il s'habille toujours en noir. Il porte un pull à capuche, une veste trois-quarts, un jean moulant avec des Rangers. Cette apparence de rockeur plaît beaucoup à la jeune femme. L'agent King a intégré la section spéciale des comportementalistes depuis un an déjà, mais Parish garde, avec elle, une attitude plutôt réservée. Daniella n'arrive pas à faire fondre la glace de son mystérieux coéquipier, qui est pourtant d'un naturel sociable.

La matinée passe relativement vite. Tous deux ont noté des détails significatifs, qui vont sûrement faire progresser l'enquête. Une camionnette bleue a été repérée sillonnant les rues de la petite agglomération résidentielle où vivent les Preston. Le suspect est un homme d'une quarantaine d'années, châtain, vêtu d'une combinaison grise. Le grand frère de la petite Jessica a donné son signalement aux deux agents, après que Dorian l'a aidé à se souvenir en employant une méthode mnémotechnique qu'il a développée à l'armée.

L'agent se place à côté du garçon.

Hey, ça va aller mon bonhomme. Inspire un bon coup et expire jusqu'au bout. Ferme les yeux, vide tes poumons... concentre-toi sur ta respiration...

L'enfant obéit. Cet exercice le détend.

— Lequel de tes sens est le plus développé, d'ordinaire ? demande Parish d'une voix douce et bienveillante.

— Les sons, les bruits, ils résonnent dans ma tête. Parfois, mes copains croient que j'hallucine. Mais je vous jure, j'entends tout.

— Hyperacousie. Parfait. Je te crois. Ferme les yeux encore une fois. Remonte dans le temps. Ce matin-là, tu te lèves, tu prends ton petit-déjeuner, focalise-toi sur tout ce que tu entends.

— J'entends ma cuillère qui cogne contre mon mug. Je touille le chocolat dans mon lait.

— C'est bien, continue.

— Ma sœur nous rejoint. Elle court vers maman.

— Maintenant, associe une odeur à chaque bruit. Puis ajoute le toucher. Le bol chaud, lisse ou rèche, la température de la pièce... ensuite, tu associes l'image qui correspond à chaque sensation. Tu finiras par visualiser le tableau dans son ensemble.

L'enfant se concentre.

— Avance dans le temps, tu peux me décrire ce qu'il se passe ?

— Oui. Ma sœur et moi on va jouer dans le jardin. On joue à cache-cache. Cette fois-ci c'est moi qui compte...

— D'accord, qu'est-ce que tu entends ?

— J'entends le moteur d'une camionnette, puis la portière qui s'ouvre. Oui ! Il y a un van et un homme qui s'assoit au volant. Il a une de ces combinaisons de travail, comme les électriciens ! s'exclame le garçon, surpris de se souvenir d'autant de détails : comment j'ai pu oublier ?

— C'est du bon boulot, mon gars, le rassure l'agent en le prenant par l'épaule : tu peux être fier de toi. Et n'oublie pas, utilise tes sens pour raviver ta mémoire. Elle est connectée à chacun d'entre eux.

Des voisins ont remarqué le véhicule, qui tournait depuis trois jours avant l'enlèvement de Jessica, confirmant la description du frère. Les journalistes ont envahi le quartier. Dorian est agacé par leur présence.

— Bouffeurs de misère humaine !

— Le TROLL est plutôt un bon mag, Dorian...

— L'exception qui confirme la règle ! Heureusement que les flics sont là pour les retenir, ces journaleux seraient capables d'installer leurs tentes dans le jardin des Preston !

— C'est terrifiant d'observer ces vautours n'éprouvant aucune empathie pour cette famille ! lance la jeune femme, s'engouffrant dans la maison, suivie de son collègue.

Tant bien que mal, Daniella tente de rassurer les parents de la petite. Tandis que le père rumine dans le salon, Parish appelle Aaron afin de l'informer de l'évolution de leurs investigations. La mère, descendant du premier étage, confie la poupée de chiffon de son enfant à l'agent King.

— Je vous en prie, rendez-la à mon bébé quand vous la retrouverez. Qu'elle sache que je n'ai jamais cessé de penser à elle. Ma fille n'a jamais pu se passer de sa « Violette adorée ».

La jeune femme serre le petit volume de coton contre son cœur, puis pose sa main sur l'avant-bras de madame Preston. Elle n'ose imaginer la douleur que l'on éprouve à la perte de son enfant.

La fillette s'amuse dans le jardin, comme chaque jour. La vie suit son cours. Tout va bien et l'instant d'après, l'existence d'une famille sans histoire bascule dans l'abîme.

Une ombre funeste plane au-dessus de la mégalopole. L'atmosphère est viciée par un mal inconnu. Depuis quelques années déjà, Chicago est victime d'une recrudescence de la violence, survenue soudainement, sans facteur cohérent permettant de l'expliquer.

L'équipe espère retrouver la dernière victime. En vie.

Les chroniques du Monde - BEHAVIORS

Réalisation : Alessya M. pour TROLL MAG INFINI-TEA

~¤~

— Eh bien, c'est assez déstabilisant, Janette. Devons-nous adhérer à cette théorie de destructeur des mondes fort d'une légion réunissant le pire de l'humanité ?

— Vous connaissez nos pigistes, cher Marcello. Leurs reportages sont toujours très documentés et laissent peu de place à l'erreur et encore moins à l'affabulation.

— Mais dans ce cas, nous sommes tous finis ! Entre nous, Janette, l'humain n'a pas besoin d'une espèce d'être démoniaque pour lui dicter sa mauvaise conduite. Les gens sont flous, les temps sont fous, ce n'est pas très rassurant, mais ça ne change pas ! C'est systématiquement le même scénario qui se répète... en boucle comme un disque rayé... et personne n'en a marre, personne ne se réveille, personne n'apprend ?

— Nous le découvrirons très vite, cher Marcello.

— N'empêche, certains journalistes sont la honte de la profession, Janette, heureusement qu'au TROLL nous ne sommes pas des vautours ! Il reste peut-être un brin d'espoir pour l'humanité...

— Sait-on jamais, Marcello. L'agent Parish ne nous déteste pas, c'est agréable de constater que la réputation du TMIT* n'a pas été souillée par l'incompétence de nos analogues ! L'ombre du mal... c'est tellement surfait !

— Oui ! En espérant, tout de même, que ça ne nous tombe pas dessus comme une guigne, chère Janette. Allez, à la semaine prochaine, chers Troll-spectateurs et ne trollez pas trop devant l'écran !

*

Holocom : un communicateur holographique connecté au QuantNet, une évolution d'intranet hyper sécurisé.

TMIT : TROLL MAG INFINI-TEA.

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