Chapitre 4 : Les Automates Wallace

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 Fondée il y a de cela 60 ans, cette fabrique s'était spécialisée dans la conception d'automates de services. Des engins tout d'abord de transport de matériels, permettant de faire monter ou descendre de lourdes charges, ou bien des systèmes de rails pour les acheminer plus rapidement. Puis, elle avait cherché à diversifier le domaine d'activité de ses produits. Mais à cette époque, l'entreprise Wallace n'était pas la seule sur le marché. Son concurrent direct, l'Atelier Smith & Stanway, fabriquait des automates au design raffiné et époustouflant, tout en gardant un prix de vente des plus abordables. Durant plus de dix ans, les deux fabricants menèrent une guerre de marché sans merci. Tout le continent connaissait ces deux prodiges de la mécanique. Obadiah Wallace, fondateur et directeur des Automates Wallace, était un homme ambitieux, avide d'être celui qui contrôlerait le marché de la vente d'automates. Il était connu pour sa grande jalousie envers Levi Smith, lui-même gérant de l'Atelier Smith & Stanway. Là où Obadiah excellait dans la conception de machines imposantes et incroyables par leur stature et leur démesure, Levi émerveillait le monde de par son total inverse. La minutie et la finesse des automates S&S parvenaient sans problème à surpasser les ventes d'Obadiah.

 Mais comme toutes les guerres, celle-ci eut une fin. Du jour au lendemain, l'Atelier S&S ferma boutique suite à la mort tragique de son gérant, emporté par la maladie. Wallace, alors maître de la totalité du marché, avait étendu son influence sur tout le continent et parvenait même à exporter dans d'autres pays. Son nom et celui de sa fabrique étaient désormais gravés absolument partout. Mais loin d'être satisfait de sa situation, Wallace avait continué à chercher à en obtenir plus. Ses machines devenaient de plus en plus complexes, de plus en plus inédites et les rumeurs de sa folie naissante se propageaient au rythme de ses avancées technologiques. À présent, c'était le fils Wallace qui dirigeait la fabrique et même si ses ambitions n'égalaient pas celles de son père, les rumeurs chantaient qu'il continuait de tracer le chemin de ce dernier dans sa quête d'innovation.

 Otto ne savait qu'en penser. Il n'était pas sûr que c'était là les informations qu'il recherchait, les rumeurs de comptoirs ne l'intéressaient pas, mais c'était sûrement elles qui avaient forgé la plus grande part de cette histoire. Il était impossible de connaître la vérité à moins d'avoir un lien direct avec les Wallace, et ce n'était certainement pas le cas de ce vieux bougon de vendeur de poussière. Si Otto voulait délier le vrai du faux, il allait devoir boire à la source. Heureusement pour lui, les rumeurs de comptoirs s'abreuvaient souvent de faits avérés pour la véracité de leur récit, et l'information concernant le lieu où se trouvait la fabrique des Automates Wallace était sûrement vraie. C'était donc là-bas qu'Otto devait se diriger, la ville Orpheline de Scuttlebury.

 Il remonta le col de son manteau et longea la rue principale en direction du stand de Cox. La journée avait déjà largement entamé son après-midi et le soleil peinait à rester au-dessus de la cime des hautes tours de la ville. Pourtant, la rue transformée en bazar marchant ne désemplissait pas. Musique, couleurs et parfums avaient repris leur danse harmonieuse de la matinée. Aucun marchand ne semblait ployer sous une quelconque fatigue, et le tandem Cox n'en faisait pas exception. Lorsque Nicolae, occupé à maintenir le feu de leur petite cheminée allumée, aperçut l'automate, il se leva d'un bond et le pointa du doigt :

 - Tomate ! Papa, le Tomate est revenu !

 Ebenezer gratifia le retour d'Otto en faisant sourire sa moustache grise avant de se reconcentrer sur une dame inspectant une botte de carotte dans un bol en argent. Otto vint reprendre sa place près de la cheminée en ébouriffant discrètement la tête du gamin :

 - Appel moi Otto, petit, tu veux.

 - Ot'Tomate !

 Cox lâcha un puissant rire sans retenue et se tourna vers eux. D'un geste de la main, il intima à Nicolae de prendre sa place et le vieux marchand se planta tout sourire devant Otto :

 - Alors c'est pour ça qu'tu t'appelles comme ça ?! Otto pour automate ? Ça manque d'originalité tout ça.

 - Peut-être, ce n'est pas moi qui ai choisi ce nom.

 Il baissa légèrement la tête, ses pensées dérivèrent de souvenir en souvenir, cherchant le fameux jour où une petite fille lui avait donné ce nom :

 - Je te taquine, mon gars. Alors ? Nic m'a dit que tu avais fait un tour dans une boutique ? T'es pas allé chercher des ennuis, j'espère ?

 - Normalement, si les habitants du coin sont des gens de parole, ça devrait aller. J'avais besoin de quelques renseignements.

 Cox toisa Otto d'un air légèrement désapprobateur avant de hausser les épaules. Du moment que personne ne venait leur chercher des noises, ça lui convenait. Il saisit une petite pelle, plongée dans un sceau de charbon près d'eux, et jeta quelques boulettes noires dans le feu. Au-dessus de la cheminée se trouvait une large plaque en métal sur laquelle reposait une petite marmite fumante. Cox souleva le couvercle qui dégagea un nuage d'arôme alléchant. À l'intérieur mijotait un délicieux ragout de lapin. Le marchand sortit un bol en argent de sa poche en le rempli avec une portion du contenu de la marmite :

 - Allez, allez, mesdames et messieurs ! Venez gouter notre spécialité, le ragout de lapin sauvage ! Les légumes viennent d'ici, la viande du stand de madame Pott et la crème de chez monsieur Maxwell !

 Otto observa en silence le marchand qui attirait de plus en plus de monde. Il était très intelligent de sa part d'obtenir un accord avec d'autres stands pour préparer ainsi ce plat et mettre en avant leurs produits à tous les trois.

 Lorsque l'horloge sonna les 19h, la rue avait déjà commencé à se vider. Cox avait écoulé l'entièreté de son ragout de lapin et laissait mourir doucement le feu de cheminée :

 - Alors Otto, t'en penses quoi ?

 - De quoi ?

 - Et ben du stand ! Du marché, d'la rue, de tout ça quoi ! Ça donne une autre image de la ville non ?

 - Je dois avouer que c'est plaisant à regarder et que vous et votre fils êtes plutôt efficaces. D'ailleurs, maintenant que vous n'avez plus de client, j'aimerais vous poser quelques questions.

 - J'écoute ! sourit le marchand tout en commençant à ranger les légumes toujours sur les présentoirs

 - Dans quelle direction se trouve Scuttlebury ?

 - La Cité des orphelins ? Pourquoi ?

 - C'est ma prochaine destination.

 - Oh. Tu veux déjà partir ? Tu sais que tu peux pas quitter Crowmeere avant la fin des trois jours, hein ?

Cox leva son poignet et désigna la montre qui leur avait été mise à leur entrée :

 - Ce truc sert à la fois à ce que les marchands ne s'éternisent pas, mais aussi à les contraindre de rester suffisamment de temps pour vendre en bonne quantité. On aura le droit de quitter la ville qu'une heure avant la fin des trois jours. Tu vois la loupiotte verte ? Quand tu dépasses les trois jours, elle devient rouge et une heure avant, elle devient orange !

 Otto leva son poignet et observa la montre. Comme si ce gadget allait le retenir ici ! Il tourna la main et observa l'attache. Deux petites plaques de métal s'emboitaient l'une sur l'autre comme aimantée. Otto tenta de les séparer, mais elles restaient indissociables. Sur le côté se trouvait une minuscule fente, à peine plus large qu'une aiguille, et de part et d'autre était gravée les lettres "A" "W". Automate Wallace, bien sûr. Encore et toujours eux. Otto laissa retomber son bras en soupirant :

 - Merveilleux...Et je suis censé faire quoi en attendant ? Vous servir de porte-manteau ?

Cox rit doucement avant de sortir de sa poche une petite bourse :

 - Tiens mon gars, ça t'occupera, tu pourras faire le tour du marché demain et te faire un peu plaisir. Vu les loques qui te servent de fringues, t'as pas dû t'acheter grand-chose depuis un bon moment.

 - Je n'ai pas besoin de votre charité.

 - Considère ça comme ta paye ! Tu m'as bien aidé aujourd'hui, et si tu m'aides demain, t'en auras peut-être d'autres ! Aller vient, on va aller réclamer nos chambres. Tu verras la tavernière est un sacré petit brin de femme...Ha si j'avais pas déjà la mienne !

 Cox partit de nouveau dans un rire sans retenue en tapotant l'épaule de l'automate. Nicolae, qui avait fini de tout emballer, attrapa Otto par la main et le tira vers le centre de la rue :

 - Tu viens Ot'Tomate ?

 - Partez devant, je finis de mettre les caisses de légumes à l'abri et je vous rejoins ! lança Cox

 Le gamin entraîna Otto sans attendre davantage et le conduisit vers un énorme bâtiment caché derrière une série de petites ruelles zigzagantes. Le baraquement était plus large que haut malgré ses trois étages et de l'extérieur on pouvait déjà percevoir les éclats de voix et bruit de verre d'un bar en pleine activité. Le joli petit brin de femme dont Cox parlait s'appelait Mercy, une frêle petite rouquine qui pourtant menait sa taverne d'une main de fer. Elle et son magnifique sourire d'ange accompagnèrent Nicolae et Otto au deuxième étage et leur présentèrent une chambre. Bien entendu, Otto ayant été enregistré à l'entrée comme automate de service, aucune chambre ne lui avait été réservée. Il se contenta donc de jeter son manteau sur le tapis au pied du grand lit que partageraient Cox et son fils.

 Alors que Nicolae avait rejoint son père au rez-de-chaussée pour profiter du bar, Otto avait préféré rester seul dans la chambre. Il était allongé sur son tapis-lit de fortune et observait la montre à son poignet. Encore deux jours à attendre.

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