II

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Touya passa ses mains dans ses cheveux rouges ébouriffés. Il aurait tellement aimé les avoir plus longs et lisses, comme son adorable petit frère, Shouto. Mais ils étaient si rebelles qu'il ne servait à rien de les faire pousser. Lui et Natsuo, son autre petit frère, avaient hérité cela de leur père et il devrait s'y faire. C'était tout à ses considérations capillaires qu'il se rendait au collège en ce frileux matin d'avril.

Bien sûr, il aurait pu faire comme tout le reste de sa famille et profiter du chauffeur mis à sa disposition. Ikeda-san était toujours heureux de le conduire partout où il le désirait et il travaillait pour les Todoroki depuis bien avant sa naissance, ce qui faisait de lui un oncle honoraire dans l'esprit de Touya. Mais l'adolescent avait renoncé sciemment à ce privilège. S'il y avait quelque chose qu'il ne voulait surtout pas, c'était n'être qu'un « fils de ». Il reconnaissait volontiers que sa mère avait fait de lui ce qu'il était aujourd'hui et l'admirait pour cela, mais il ne voulait pas se retrouver coincé dans son ombre pour toujours. Il ne désirait rien de plus que se détacher d'elle et la dépasser. Pas parce qu'il la détestait, ça non, bien au contraire, mais parce qu'il savait que rien ne la rendrait plus fière que de voir ses enfants devenir leur propre personne.

Touya s'ébouriffa une dernière fois avant d'abandonner dans un soupir. De toute manière, ces questions d'esthétique passeraient au second plan désormais. Il venait d'entrer en troisième, ce qui signifiait qu'en fin d'année, il tenterait le concours d'entrée à Yuei. Pas question de le rater. Si Natsuo et Fuyumi s'épanouissaient à merveille en classe préparatoire à la filière héroïque au collège de Shiketsu, Touya, lui, n'accepterait que Yuei. Il leur prouverait à tous qu'il en était capable et il dépasserait même les meilleurs. Il avait même commencé à réfléchir à son nom de héros ; pour l'instant, il partait plutôt vers un jeu de mot sur le feu follet, en hommage à la couleur si particulière de ses flammes, mais rien ne le satisfaisait encore pleinement.

Un cri l'arracha soudain à ses tergiversations. Touya s'arrêta et tendit l'oreille. Un autre cri suivit, accompagné de plusieurs rires qui n'avaient rien de bienveillant. Il ne lui fallait pas plus de quelques secondes pour se faire une idée de la situation. Un collège assez modeste jouxtait l'académie prestigieuse qu'il fréquentait et il arrivait souvent que certains de ses camarades — tous des « fils de » qui n'avaient jamais rien accompli de leur côté — s'amusent à tourmenter ceux qui se trouvaient plus bas sur l'échelle sociale.

Touya s'élança vers la source de l'esclandre, une petite rue où quasi personne ne passait, idéale pour ce genre d'activités nauséabondes. Et sans grande surprise, il aperçut deux lycéens en uniforme de son académie au prise avec un garçon vêtu de l'ensemble noir du collège de K. Le garçon, petit et maigre, tenait ses bras au-dessus de sa tête dans une tentative désespérée de se protéger. Touya remarqua tout de suite qu'il portait des gants d'auriculaire. Ceux qui avaient des Alters nécessitant ce genre de précautions ne les mettaient que pour dormir, en général. S'il en avait besoin en permanence, c'est que son Alter devait être particulièrement handicapant. C'était sans doute la raison pour laquelle ces deux lâches s'en étaient pris à lui. Les imbéciles prêts à agresser autrui sans raison à deux contre un et ceux qui se permettaient de juger les gens sur des aspects d'eux-mêmes qu'ils ne pouvaient pas contrôler appartenaient souvent à la même espèce.

— Eh, vous deux, là-bas ! s'exclama Touya. Qu'est-ce que vous faites ?

Déjà les flammes crépitaient au bout de ses doigts. Bien sûr, il ne les blesserait pas, mais il avait déjà fait l'expérience de la puissance dissuasive de son Alter. Les lycéens se tournèrent vers lui et leur expression changea du tout au tout.

— Oh, Todoroki, mon pote ! tenta l'un d'entre eux. Nous ? Oh… euh… rien, on ne faisait rien.

La puissance de son feu augmenta encore. « Mon pote » ? Et puis quoi encore ? Il n'avait jamais vu ces deux bouffons de sa vie. Mais tout le monde devenait soudain son « pote » quand cela les arrangeait. Après tout, qui n'avait pas envie d'être l'ami du fils de la célèbre Iceberg, héroïne numéro un du Japon ? Touya avait, au fil des années, perdu nombre d'amis quand ils s'étaient rendus compte qu'ils aimaient sa mère plus que lui.

— Allez, disparaissez.

— Oui, pardon !

Ils déguerpirent en vitesse, laissant Touya seul avec le collégien de K. Il n'avait pas l'air trop amoché, ils s'étaient probablement contentés de le bousculer un peu. Mais en s'approchant, il constata que la lèvre de l'adolescent était fendue et qu'il s'en échappait un peu de sang.

— Ils t'ont frappé ? demanda-t-il, sur un ton sans doute plus abrupt que nécessaire.

Le collégien secoua la tête, effaré. Touya sortit quand même un mouchoir de sa poche et le lui tendit. Le garçon l'accepta et ce fut la première fois que Touya aperçut ses yeux, jusqu'alors cachés par un épais voile de cheveux couleur charbon. Ils étaient rouges, hésitants, et curieux comme ceux d'un chaton craintif. Il murmura un « Merci » et, avant que Touya ait eu le temps de réagir, disparut à son tour.

Il ne le revit pas pendant plusieurs semaines mais souvent, Touya se surprenait à guetter les coins de rue sur le chemin du collège dans l'espoir d'apercevoir ce mystérieux garçon. Il avait même mis à profit le talent de commère de certains de ses amis pour essayer de se renseigner sur un collégien de K. qui posséderait un Alter hors norme. Mais rien. Personne n'en avait entendu parler et on finit même par s'inquiéter de cet étrange intérêt qui aurait tôt fait de tourner à l'obsession.

Ce fut alors que le destin s'occupa de le placer sur sa route.

Le soir tombait, orange et rose. Il avait fait bon toute la journée, un peu trop sec, même. La saison des pluies ne tarderait pas et imbiberait le sol jusqu'à le rendre mou comme du mochi tout chaud. Mais pour le moment, la sécheresse régnait et l'air se chargeait de pollen. Touya marchait le long de la rivière, dont l'eau reflétait le soleil déjà bas sur l'horizon, quand il aperçut une silhouette recroquevillée sur la berge en pente raide. Il n'était pas rare que les gens s'installent ici pour réfléchir ou simplement profiter du paysage. Mais là, ce n'était pas n'importe qui. C'était le collégien, son collégien. Il n'hésita pas une seule seconde et se précipita à sa rencontre.

— Bonjour.

Touya était à bout de souffle. Son cœur battait au fond de sa cage thoracique comme après des heures d'entraînement intensif. Pourtant, il n'avait parcouru qu'une cinquantaine de mètres. Le garçon se tourna vers lui et le dévisagea, une expression indéchiffrable peinte sur ses traits. Sous le rideau de ses cheveux noirs, un cocard lui dévorait l'œil gauche.

— Je voulais savoir comment ça allait, depuis la dernière fois.

Le collégien haussa les épaules, puis se détourna de lui pour se replonger dans sa contemplation. Touya hésita un instant mais finit par s'asseoir à côté de lui. Il n'aimait pas envahir ainsi l'espace vital des autres, mais il voyait dans les yeux de ce garçon une lueur qui le poussait à transgresser ses propres règles. Il voyait dans ses prunelles rouges un appel au secours silencieux, qu'en tant que futur héros, il ne pouvait ignorer.

— Moi, c'est Touya Todoroki, dit-il en lui tendant une main amicale.

Le garçon ne la saisit pas. A la place, il serra un peu plus fort ses doigts gantés sur ses genoux.

— Je sais qui tu es.

Il marqua une longue pause, pendant laquelle il ouvrit plusieurs fois la bouche avant de se raviser. Puis, finalement, il dit, presque à contre-coeur :

— Shigaraki. Tomura.

— Enchanté.

Encore une fois, le silence s'installa entre eux et Touya se rendit compte que cela ne le dérangeait pas. Le cadre était magnifique et il se sentait soulagé de voir que Shigaraki allait bien. Même si les marques sur son visage et sur ses mains ne laissaient rien présager de bon.

— Ces deux idiots t'ont encore cherché des problèmes ?

Shigaraki secoua la tête et sa crinière sombre s'agita avec lui. Touya remarqua à ce moment-là que des mèches grises apparaissaient de temps à autre sous des mèches plus sombres.

— Pas eux, non.

— On te cause des problèmes à cause de ton Alter, c'est ça ?

Shigaraki ne répondit pas mais il était évident que Touya avait touché juste. Dans un soupir, il retira un de ses gants et attrapa un petit galet rond et lisse devant lui. Quand il y eut posé son auriculaire, le caillou craqua et, en quelques secondes, s'envola dans la brise en une fine poussière.

— Tout ce que je touche s'effrite immédiatement, expliqua Shigaraki, tout en remettant son gant. Les objets, les vêtements… les êtres vivants. Les gens pensent que ça fait de moi quelqu'un de mauvais. Et puis, ça affecte beaucoup mon organisme. Quand j'utilise mon Alter, mes cheveux ont tendance à blanchir et même quand je ne m'en sers pas, il assèche ma peau. J'ai l'air d'un monstre…

Touya l'observait, effaré, tandis que Shigaraki grattait la peau sèche entre son cou et sa clavicule. Il n'avait jamais vu un pouvoir pareil. Pas étonnant que les autres le craignent, avec un tel pouvoir destructeur. Mais lui n'avait pas peur ; il ne se sentait aucunement en danger à ses côtés.

— Moi, je trouve que c'est un super Alter, au contraire ! Tu n'as jamais pensé à devenir un héros professionnel ?

Shigaraki se tourna vers lui et le dévisagea comme si une seconde tête venait de lui pousser.

— Tu as écouté ce que je viens de te dire ? Qui voudrait d'un héros avec un pouvoir pareil ? C'est un Alter de vilain…

— Mais pas du tout ! C'est parce que tu n'y penses pas sous le bon angle ! Bien sûr, pour le combat, c'est peut-être un poil… brutal. Mais tu ferais un excellent sauveteur urbain. Tu pourrais dégager les décombres en un rien de temps et sauver de nombreuses vies !

Touya avait conscience qu'il s'emportait mais il ne pouvait s'en empêcher. Sa mère n'arrêtait pas de lui rebattre les oreilles avec la nécessité de former des sauveteurs experts de la ville quand la plupart d'entre eux choisissaient, à cause de la nature de leurs Alters, de se tourner vers les campagnes ou vers la mer. Shigaraki possédait exactement ce qui manquait au corps des héros actuels, et n'importe quelle agence digne de ce nom se battrait pour l'avoir à leur côtés. Il sentit monter en lui une bouffée de colère en pensant à tous ceux qui l'avaient convaincu, au fil des ans, que ses capacités ne pourraient servir à rien d'autre qu'à faire le mal.

— Tu crois ? demanda Shigaraki, le regard plongé au creux de ses mains. Ça me paraît un peu gros.

— J'en suis sûr, même ! Tu sais quoi ? Le concours d'entrée à Yuei est accessible à n'importe quel élève de troisième. Tu n'auras qu'à tenter ta chance et tu verras que j'ai raison.

Shigaraki ricana, désabusé.

— Yuei ? N'exagérons rien…

Son ton rêveur laissait pourtant entendre qu'il aurait adoré intégrer le lycée pour héros. Touya était persuadé qu'il en avait les capacités. Il ne lui restait plus qu'à s'en rendre compte.

Shigaraki se leva et épousseta la veste sur laquelle il s'était assis.

— Bon, pas que je m'ennuie, mais je dois y aller.

Touya le regarda s'éloigner, et ne se leva à son tour qu'une fois la nuit presque tombée. Sa mère l'avait déjà appelé quatre fois et ne tarderait pas à contacter les autorités s'il ne rentrait pas très vite. Il rejoignit la maison au pas de course, léger comme jamais.

Touya ne revit pas Shigaraki de toute son année de troisième. Parfois, il attendait près de la berge, ou guettait les rues qui menaient au collège de K. Mais rien. Le collégien aux cheveux noirs avait disparu comme un rêve au petit matin. Alors il se plongea à corps perdu dans l'entraînement et y mit tant d'ardeur qu'il atteignit tous ses objectifs deux mois avant la date qu'il s'était fixée.

Et enfin, vint le moment tant attendu : le concours d'entrée à Yuei. Assis dans l'amphithéâtre bondé, Touya respirait la confiance. Il ne doutait pas le moins du monde de sa réussite. Après tout, il avait été élevé par la meilleure. Les têtes se tournaient sur son passage. Tandis que le professeur Cementos faisait son discours de bienvenue, Touya cherchait du coin de l'oeil la silhouette familière du gamin frêle et voûté qu'il n'avait pas vu depuis des mois. Parfois, son regard s'arrêtait sur une tête aux cheveux noirs, mais il dût vite se rendre à l'évidence : Shigaraki n'était pas là.

Cela ne l'empêcha pas de briller face aux robots géants, qu'il terrassa sans aucun mal. Son principal défi à relever était le contrecoup de son Alter. Contrairement à Shouto, Touya était sensible au feu et il n'était pas rare qu'il se brûle en utilisant ses flammes. Plusieurs larges cicatrices sur ses bras et ses jambes attestaient de la rigueur de son entraînement. Pour l'instant, il s'en sortait avec de simples rougeurs, ce qui était en soi une immense victoire. Mais son moral n'était plus autant au beau fixe. Sa détermination à devenir un héros avait décuplé à l'idée qu'il pourrait retrouver Shigaraki à l'examen d'entrée. Il avait beau ne l'avoir rencontré que deux fois, jamais il n'avait eu davantage envie de se lier d'amitié avec quelqu'un ; sans doute parce qu'il savait que Shigaraki ne deviendrait pas son ami par intérêt. Sans pouvoir se l'expliquer, il le sentait.

Perdu dans ses pensées, il baissa sa garde un instant et manqua un robot qui passait à sa portée. Il se concentra de nouveau, prêt à faire feu aussitôt qu'il le pourrait. Mais alors qu'il s'apprêtait à lancer une nouvelle déflagration, la machine se stoppa net devant lui avant de tomber en miettes.

Touya resta immobile devant le tas de débris métalliques. De l'autre côté, se tenait un adolescent en uniforme noir. Il avait bien changé depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, mais Touya le reconnut immédiatement. Ses cheveux gris flottaient au souffle soulevé par la chute du robot. Son visage était dégagé à l'aide d'une barrette, laissant apparaître deux yeux d'un rouge ardent de coquelicot.

— Trois points pour moi, Todoroki, fanfaronna-t-il, avant de disparaître. Je vais finir par te dépasser.

Le visage de Touya se fendit d'un large sourire. Il était venu !

— Alors, ça, certainement pas ! lança-t-il avant de partir en chasse de sa prochaine cible.

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