A rude épreuve

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 Les semaines qui suivirent me mirent à rude épreuve. Dès que Vic comprit que ma soumission lui était acquise, il laissa libre court à ses désirs et me fit subir tout ce qui lui passait par la tête. J’avais parfois l’impression qu’il voulait vérifier ce que je pouvais encaisser. Je mis au point un nettoyant alchimique pour faire disparaître les tâches qui souillaient mon lit. Vic accepta de me ramener les ingrédients dont j’avais besoin pour m’éviter de les demander à Gwen. Il venait presque chaque nuit. Il me disait parfois des mots tendres, mais la plupart du temps, me rabaissait et faisait montre d’une violence de plus en plus marquée. Mon corps se couvrit de meurtrissures de toutes les couleurs et de toutes les tailles.

 Mais comme il me l’avait fait remarquer, j’encaissais. Je me remettais vite, mes blessures se refermaient avant le levé du soleil et cicatrisaient en un jour ou deux. J’étais devenu le terrain d’exploration de ses pires vices.

 Une nuit du début de l’hiver, il m’étrangla si fort que je m’évanouis. A mon réveil, mes mains étaient liées et ma bouche bâillonnée. Vic me retourna, plongea ma tête dans l’oreiller de telle manière que mes hurlements furent très largement étouffés. Je ne sais pas exactement ce qu’il me fit. Je crois que je préfère l’ignorer à tout jamais. Mais quand il me détacha, j’étais à demi inconsciente. Je restai sur le lit en pleurant silencieusement, priant la mort de me délivrer.

 Au matin, je n’avais pas bougé. Le feu de la cheminé s’était éteint et Gwen me trouva nue, frigorifiée sur mon lit. Elle poussa un cri d’horreur et me couvrit immédiatement d’une épaisse couverture, raviva le feu et sortit en courant. Je ne lui prêtai aucune attention. Lorsqu’elle revint, une femme l’accompagnait, ainsi qu’une jeune fille d’environ mon âge. La femme était grande, la mâchoire carrée. Ses cheveux étaient couverts d’un voile blanc qui descendait sur les épaules de sa robe rouge sang. Elle portait une sacoche sur laquelle je reconnus le signe de Sinetron, le dieu mortel des médecins : une fiole de potion et un couteau, posés l’un à côté de l’autre en rouge sur fond noir. J’avais l’impression de la connaître. La jeune fille, vêtue de la même manière devait être son apprentie.

 Je détournai le visage et me perdis dans la contemplation du plafond. La doctoresse s’assit près de moi. D’une voix douce, elle m’expliqua qu’elle souhaitait m’examiner et me demanda d’enlever la couverture. Devant mon absence de réaction, elle repoussa délicatement la couette. Une auréole ensanglantée s’était étalée autour de mon bassin et son regard parcourut mon corps couvert de bleus. J’entendis le hoquet de surprise de la jeune assistante. Certaines des blessures de la nuit se refermaient déjà, mais d’autres suintaient encore. Avec des gestes précautionneux, la doctoresse palpa mon ventre et ma poitrine, sortit son cornet pour écouter mon cœur et prit mon pouls. Enfin, elle me demanda de relever les jambes et inspecta mon intimité qui me faisait terriblement souffrir.

 Quand elle eut terminé, elle me passa délicatement une chemise et commanda sèchement à Gwen un bain tiède tout en demanda à son apprentie de préparer un mélange d’herbes à y infuser. Elle commanda également une bouilloire. Tandis que ma femme de chambre s’empressait de sortir, l’assistante s’affaira dans la besace sous le regard attentif de sa maîtresse. Je ne prêtai pas attention à elles. Depuis quelques temps déjà, je me fichais pas mal de ce que l’on faisait de moi. Je n’étais plus rien. Je les vis sortir des sachets d’herbes, des fioles et des poudres du sac, discuter à voix basse et s’installer près de la cheminée pour travailler.

 Gwen revint bientôt, suivie d’une demi-douzaine de servantes qui portaient chacune deux seaux d’eau. La doctoresse revint vers moi, et d’une voix douce m’expliqua qu’elle allait soigner mes blessures. Comme je ne réagissais pas, elle posa doucement une compresse imbibée d’une potion odorante sur mon pubis. La sensation de soulagement qui infusa dans toute mon anatomie fut immédiate. Ma femme de chambre s’approcha et indiqua que le bain était prêt. La disciple de Sinetron se tourna vers elle avec un regard sévère et Gwen recula d’un pas :

  • Je vais l’y emmener moi-même. Après quoi, il va falloir vous expliquer, ma fille.
  • Je ne sais rien, Docteure ! Je l’ai trouvé ainsi ce matin en arrivant et je suis venue immédiatement vous chercher.
  • N’avez-vous donc rien remarqué ?
  • Non, Docteure. La porte était fermée, ma clé est à sa place dans le trousseau qui ne quitte jamais ma ceinture. Il est totalement impossible que l’on me l’ait volé. Je vous jure que j’ignore totalement ce qui est arrivé. Peut-être est-ce de l’automutilation ?
  • Gwen, ne soyez pas si stupide ! comment aurait-elle pu ? Regardez la place de cette morsure ! Personne n’a la capacité physique de s’infliger cela.

 Tout en parlant, la doctoresse et son assistante m’avaient soulevé avec délicatesse de mon lit et transporté dans la baignoire. La jeune fille se plaça en retrait tandis que sa maîtresse soupira et reprit, à l’attention de ma femme de chambre.

  • Le Grand Prêtre est-il au courant ?
  • Il n’est pas au palais, Docteure.
  • Je le sais très bien, répliqua sèchement la doctoresse avant de se tourner vers son assistante. Ecrivez-lui que j’ai besoin de lui tout de suite. Dites-lui qu’il s’agit d’une urgence absolue. N’entrez pas dans les détails.
  • Bien Madame.
  • Je m’occupe du bain de cette jeune femme et de lui prodiguer les soins dont elle a besoin. Envoyez quelqu’un tout de suite, Petrijk doit être rentré d’ici demain au plus tard. Et préparez un lit propre. Ces draps sont bons pour le feu.

 La doctoresse continua à aboyer ses ordres. Son assistante s’installa à mon bureau et écrivit la missive pour le Grand Prêtre et Gwen obéit avec diligence à toutes les exigences de la femme. Les herbes me soulagèrent et le bain me plongea dans une profonde torpeur. Je me désintéressai vite de l’agitation qui régnait dans ma chambre. Bientôt, je fus installée dans des draps propres, le corps bandé là où les blessures étaient le plus grave. Gwen fut envoyée aux cuisines et la doctoresse la congédia une fois que le plateau fut arrivé. L’apprentie s’éclipsa avec l’enveloppe et revint au bout d’une vingtaine de minutes.

  • Le capitaine Rogon se charge personnellement de transmettre la lettre à monseigneur Petriok, Madame. Il sera là demain.
  • Très bien ma petite. J’ai encore quelque chose à vérifier. Donne à manger à notre pauvre patiente, vérifie qu’elle soit bien installée et tu pourras y aller. Inutile de te dire à quel point ceci doit rester secret, ajouta la doctoresse avec un ton terriblement menaçant.
  • Oui, Madame. Je ne trahirai pas mon serment, vous pouvez compter sur moi.
  • Brave petite. En partant, tu diras Rolf qu’il sera de garde devant cette porte toute la nuit. Personne ne rentre ici. J’aurais trouvé le tortionnaire de cette jeune femme avant demain matin, je peux te le garantir.

 Elle me laissa entre les mains de son apprentie et retourna préparer un mélange d’herbe qu’elle jeta dans une tasse d’eau brûlante. Elle m’expliqua qu’elle devait me faire une légère incision sur le bras et m’entailla avec un petit couteau d’argent et récolta quelques gouttes de mon sang qu’elle versa dans la tasse fumante. Elle attendit quelques minutes, trempa une feuille dans la tasse et leva les yeux en jurant. Je me fichai complètement de ce qu’elle avait découvert. Je mangeai un peu, bus quelques gorgées de tisane et m’endormis rapidement.

 A mon réveil, le jour était levé et Petrijk était là. Il discutait à voix basse avec la doctoresse. Je ne voyais que leurs silhouettes, mais il me semblait qu’ils étaient en grand débat tous les deux. Finalement, la doctoresse s’aperçut de mon réveil et se dirigea vers moi. Elle m’ausculta et me prépara une tisane. Un mélange de sauge et d’absinthe, une pointe de framboisier et le goût piquant caractéristique d’une boisson améliorée par l’alchimie. Petrijk s’était lentement approché. Il tourna le regard vers la femme d’un air interrogateur et elle répondit sans même le regarder :

  • L’effet devrait être rapide.
  • Tu es sûre de toi ?
  • Absolument. Cette potion est d’une efficacité redoutable.
  • Parfait. De toute manière, un petit bâtard princier aurait été inacceptable.

 J’avais suivi la conversation sans en croire mes oreilles…

  • Je suis enceinte ?

 La doctoresse et le Grand Prêtre se tournèrent vers moi d’un même mouvement. En les voyant faire, à l’unisson, la vérité me frappa. L’un portait une barbe tressée alors que l’autre dissimulait ses cheveux sous une coiffe, mais à part cela, la ressemblance était sidérante. Des jumeaux.

  • Oui mademoiselle, me répondit la sœur. Cependant, votre corps a subi de sérieux dommages ces derniers temps et...
  • Je vais avoir un bébé ?
  • Ne sois pas stupide, Mérine !
  • Comme je vous le disez, mademoiselle, ce que l'on vous a infligé n'est pas sans conséquence et...
  • Je suis enceinte depuis combien de temps ?
  • Depuis plusieurs semaines, vous n’aviez pas remarqué ?
  • Remarquer quoi ?

Elle leva les yeux au ciel tandis que son frère soupirait.

  • A quand remonte la dernière fois que vous avez été indisposée ?

 Je réfléchis et restai bouche bée. En effet, cela faisait plusieurs semaines, depuis la nuit des funérailles de l’Impératrice. Je me décomposai sur place. Un bébé ?

  • Bien, maintenant que tu as réalisé, nous pouvons continuer sur les sujets importants. J’imagine que t…
  • Vous avez dit un bâtard princier…

Petrijk soupira, véritablement en colère. il se contenait à grand peine.

  • Mérine, tu es vraiment une idiote si tu ignores l’identité de ton amant.
  • Il m’a dit qu’il s’appelait Vic, répondis-je naïvement.
  • Quelle jeune femme stupide tu fais ! cela n’a plus d’importance de toute façon, le prince Vicenzo Do Vrienne, fils ainé et successeur de l’Empereur Lizio Dres Vrienne, est reçu en ce moment même par son père pour lui interdire formellement de te revoir. J’espère que la correction qu’il reçoit pour la barbarie avec laquelle il t’a traité sera à la hauteur.
  • Mais…
  • Petrijk ! Je ne crois pas que mademoiselle Mérine comprenne véritalbment l'enjeu de la situation et de ce qui lui arrive.
  • Alors je vais mettre les points sur les i, répondit le Grand Prêtre, furieux. Le prince Vicenzo ne reviendra pas ! Je l'interdis formellement ! Tu as été une distraction, mais tu n'es pas la seule : il aime les femmes et leur compagnie. Avec le temps, il apprendra à faire preuve de discernement dans le choix de ses maîtresses, et à leur monter bien plus de respect qu’il n’en a eu envers toi. Pour le moment, l’Empereur prend soin de lui rappeler sa place, tout comme moi je te rappelle la tienne.
  • Qu’allez-vous faire de notre bébé ?
  • Mademoiselle, intervint la doctoresse en jetant un regard furieux à son frère, je crois que vous n’avez pas bien compris la situation. Cet enfant ne verra pas le jour.
  • Si ! Il est le seul présent que Vic m’ait fait, la seule chose que je garderai de lui.

 Ma voix se brisa. J’avais été abandonnée de tous, mais ce bébé pourrait compter sur moi. La sœur de Petrijk posa doucement sa main sur mon épaule et me dit tout bas :

  • Il est trop tard, mademoiselle.

Je repensai à la tisane.

  • Vous m’avez trompé ! Vous m’avez fait boire ce poison contre mon gré !
  • Evidemment, nous n’avons pas eu le choix ! Tu aurais refusé autrement.
  • Donnez-moi un antidote, immédiatement !

 Je tentai de vomir, mais Petrijk me gifla avec une telle violence qu’il m’assomma à moitié. Il me maintint immobile pendant que la doctoresse m’injecta dans le bras une nouvelle potion. Je m’affaiblis immédiatement. Mes yeux se fermèrent contre ma volonté. Dans un dernier sursaut de lutte, je réussis à me tourner vers le Grand Prêtre :

  • Petrijk Eli Petriok, fils d’Ariana, descendant de la première Grande Prêtresse Impériale Arameri Eli Petriok, je te maudis ! Toi, l’Empereur, et son fils ! Vous êtes tous trois coupables de ce crime odieux ! Je crache sur vous et sur vos Dieux ! Je crache sur vos serments et sur vos belles paroles ! Je vous détruirai tous ! Vous me le paierez !

 Avant que ma conscience de s’éteigne, je vis pour la première fois de ma vie une expression qui ressemblait à de la peur sur le visage de Celui qui parle pour les dieux. Derrière son épaule, j’aperçus le visage de la magnifique jeune femme que j’avais vu dans le traité d’alchimie des mois plus tôt. Elle riait aux éclats, d’un rire que j’étais la seule à entendre et une aura noire l’entourait. D’un geste, elle venait de briser les chaînes qui retenaient ma rage, ma colère et mon désespoir pendant que je sombrai dans les ténèbres.

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