Chapitre 4. LES FLAMMES DE LA REVOLTE
La chaleur pesait sur Mvula ce jour-là. Un silence inhabituel planait sur le village, comme si l’air lui-même hésitait à circuler. Les anciens s’étaient retirés, les femmes rassemblaient leurs enfants, et les hommes, l’arme au poing, faisaient cercle autour de Mutombo, un jeune forgeron devenu leader par la force des événements. Son regard, sombre et résolu, parcourait les visages marqués par la fatigue, la faim, et l’humiliation. Cela faisait des mois que les colons ne respectaient plus rien : ni les accords avec le roi, ni les vies humaines, ni les terres sacrées.
— Nous n’avons plus rien à perdre, avait lancé Mutombo d’une voix ferme. Ce qu’ils veulent, ce n’est pas la paix. Ce qu’ils veulent, c’est notre silence éternel.
À ses côtés, quelques anciens hochèrent la tête. Le roi, désormais presque un fantôme politique, n’était plus écouté. Depuis que le gouverneur Arnaud Delambre avait posé ses bottes sur cette terre, la voix du roi n’avait plus d’écho.
Le plan était simple : encercler le Fort Saint Arnaud à l’aube et réclamer la restitution des terres, la fin des pendaisons, et le départ des missionnaires armés qui avaient trahi leur parole de paix.
Mais rien ne se passa comme prévu.
À la première lueur du jour, les guerriers de Mvula s’élancèrent vers la capitale coloniale. Ils étaient environ trois cents, certains munis de lances, d’autres de vieux fusils à poudre, la plupart armés de leur seule détermination. Lorsqu’ils atteignirent les abords du fort, une cloche retentit. C’était un piège.
Les soldats du gouverneur les attendaient. Et à leur côté, chose inimaginable, les missionnaires blancs, en soutane, tenaient eux aussi des fusils. L’un d’eux, le Père Joseph, qui avait prêché l’amour pendant des années dans la grande case de prière, cria en brandissant son arme :
— Celui qui s’oppose à l’ordre du roi s’oppose à Dieu lui-même !
Un vieillard parmi les insurgés, horrifié, tomba à genoux :
— Et c’est ça votre évangile ? L’évangile du fusil ? Du sang ?
Le chaos éclata. Les coups de feu, les cris, la fumée. Les femmes du village, qui avaient suivi de loin pour porter secours aux blessés, furent prises dans le tumulte. Le ciel sembla s’assombrir, et les oiseaux s’envolèrent en masse au-dessus de la colline de Mboko.
La guerre dura dix heures.
Dix heures de rage, de courage, de perte.
Mutombo se battit avec la rage de tous les siens. Il tua quatre hommes, évita trois balles, mais fut finalement blessé à l’épaule par un tir croisé. Il fut emmené, enchaîné, au centre du fort. On ne le revit plus jamais.
Arnaud Delambre, le gouverneur, était lui-même blessé. Une entaille profonde au flanc gauche. Mais il était debout. Devant les villageois survivants, il se redressa, essuya son sang avec un mouchoir brodé et déclara d’un ton tranchant :
— Ceux qui n’ont pas su mourir aujourd’hui regretteront demain d’avoir survécu.
Il désigna une dizaine de jeunes hommes agenouillés et ordonna qu’ils soient marqués au fer rouge, comme bétail. Le reste fut condamné à des travaux forcés. On leur interdit même de pleurer leurs morts. Un homme pleura : il fut pendu le soir même.
Au ciel, les anges s’étaient tus.
Tous regardaient le Trône.
Et pour la première fois depuis des millénaires, Dieu se leva.
Les trompettes ne sonnèrent pas. Les séraphins se prosternèrent. Car Son silence allait se briser. Et le monde ne serait plus jamais le même.
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