Chapitre 5. EXCURSUS DE CETTE REVOLTE

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Le soleil s'était levé sur un village en deuil. Les pleurs, les murmures, les prières... rien ne semblait plus suffisant. Mvula n'était plus qu'une terre piétinée par l’arrogance d’hommes venus de loin. Le fort Saint Arnaud se dressait comme un roi de pierre, un bastion d’ombres dans une terre autrefois de lumière. Ce matin-là, un tambour gronda. Un tambour de guerre.

Autour des huttes, les hommes parlaient bas. Les jeunes, la rage au ventre, aiguisèrent les lances et les flèches. Les anciens parlaient d’honneur, les femmes tressaient des bandeaux rouges pour leurs fils. Une grand-mère posa une main tremblante sur l’épaule d’un garçon de seize saisons :
N'oublie pas que ce combat n’est pas seulement pour nos terres, mais pour l’âme de nos ancêtres.

Au centre du village, le voyant, désormais vieilli, leva sa voix :
C’est aujourd’hui que nous décidons de ne plus plier le genou. Le lait sucré qu’ils nous tendaient s’est transformé en poison. Aujourd’hui, les esprits nous regardent.

Pendant ce temps, dans le fort, le gouverneur étranger, vêtu de ses habits d'apparat, riait avec ses officiers. Il ignorait que la tempête approchait. Mais un missionnaire, le père Alexandre, le regard inquiet, dit :
Ils bougent, Excellence. Je le sens. Le silence des villages est plus fort que leurs chants.

Le gouverneur Arnaud Delambre, visage dur, mâchoire serrée, regard clair et froid comme l’acier, convoqua ses officiers à l’instant dans la cour du Fort Saint Arnaud. Sa voix, grave et posée, tranchait l’air :

— « Ces villageois pensent que leur sang peut laver leur orgueil. Qu’ils sachent que nous sommes la loi. Aujourd’hui, nous leur apprendrons à se soumettre. »

Qu’ils viennent, ajouta le gouverneur. Nous avons les armes. Et si vos saints ne suffisent pas, nos fusils parleront à leur place.

Des lances volèrent, des coups de feu éclatèrent. Et pour la première fois, les missionnaires prirent les armes. Ceux qui prêchaient l’amour bénirent leurs fusils. Des Bibles furent abandonnées sur des tables, ouvertes à des pages de paix, alors que leurs propriétaires tiraient dans la foule.
Dieu est avec nous !, cria l’un d’eux.
Non, répondit un vieux sage avant de tomber, Il vous regarde, et Il pleure.

Arnaud Delambre, blessé à l’épaule par une lance lancée avec rage par une jeune femme, hurla : — “Pas de pitié ! Ces sauvages ont choisi la mort !”

— « Nous allons mourir, peut-être. Mais mieux vaut mourir debout que vivre à genoux, dit Mutombo, l’un des anciens, une lance à la main. Nous avons trop attendu. Aujourd’hui, c’est le jour. Que le ciel nous regarde. »

Les premiers coups furent bruyants, puis plus rien que cris, feu, et sang.
Les cases brûlaient. Des enfants couraient entre les flammes. Les collines muettes de Mvula portaient à présent l’écho d’un combat inégal, où des hommes aux cœurs grands affrontaient des fusils importés.

Mutombo tua deux soldats. Puis tomba à son tour. Une femme, Ngoma, trancha la gorge d’un milicien avec une machette avant de se faire cribler de balles. Un jeune garçon lança une pierre, frappa un soldat au front, le fit tomber, mais il ne vit pas venir la baïonnette.

Au ciel, les anges s’étaient levés. Dieu ne disait rien. Mais cette fois, ses yeux s’étaient ouverts. Le silence céleste était lourd. Les anges attendaient. Quelque chose se préparait.

— « Dieu est amour, disait un pasteur. Mais pour vos âmes noires, la mort suffit », criant en appuyant sur la gâchette.

Mutombo, capturé mais vivant, fut jeté dans une cage de bois, exposé comme trophée. Il répétait à voix basse, chaque nuit, à travers ses dents serrées :

— « Le jour viendra où même les cieux pleureront pour nous… »

La guerre dura dix heures.

Dix longues heures où les morts jonchaient le sol. Les chants des femmes se transformèrent en cris d’adieu. Le soleil lui-même sembla vouloir fuir cette terre gorgée de sang.

Et puis… le silence.

La nuit tombait. Mvula n’était plus un village. C’était une plaie.

Arnaud Delambre, blessé à l’épaule, les mains tachées, fit rassembler les survivants, tous agenouillés. Il grimpa sur une caisse vide, dressé comme un roi dans un royaume en ruine. Il prononça d’une voix rauque :

— « Que ceci soit compris : mieux vaut mourir dans une guerre contre nous que survivre pour pleurer chaque jour de votre vie. Vous êtes maintenant nos outils. Nos bras. Vous vivrez… mais pas libres. »

Et ainsi commencèrent les travaux forcés. On arracha les enfants de leurs mères. On fit travailler les vieillards. On brûla les sanctuaires. Les missionnaires bénirent les nouveaux esclaves en chantant des cantiques.

Mais là-haut, dans l’immense sphère céleste, le Très-Haut s’était levé.

Les anges se turent. Une lumière traversa le royaume céleste.
Et pour la première fois depuis des millénaires, Dieu se tourna vers la terre et dit, d’une voix douce mais terrifiante :
« Il est temps. »

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