Chapitre 3
Je ne suis pas sure d’attendre. Pourtant je suis là sans qu’il ne se passe rien. Le temps passe sans jamais passer, l’ennui me tient sans jamais m’attraper. Le blanc est toujours blanc et je suis assise sans l’être. Parfois, j’entends une voix, je crois. Lente. Triste. C’est un murmure lointain, une brume de mots. La voix va et vient. C’est une danse dans le blanc.
Le temps passe.
Et j’attends.
Dans le blanc.
Le murmure danse à nouveau.
Puis le silence.
Je me lève alors que je n’étais pas assise et marche sans bouger. Je m’ennuie sereinement, fais le tour sur place et me rassois debout.
Peut-être.
Je frissonne.
Frotte mes mains pour tenter de les réchauffer.
Mais il ne fait pas froid.
Il ne fait pas chaud non plus.
Il me prend à regarder mon épaule, ressentant une soudaine douleur. Je détourne le regard vers le blanc qui s’éclabousse d’orange. Une toute petite tâche tout à fait floue. Une tâche qui grandit. Il ne s’agit pas du roux que je connais. Trop rouge, trop sombre. La tâche se précise, se dessine. Un animal. Un animal que je ne connais pas. Il se tient devant moi, déboussolé. Non pas que je vois qu’il est déboussolé, je le sens. Comment ?
— Tu ne crains rien, dis-je.
Il sursaute, se tourne vers moi.
— Qui es-tu ? Où je suis ?
Sa voix est ronde et légère. Ce n’est pas la brume de mots qui allait et venait.
— Qui je suis…?
Les idées m’échappent un moment. Je ferme les yeux et me concentre. Tout a été blanc si longtemps que les souvenirs avant la douleur bleue se sont délayés.
— Où suis-je ? répète-t-il alors qu’il tourne en rond sur place.
— L’au-delà, je réponds sans hésitation.
Ces deux mots font éclater la gangue bleutée qui étouffait ma mémoire. « Jusqu’à Rorik Staffanson, fils de mon mari Staffan Olovson ». Je suis la descendante d’une meurtrière.
— Je m’appelle Celeste Grimsdottir, et toi, qui es-tu ?
— On m’appelle Laal.
À ces mots, je suis subitement engloutie dans un tourbillon d’images. Des étendues rouges à perte de vue, un soleil d’une luminosité irréel et une chaleur effroyable, un ciel bleu intense, toute une meute de cet animal inconnu. Puis je me vois, floue, en sueurs. Il s’en va, il quitte ses terres ocre et j’ai la certitude qu’il me cherche. Je vois d’autres paysages, des forêts, des lacs, j’ai faim, j’ai mal, mais je continue parce que je dois me trouver. Je me fais attaquer, je m’échappe. Ma patte me fait terriblement mal. La neige arrive, je suis fatiguée, si fatiguée… Je suis frigorifiée, mais je continue parce que je dois me trouver. Cette seule idée me fait avancer, une foulée après l’autre, alors que mes pattes gèlent, mon corps tremble à s’en briser les os, mais… je.. continue… Et si je restais là, dans ce petit tas de neige… ? Non… J’avance encore un peu, je dois me retrouver… Il fait si froid… Mes yeux se ferment et seuls des sons lointains me parviennent.
Un bruissement d’ailes.
Un bruit mat, proche.
Je n’ai pas la force de bouger, j’ai si froid.
Je grogne quand l’odeur s’approche trop près, on me soulève quand même. Puis il fait chaud à nouveau.
Je refais abruptement surface et fixe l’animal.
— C’est quoi l’au-delà ? Je suis mort ?
Sa voix ronde me laisse un gout de curiosité dans la poitrine.
— Je ne crois pas. On m’a parlé de ce lieu.
Ma guerrière me vient à l’esprit.
— Je connais cette femelle-là ! Son odeur est douce et sucrée.
Son enthousiasme m’envahit plus encore que sa curiosité et je ne peux que sourire.
— Et maintenant que fait-on si nous ne sommes pas morts ?
D’autres mots me viennent à nouveau à l’esprit. Un lointain grognement à peine intelligible, soulagé que je ne sois pas une astrale. La peur me saisit tout à coup. La mort et la haine coulent dans mes veines aussi surement que la bienveillance coule dans celles de Teoline. Ne devrais-je pas tuer l’oiseau dans l’œuf et refuser la symbiose ? Car c’est bien ce qui est en train d’arriver n’est-ce pas ?
— C’est quoi « lasymbiose » ?
Je m’étonne que la curiosité de Laal dissipe avec une telle aisance ma peur.
— L’union de nos âmes.
— Pour toujours ?
— Oui.
— Et qu’est-ce que ça fait ?
Le temps que je réponde avec des mots, je le sens s’émerveiller de toutes les images qui me viennent à l’esprit.
— On pourra voler et cracher du froid ?
— J’imagine.
— Quoi d’autre ?
— Je crois que l’on s’entendra penser.
— Alors je pourrais te raconter plein d’histoires ! Quoi d’autre ?
— Je ne sais pas. Seulement que l’on partagera tout.
— Incroyable ! Alors, qu’est-ce qu’on attend ?
Je sens ma réticence s’évanouir dans sa hâte et finis par me lever et m’approcher. Au lieu de se poser sur son museau, ma main traverse sa silhouette et je m’y retrouve brusquement aspirée. Mon corps se rétrécit, se dissout. Je suis lui et je sais qu’il est moi. Nous sommes nous.
— Symbiose parfaite, nous entendons nous dire d’une voix à la fois ronde et sèche.
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