Épisode 2 - Injustice
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A peine eut-elle verrouillée la porte de son logement qu'un bâillement arracha le joli visage d'Evaline. Elle rangea ses clefs dans son sac à main tout en se frottant les yeux. La Gensouarde avait dormi durant toute son après-midi de repos, mais cela ne lui avait pas permis de récupérer pleinement de sa nuit de veille.
Au moins n'aurait-elle plus à subir la présence de Kirk durant ses gardes, le directeur n'ayant pu passer outre son comportement qui avait mis en danger l'une de leurs adolescentes. Il n’avait pas perdu de temps et les avait convoqués à la seconde de leur relève. Evaline avait pris un malin plaisir à décrire avec précision la crise d'Emi et les conséquences qui auraient pu en découler, résultant des préoccupations non professionnelles de son collègue.
Bien entendu, le dragueur avait tenté de se défendre. Mais l'éloquence de la jeune femme n’avait fait que renforcer la colère de leur patron qui décida d'enfin prendre des mesures en lui interdisant tout binôme avec une femme. Evaline sourit au souvenir de cette décision, Kirk devrait se contenter de son temps libre.
L'ancienne kunoichi repensa avec tendresse au visage d'Emi qui l'avait veillé à son tour. L'éducatrice en avait été gênée, tout autant que l'adolescente qui s'était confondue en excuse de sa crise d'épilepsie. Evaline n'en revenait pas que tant d’innocents puissent s'en vouloir pour des faits dont ils n'étaient pas responsables, tandis que des ordures pire encore que Kirk continuait à faire souffrir en toute impunité. Mais cela ne faisait que briller d'autant plus la beauté de leurs âmes, ne cessait-elle de se répéter.
Vêtue d'un tailleur blanc assortis d'une jupe, Evaline frissonna en traversant les ruelles embrumées de Gensou. Loin de la déranger, le climat humide et frais du Village de la Cascade la vivifiait. La brume induisant une ambiance presque horrifique à la cité, dont la fraicheur aidait à l'émergence de la brune aux mèches de prunes.
Tout en marchant en direction du centre social, Evaline continua de bailler. La nuit allait être longue. Fort heureusement, elle serait de repos toute la journée suivante. Cela devrait lui suffire à se revigorer.
Elle traversa plusieurs rues rectilignes lorsque se détacha deux silhouettes du brouillard, tel des fantômes. En s'approchant, Evaline prit conscience qu'une troisième personne était au sol, meurtrie par les coups de pieds des premiers. Sans hésiter, elle fit glisser son sac au sol et retira ses talons pour se précipiter au secours de la malheureuse victime. Sollicitant sa mémoire résiduelle, l'éducatrice prit autant d’élan que possible pour bondir droit vers l’agresseur à sa portée, un jeune brun d’une quinzaine d’années. Masquée par la brume, il ne la vit pas venir et chancela après avoir reçu la frappe en plein visage. Toutefois, la demoiselle eut conscience de son manque de pratique. Son attaque avait été bien trop imprécise et la jeune femme savait que cela n’était pas dû qu’à sa vision rétrécie par la brume. Deux ans plus tôt, le garçon aurait terminé au sol.
Evaline se précipita pour relever l’agressé, qui se révéla être l’un des jeunes à sa charge : Hanao. Le garçon qui était venu l'alerter de la crise d’Emi.
— T’es qui toi ? lui demanda une voix dans son dos.
Elle lança un regard furieux vers le deuxième bourreau qui avait osé lui poser cette question et remarqua instantanément le bandeau au symbole de Gensou qu’ils portaient fièrement. Le tissu était neuf, la plaque étincelante. Evaline en déduisit qu’ils étaient deux Genins fraîchement promus.
— Vous ne le toucherez plus, gronda-t-elle en s’interposant entre eux et son protégé.
— T’es sérieuse ? ricana le premier tout en se massant la joue.
L'éducatrice se maudit pour le ton qu’elle venait d'employer. La déformation professionnelle avait joué, mais elle ne possédait pas l’aura et l’influence qu’elle avait développé au centre avec ses jeunes. L’ex-kunoichi poussa discrètement son protégé en arrière, tout en lui adressant un bref regard qui en disait long. Si les choses dégénéraient, il devrait fuir.
— C’est un bon garçon, affirma-t-elle. Je le connais, il n’est pas du genre à chercher les problèmes.
— Il nous a bousculés, répliqua le brun avec dédain.
— Je vous ai dit que je suis désolé, les implora Hanao d’une petite voix. Je ne vous avais pas vu...
Le blondinet cracha vers ses chaussures, son regard toisant le jeune garçon comme s’il s’agissait d’un insecte écoeurant.
— T’as une bien grande gueule pour quelqu’un d’aussi faible, ricana le blond en se frottant les phalanges. Comme ta gardienne d’ailleurs.
Evaline se mordit les lèvres, son cœur battant à tout rompre. Deux Genins, c’était bien trop pour elle. Il allait falloir essayer de régler les choses avec diplomatie. Sa gorge s'assècha de peur, alors qu’elle leva les mains en signe d’apaisement.
— Tout ceci n’est qu’un malentendu. Je suis certaine que deux ninjas tels que vous êtes surchargés de responsabilités. Nous n’allons pas vous faire perdre davantage de temps.
— T’essayes de nous amadouer là ? demanda le brun avec un sourire sadique.
Evaline lui adressa son plus adorable sourire tout en papillonnant brièvement des yeux. Si un petit numéro de charme pouvait résoudre la situation, elle n’allait pas se priver.
— Votre devoir est de servir le peuple de Gensou, pas de le persécuter, leur rappela-t-elle de sa voix la plus douce. Cela vous tient à cœur, j’en suis sûr.
— Vous autres civils avez obligation de servir ceux qui vous sont supérieurs ! cracha le blondinet, transpirant d’une fierté absurde. Il y a eu insulte à notre fonction, que proposes-tu pour réparer cela ?
Sa voix trahissait pourtant une pointe de nervosité, comme s’il récitait des paroles qu’on lui avait inculquées. Il se tourna vers son ami, comme s’il cherchait son soutien.
— T’en penses quoi, Tsuki ?
— Ce qu’elle a sous sa jupe peut-être, ajouta son partenaire en observant Evaline de la tête au pied, se léchant une lèvre.
La jeune femme serra les poings par réflexe. Aussitôt, les Genins prirent une posture de combat. Cette fois, elle ne s’en voulut nullement. Nul échappatoire ne semblait possible avec ces gamins qui semblaient croire que la manipulation du Chakra faisait d’eux des demi-dieux…
Evaline creusa sa mémoire, tant pour se remémorer l’exécution de ses anciennes techniques fétiches que pour élaborer une stratégie. L’un comme l’autre se tissait bien trop lentement à son goût.
— Dai, on dirait qu’on va devoir se servir nous-mêmes…
Lorsque les deux garçons lui sautèrent dessus, Evaline hurla à Hanao :
— Fuis !
Elle intercepta un coup de pied, mais se tordit presque aussitôt, le souffle coupé, par un poing en plein estomac. Son corps se tordit en deux et elle chancela, les genoux tremblants. Un choc à l'arrière de son crâne la fit heurter lourdement le sol. Evaline sentit une main la saisir par les cheveux pour la soulever à hauteur du visage de Tsuki.
— Dommage de devoir abimer un si joli minois.
— Va te faire foutre, merdeux.
La poigne se raffermit sur son crâne et l'envoya percuter violemment le sol. Evaline n'eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait qu'une nouvelle frappe creusa son ventre pour l'envoyer plusieurs mètres plus loin, meurtrissant ses bras et jambes.
— Elle a eu son compte, supposa l'un des Genins qu'Evaline ne reconnut pas, l'esprit trop sonné.
Poussée autant par son désir de les contredire que par sa volonté de ne pas abandonner Hanao, Evaline prit appui d’une main, plia son genou droit et se releva, tremblotante. L’éducatrice parvint à se maintenir sur ses deux jambes et adressa un regard furieux aux shinobis. Sa tempe lui brûlait et lui arracha une grimace lorsqu’elle parla :
— Au nom de quoi vous décrétez-vous supérieur ?
Les deux échangèrent un regard amusé, puis tendirent chacun une main. De celle du blondinet crépita quelques éclairs, dans l’autre naquit une petite flamme. Le sourire narquois qu’ils arboraient suffit à répondre à sa question. Le pouvoir offert par le Chakra faisait d’eux des surhumains et cela leur donnait le droit d’écraser ceux n’en possédant pas les aptitudes. Le sentiment d’injustice mêlé à la frustration de son impuissance brûlait en Evaline. La culture ninja hiérarchisait la société, provoquant moults souffrances à travers le Yuukan. C’était la raison pour laquelle elle avait quitté l’armée de Gensou, par refus d’entretenir une organisation qu’elle rejetait de toute son âme. Mais ce faisant, elle était devenu incapable de défendre ses proches et ses convictions.
Sans se départir de sa cruelle aura, Tsuki fonça droit sur elle. Evaline songea un court instant à fermer les yeux, mais balaya instantanément cette pensée. Tant qu’elle serait consciente, hors de question de se soumettre à ces ordures !
Le Genin fit un petit saut, mais ne parvint pas à atteindre sa cible. Un sifflement fendit l’air et un puissant jet d’eau transperça la brume, le heurtant de plein fouet. Soufflé sur le côté, il roula piteusement dans une flaque boueuse avant de se relever avec peine.
— Ça suffit, ordonna une voix ferme.
Evaline se tourna vers le nouvel arrivant. Calme et implacable, une silhouette se dessina lentement à travers la brume, jusqu’à s’en détacher distinctement. Brun à queue de cheval tombant au niveau de la nuque, certaines de ses mèches étaient teintées d’une bleutée grisonnante. Sur son front était fièrement noué la bandeau au symbole de Gensou.
— Formidable, marmonna-t-elle. Encore un shinobi...
Contrairement aux deux autres, sa posture et son regard témoignaient d’une expérience confirmée. Il devait avoir tout au plus une vingtaine d’années. Malgré la situation, Evaline ne put s’empêcher de le trouver à croquer dans son ample manteau de cuir noir qui descendait jusqu’à ses pieds.
La douleur à sa tempe la piqua avec intensité. Grimaçante, elle y apposa délicatement deux doigts, ne pouvant faire davantage sans se meurtrir. Lorsque Hanao la rejoignit, Evaline avait les yeux fixés sur le sang qui coulait le long de sa paume. Cette enflure ne l'avait pas loupé. Le garçon passa un bras sous le sien pour lui permettre de se relâcher, la soutenant au mieux.
Le regard fixe, la jeune femme remarqua que ce n’était pas le bandeau de leur gardien qui avait toute l’attention de Tsuki, ni même l’eau qui tourbillonnait autour de ses mains. Le Genin plissait les yeux comme pour mieux discerner quelque chose :
— Mais tu es …
Ses yeux s’écarquillèrent, témoignant de sa subite compréhension. C’est à ce moment que Dai décida de bondir sur le ninja, qui esquiva sans soucis le coup de poing malgré le fait que le garçon était arrivé par son angle mort. N’en restant pas là, il multiplia les tentatives au corps à corps, toutes esquivées. Lui tournant alors le dos, Evaline reconnut le kanji cousu sur la veste de son sauveteur, symbole du clan Yuushi : 序.
— Dai ! lui hurla Tsuki, paniqué. Arrête ! C’est un flic !
Le ninja à la queue de cheval venait de former deux liens d’eau pour lui saisir les poignets. La compréhension venait de se lire dans le regard du garçon.
— Putain !
Le policier approcha son visage du sien et chuchota quelque chose. Il dissipa ensuite les liens, tandis que sa proie semblait se calmer. L’agent de l’ordre se tourna ensuite vers le blondinet, permettant à Evaline et Hanao de constater que ses iris étaient devenus blancs et luisaient d’une apaisante et douce lumière.
— Je dois te soumettre à une séance d’apaisement, petit Genin ? demanda-t-il avec douceur.
Tsuki déglutit et baissa les mains, signifiant clairement qu’il se rendait. Le Yuushi sortit nonchalamment un calepin d’une poche intérieure ainsi qu’un crayon et y nota les noms et prénoms des deux garçons.
— Vous aurez de nos nouvelles. Lancer vos carrières par des agressions de civils, cela va vous poursuivre. Rentrez chez vous maintenant.
Bien que livide, Evaline constata lorsqu’ils passèrent non loin d’eux que les deux Genins souriaient. La menace du shinobi ne semblait absolument pas les inquiéter. Les ignorant, le garçon à la queue de cheval rejoignit Evaline et Hanao, leur adressant un radieux sourire. En fixant ses iris aussi blanc que la brume environnante, Evaline sentit que sa colère se dissipait. Comprenant que le dojutsu était à l'œuvre, elle détourna les yeux, bien que la dissipation de la lueur lui laissa entrevoir l’inquiétude de son sauveur. Elle le sentit se positionner face à elle et Hanao, qui continuait à la soutenir avec peine.
— Je suis Shiro Yuushi. Mademoiselle, je vais devoir vous emmener à l’hôpital.
Le shinobi prit Evaline dans ses bras. Elle ne résista pas et se laissa emporter tout en refusant de le regarder, pestant intérieurement contre les shinobi et leur complexe de supériorité. La jeune femme avait le sentiment que sa vie venait de connaitre un tournant.
Elle ignorait encore à quel point.
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