Épisode 1 - Annonce
Opening : https://www.youtube.com/watch?v=3yoLXIQd2cM
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La jeune kunoichi sautait d’arbre en arbre à travers le marais, vigilante à se tenir loin de la surface de l’eau stagnante. Se faire repérer par un bête remous serait proprement stupide. Evaline attrapa une branche et se hissa en un petit salto arrière, aussi puissante qu’agile.
A l’ombre des feuillages, elle balaya le marais du regard, décidée à retourner la situation et de passer de proie à chasseuse. Seule une légère brise agita les roseaux. Elle se pinça le nez, ne supportant pas l’odeur pestilentielle des marécages. Frissonnante, la demoiselle se frotta les bras, tentant de se réchauffer, lorsqu’un sifflement dans son dos lui glaça le sang.
Un petit cri de surprise lui échappa, tandis que ses réflexes saisirent le serpent à la gorge, tous crocs sortis menacant en vain son visage. Tout en jurant, elle l'empoigna fermement de son autre main et tira d'un coup sec pour l'attirer face à elle, tout en veillant à rester hors de portée du venin. Son cœur battait à tout rompre alors qu'elle maîtrisait la créature, avant de sentir un sifflement près de son épaule. Trois shurikens fendirent l’air, transperçant le serpent et le bois laissé par la substitution improvisée de la kunoichi.
— La garce...
Ayant compris qu'elle était découverte par Evaline, la chasseuse au visage camouflé se retourna, juste à temps pour parer un coup de poing de ses avants-bras. Dangereusement propulsée vers le sol, la traqueuse se rétablit juste à temps pour bondir en arrière, esquivant de peu le pied de la nymphe. Cette dernière ne lui donna aucun répit et la poussa à dégainer en urgence son sabre pour contrer quelques kunais. Pestant d’avoir perdue l’avantage, elle fondit sur la jeune femme aux méches prunes, qui bondit également en sa direction, poings serrés.
Un corbeau fila entre elles, les stoppant net dans leur élan. Ses pattes crochues se posèrent sur une branche en croassant, aux côtés de Kezashi qui semblait les toiser de haut à travers le sombre bandeau cachant ses yeux.
— On avait pas fini, siffla Evaline, agacée.
Posté dos à l'arbre, Kezashi la nargua de son petit air suffisant, ce qui accentua la mauvaise humeur de son élève.
— Match nul, décréta le Chuunin. J’en ai largement assez vu.
Tout de noir vêtue en une tenue classique ninja, Mey-Lynn Sabishii retira son masque, dans lequel elle étouffait. Transpirante, quelques mèches noires avaient échappé à ses nattes maintenues en arrière et s'étaient collées sur son visage. Elle interrogea Kezashi de ses hypnotisants yeux jaune pâle.
— Tu as perdu Izyroth ? s'étonna-t-elle.
Soudain, une lame d’os aiguisée se glissa le long de sa gorge, provoquant un haussement au ciel des yeux de Evaline. Leurs mentors ne pouvaient donc jamais s’empêcher de se la raconter…
— Tu n’as pas vérifié tes arrières, ma petite, chuchota-t-il, presque sussurrant.
Mey-Lynn grogna et saisit le poignet de Izyroth pour l’intimer à retirer sa lame.
— Tu es en retard, abruti, ronchonna-t-elle. Dégage moi ça…
— Ca, c’est lui qui le dit, ricana le Chuunin en désignant Kezashi d’un mouvement de tête.
Exaspérée, Mey-Lynn repoussa la main de Izyroth et lui cala un coup de coude en plein estomac. Ne s’attendant pas à cette réaction, le gradé tomba à genou, peinant à retrouver sa respiration. Kezashi mit pied à terre et soupira :
— Mais quel crétin…
Evaline pouffa de rire en voyant Mey-Lynn hurler sur son mentor attitré, hors d’haleine. Il était parfois bien difficile de se souvenir qu’Izyroth était le sensei de la jeune adolescente. La kunoichi se tourna vers le sien : Kezashi Hykao, qui venait de croiser les bras, passablement exaspéré par le comportement de son ami et de son élève.
Il y a de cela quatre mois, l’ancienne éducatrice avait accepté de rejoindre leur groupe et fut rapidement stupéfaite d’y découvrir deux shinobis aux antipodes du caractère de son nouveau professeur. Là où Kezashi était froid et distant, Izyroth était un trublion, toujours le mot pour rire. Du moins avait-il le mérite de tout faire pour se rendre amusant. Peu concentré et impulsif en dehors des missions, Evaline s’était demandé comment ce type avait bien pu atteindre le rang de Chuunin. Mais elle fut agréablement surprise, et rassurée, par son sérieux et application sur le terrain. Bien qu’il l’agaçait fréquemment, Evaline appréciait le clown pour ce qu’il était et devait s’avouer que l’ambiance serait bien plus morne sans lui. Tout comme Kezashi, Izyroth avait un style qui ne passait pas inaperçu. Cheveux mi-longs descendant au niveau des épaules, d’un gris délavé flirtant avec l'argenté, sa coupe était hérissée sur le devant. De constitution moyenne, il était toujours habillé de noir, allant de pair avec son comparse de toujours.
— Ca va pas bien de me faire des frayeurs pareilles ! lui hurla Mey-Lynn, se retenant à grand peine de lui caler un coup de poing à l’arrière de la tête.
— Faut bien te préparer, bafouilla Izyroth en se relevant, tout en se frottant le ventre. Je suis ton sensei, tu te souviens ?
Mey-Lynn poussa un petit cri d’exaspération, qui arracha un sourire à Evaline. Difficile de croire en la voyant ainsi que Mey-Lynn était d’un naturel doux et réservé. Izyroth avait le don de la faire sortir de ses gonds. A son arrivée dans l’équipe, Evaline avait été quelque peu mal à l'aise face au regard semi-éteint de la demoiselle, donnant l’impression de n’accorder d'intérêt qu’à peu de choses. Au fil des semaines, toutes deux, complémentaires sur bien des points, se rapprochèrent, illuminant le regard d’or de Mey. Evaline ne pouvait s’empêcher de se dire que son expression au sein du centre social l’avait poussé à une certaine déformation professionnelle.
Sa nouvelle amie était l’une des raisons qui ne lui faisait pas regretter d’avoir accepté l'offre de Kezashi. Le tutorat de l’Hykao en était une autre. Efficace, le Chuunin avait fait progresser son élève de façon fulgurante, l’amenant à se surpasser en taijutsu et en genjutsu. Non contente d’aiguisée son art du corps à corps par les enseignements du Chuunin aux corbeaux, Evaline s’était offerte le luxe d’améliorer ses illusions et de concevoir une arme secrète, dont elle perfectionnait encore les détails. Seule sa maîtrise du Suiton stagnait, ne voyant désormais plus que sporadiquement son policier. Evaline avait senti que ce dernier avait très mal pris que Kezashi la prenne sous son aile, sans lui expliquer la raison de son ressentiment. Ayant peu de temps libre entre les entraînements et les missions, qui l’avait poussée à suspendre son emploi à l’Inazaka, Evaline n’avait, à son grand regret, pas le luxe de s’expliquer avec lui. De son côté, Shiro semblait crouler sous le travail. La Genin tenta tant bien que mal de chasser le Yuushi de son esprit, et se recentra sur son équipe. Toujours bras croisés, Kezashi n’avait pas besoin de son regard pour toiser Izyroth et son élève.
— Vous avez terminé ? les coupa-t-il sèchement.
Géné, Izyroth opina du chef.
— Nous avons une annonce importante à vous faire, continua Kezashi, mains derrière le dos, tandis que Mey-Lynn tirait la langue à son mentor.
Kezashi feinta d'ignorer l'insolente Genin, bien que son corbeau la fixait de son regard noir. Evaline s’étonna du formalisme de l’Hykao, qui se contentait habituellement d'être direct et succinct lors des explications de leurs entraînements et de leurs affectations de mission.
— Izyroth et moi avons été nommés comme juges au premier Tournoi Inter-Villages du Yuukan, qui aura lieu à Chikara la semaine prochaine.
La nouvelle tomba comme un couperet. Le cœur d’Evaline se serra tandis que son esprit protestait. Un tournoi ? Une exhibition publique ? Elle serra les poings, refusant de croiser le regard pesant du corbeau sur l'épaule de Kezashi. Ce n’était pas pour ça qu’elle avait accepté son offre ! Il n’avait tout de même pas osé ?
— Cela signifie que vous mettez en pause notre entraînement ? s'inquiéta Evaline en haussant un sourcil de surprise, concentré sur le visage de l’Hykao.
— Effectivement, répondit Kezashi d’un sourire carnassier. Car nous vous avons inscrites comme participantes.
La kunoichi aux mèches de prunes eut la sensation que son cœur venait de tomber au creux de son estomac. Elle échangea un regard avec Mey, qui affichait au contraire une expression mêlant anxiété et excitation. Le poing d’Evaline se serra, insultant mentalement Kezashi. Comment avait-il pu oser l’inscrire sans la consulter au préalable ? La simple idée de servir d’attraction à un public de barbares en manque d’action la révulsait au plus haut point. Ce n'était pas pour cela qu’elle avait réintégré les rangs et l’Hykao le savait très bien. Furieuse, elle défia du regard les yeux noirs du corbeau, qui n’avait cessé de la scruter depuis la fin de l’entraînement.
— Ce sera une excellente occasion de jauger vos progrès, ainsi que le chemin vous restant à parcourir, affirma Kezashi, d’un ton qui se voulait n’offrir aucune marge de réplique.
— Comme c’est pratique, pesta Evaline, faisant claquer sa langue de mécontentement.
— Que cela vous plaise ou non, vous servirez Gensou au cours de ce Tournoi. Voyez cela comme une mission.
Evaline défia le corbeau du regard, poings serrés, avant souffler profondément afin de retrouver un peu de calme. Inutile de s’énerver, les choses étaient ainsi. En redevenant une kunoichi, Evaline savait qu’il lui faudrait commettre des actes aux antipodes de ses convictions. Elle aurait juste préféré ne pas être réduite au rang de bête de cirque.
— Dites-vous que de bonnes prestations peuvent vous faire gagner des points auprès des représentants de Gensou, les encouragea Izyroth.
— C’est vrai ! s’exclama Mey-Lynn, de plus en plus impatiente.
Evaline se mordit une lèvre. Jusqu’à maintenant, elle avait préféré se faire oublier. Être kunoichi n'était qu’un prétexte pour explorer la gangrène du système de l'intérieur et elle songeait à enchaîner les missions lorsque son niveau serait suffisant pour monter en grade. Le Tournoi pourrait-il lui offrir un ascenseur social plus rapide ?
De son côté, Mey était déjà en train de revoir ses différentes stratégies de combat. Pour n’importe quel autre Genin, son excitation aurait été contagieuse. Evaline tourna à nouveau son regard vers l’oiseau, puis vers l’Hykao, qui lui adressa un sourire furtif la rassénérant dans cette philosophie.
Bien que vexée qu’il ait pris cette décision sans lui demander son avis, Evaline savait au fond d’elle que Kezashi agissait pour son bien. Malgré sa cécité, le Chuunin semblait toujours voir au-delà des apparences.
— Bien. Nous partons demain en milieu de matinée, les informa t-il sèchement. Préparez-vous et reposez-vous. Vous en aurez besoin !
Lorsqu’ils furent de retour à Gensou, Evaline déclina poliment une invitation de son amie à préparer ensemble leur voyage. Bien qu’elle tentait de trouver un intérêt au Tournoi, son coeur et son esprit étaient à la peine. Elle décida alors de rendre visite à ses adolescents. Peut-être que leur énergie débordante suffirait à apaiser son esprit. Ou, au contraire, leur enthousiasme lui rappellerait à quel point elle était lasse. Elle chassa cette pensée : les voir en valait toujours la peine.
A peine fit-elle un pas que Kezashi passa à côté d’elle et posa une main sur son épaule, avant de lui chuchoter :
— Ne le fais ni pour Gensou, ni pour moi. Ce défi te montrera qui tu es vraiment.
Sans attendre de réponse, l’Hykao la laissa faire sienne ses dernières paroles. Evaline resta figé un court instant, troublée. Elle inspira profondément, tâchant d’éloigner ce malaise, et décida de s’en remettre une fois de plus à son mentor. Il avait beau l’agacer, Kezashi avait le don de déterminer ce qui était le mieux pour elle.
Le regard perdu dans les lumières déclinantes de Gensou, elle se raccrocha à ce qui comptait vraiment : les sourires sincères de ces jeunes pour qui elle rêvait d’un avenir meilleur.
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— Allez quoi ! Filez-nous quelques infos ! supplia Mey-Lynn pour la énième fois.
— Non, soupira Izyroth, lassé de l'insistance de son élève.
Par dépit, elle se tourna vers l’Hykao, qui marchait face à elle aux côtés de son ami. Son oiseau fiché sur son épaule la fixait.
— Kezashi…
— Pas de favoritisme, répliqua t-il, cinglant.
Comprenant qu’elle n'obtiendrait aucun avantage, Mey-Linn fit une moue boudeuse tout en croisant les bras, ce qui arracha un sourire à Evaline, plongée dans sa morosité depuis l’annonce du Tournoi. C'était un exploit, seul sa visite au centre pour adolescents ayant réussi à lui apporter un peu de baume au cœur depuis la veille. Contrairement à elle, les adolescents étaient surexcités à l’annonce de la participation d’Evaline à une compétition de ninjas, mais leur enthousiasme redescendit en apprenant qu’il aurait lieu à Chikara. La demoiselle aux cheveux pourpre fut couverte de câlins et d’encouragements, et c’est le cœur réconforté qu’elle rejoignit son équipe pour le départ de Gensou.
Le groupe arriva à l'entrée du Village, où se trouvaient déjà un grand nombre de participants. Kezashi et Izyroth prirent congés de leurs élèves, leurs sous-fifres venant leur faire un rapport de situation. Un rapide coup d'œil à la troupe de Genins suffit à Evaline pour comprendre qu’elle était l’une des plus âgées de la promotion, peu étonnant après sa pause de plusieurs années.
Mey-Lynn était devenue bien moins bavarde que durant le trajet. Sa main se crispa sur le bras d’Evaline, comme si le contact la rassurait face à la foule de Genins.
— Ça va aller, lui murmura Evaline, serrant doucement son bras en retour.
Gardant le silence, Mey-Lynn parvint à lui répondre d’un léger sourire, crispé mais sincère.
— Je me doutais que Kezashi te trainerait ici, les interrompit une voix familière qui fit bondir le cœur d’Evaline.
— Ça faisait un moment, Shiro, la salua-t-elle en se retournant, un petit sourire espiègle aux lèvres.
Shiro le lui rendit, tandis que Mey devint encore un peu plus interdite, ne connaissant le Yuushi que de réputation. Evaline donna un léger coup de poing à l’épaule de son policier.
— Qu’est ce que tu fais ici ? lui demanda-t-elle.
— Tu te souviens de l’énorme travail dont on me charge depuis quelques mois ? répondit Shiro en se frottant l’épaule.
Evaline opina du chef, commençant à faire le lien et à comprendre que la présence de son ami n'était pas une coïncidence.
— Je fais partie des Chuunins en charge de votre sécurité, expliqua le Chuunin aux mèches bleutées, un sourire amusé aux lèvres.
— Tu es donc du voyage ? s’enthousiasma Evaline.
L’expression rayonnante du jeune homme suffit à lui répondre.
— J’ai hâte de constater tes progrès, Evaline !
Il se tourna vers un collègue, qui lui faisait signe de les rejoindre.
— Le devoir m’appelle, soupira Shiro, avant de poser une main sur l’épaule d’Evaline dont les joues rosirent légèrement.
Soudain, la Genin se sentit plus légère, sa rancœur envers Kezashi s'effaçant au profit de sa joie de retrouver son policier. Le sourire de Shiro, discret mais sincère, était tout ce dont elle avait besoin.
— On se voit plus tard, lui murmura Evaline en souriant, sentant une chaleur réconfortante monter en elle.
Shiro commença à s'éloigner, puis se tourna vers elle une dernière fois :
— Je vais enfin avoir du temps libre après le Tournoi, on pourra reprendre l'entraînement !
Lorsqu’il lui tourna à nouveau le dos, Evaline ne pouvait s'empêcher de sourire. Shiro ne semblait pas lui en vouloir finalement. Heureuse à la perspective de renouer avec lui, la demoiselle se rendait à présent compte d’à quel point ses discussions avec son policier, flirtant fréquemment avec la philosophie et la politique, lui avaient manqué.
— L'entraînement, hein ? la taquina sa partenaire d’un petit clin d'œil.
— Commence pas, Mey, répliqua Evaline, posant sa main sur son visage et la faisant reculer de quelques pas.
— Il a un frère, ton copain ? Il est mignon…
Affichant une moue faussement agacée, Evaline souffla du nez, faisant voler une mèche rebelle. A l’appel des collègues de Shiro, Evaline avança, le regard fixé sur l’horizon, au milieu de ses camarades Genins.
Ce Tournoi allait être intéressant, finalement.
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