Épisode 6 - Fragments d'égos

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Opening : https://www.youtube.com/watch?v=3yoLXIQd2cM

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 Fermant les yeux pour mieux se concentrer, la brise chaude du désert caressa les mèches brunes de Mey-Lynn, une douceur bienvenue tant son visage goûtait de transpiration. Elle posa une main sur le parchemin devant elle et y insuffla son Chakra, avant d’ouvrir les yeux. La Sabishii soupira de dépit et de frustration en constatant que rien ne s'était produit, et se pencha sur son livre dans l’espoir de saisir ce qui lui faisait défaut.

 A peine eût-elle esquissé le mouvement qu’elle serra les dents en un petit gémissement, crispant sa main sur la blessure que lui avait infligée cet enfoiré de Masumane. Mey-Lynn glissa ses doigts sous son tee-shirt et effleura la peau meurtrie à son flanc droit. Le contact des traces de brûlures la révulsait, mais avait le bénéfice de raviver sa motivation. À jamais un rappel de son échec, ces marques nourrissaient son désir de ne plus jamais fléchir. Déterminée, elle prit le carnet d’une main et, concentrée, se mordilla le bout du majeur et de l’annulaire, un geste inconscient lorsqu’elle plongeait dans ses réflexions.

 L’angoisse torturait toutefois les entrailles de la Genin dès qu’elle pensait au retour à venir à la Cascade. L’adolescente savait d’avance que sa mère ferait tout pour la réconforter en lui cachant sa déception face à ses piètres résultats, ce qui était bien pire pour la jeune kunoichi que de subir directement sa pression. Culpabilisante pour ne pas avoir été à la hauteur des espérances que lui portait Eiyo, elle aurait mille fois préféré subir ses foudres.

 Appartenant aux familles de l’exode de Shinobi, la fondation du clan Sabishii remontait à la naissance du Village des Illusions, il y a de cela un peu de cinq siècles. Au fil du temps, le groupe s'était divisé en deux branches, dont la principale régna autant par le droit dû à son statut de fondateur que par sa supériorité numérique. Au terme de la Seconde Grande Guerre, l’équilibre des forces s’était brutalement retrouvé bouleversé.

 Saignés, les Sabishii n’avaient plus que de grandeur l’image entretenue par la branche principale, les Fondateurs, désormais constituée d’une dizaine de membres. La branche secondaire, surnommée les Impurs, était à peine deux fois plus nombreux. Cela suffisait à la mère de Mey-Lynn, Eiyo, pour réclamer des réformes profondes dans leur fonctionnement, en brisant en premier lieu la barrière entre les deux branches. Mais les nobles cherchant à préserver à tout prix leurs privilèges, les Impurs n’avaient que le fruit de leur travail pour défendre leurs ambitions.

 Meneuse des progressistes Sabishii, la Juunin menait depuis de nombreuses années une bataille politique et idéologique contre les vieillards obsédés à maintenir le clan dans ses traditions cupides et obsolètes. Talentueuse et charismatique, Eiyo était parvenue à subtiliser aux Fondateurs le poste de directrice de la CRIM, l’organisme dirigeant l’ensemble des cellules liées à la sécurité de Gensou, raffermissant sa position d’opposante principale à Ketsuo, chef de droit du clan. Pour les réformateurs, Mey-Lynn était donc l’héritière naturelle de Eiyo et, par extension, celle qui devait achever l'œuvre de sa mère en modernisant en profondeur le clan. Avec un match nul et une défaite cuisante, Mey-Lynn s’était montré indigne de l’avenir glorieux qui lui était promis. Au lieu de revenir renforcé face à Ketsuo, l’adolescente savait qu’elle avait considérablement affaibli la position politique de sa mère.

 Abattue, le carnet qui se refusait à elle était devenue son unique espoir. Peu avant son départ de Gensou, Eiyo l’avait jugé prête à acquérir les arcanes secrètes des Sabishii et avait discrètement subtilisé le recueil de leur art, interdit aux Impurs. La réussite de Mey-Lynn dans l’apprentissage de ces techniques était double. Il lui fallait démontrer son potentiel aux Fondateurs, tout en les empêchant de reprocher ce vol à la meneuse des réformateurs.

 Reprenant son pinceau, Mey-Lynn le trempa dans son encre et s’appliqua minutieusement à son dessin, le précédent étant devenu inutilisable suite à sa tentative infructueuse. Satisfaite, elle s’accorda une pause, se penchant en arrière pour plus de confort, les mains ancrées dans les grains de sable du sol rocheux. Le promontoire où elle exerçait dominait l’ensemble du Village du Sable, dont elle admirait la vue. Peu intéressée par l’architecture de Chikara, qu’elle trouvait morne et triste, son regard serin se perdit dans l’océan dorée s’étendant à perte de vue face à elle, aussi vaste et impitoyable que le fossé qui la séparait à présent d’Evaline. Quelques mèches se soulevèrent par le tiède souffle du désert, tandis qu’une bouffée d’amertume la submergea.

 À sa grande surprise, la victoire de son amie sur Takeshi ne lui avait apporté que peu de satisfaction. Mey avait tenté de donner le change, mimant maladroitement la joie, mais la demoiselle aux mèches de prunes lui avait fait comprendre en un unique échange de regard qu’elle n’était pas dupe. Depuis, la Sabishii l’évitait, ajoutant à son mal-être.

 Mais pouvait-on le lui reprocher ? Face au Masumane, Evaline s'était transcendée et avait montré un niveau martial bien supérieur au duel qui les avaient opposés. Le goût amer du match nul était devenu acide. Evaline s'était-elle retenue contre elle ? Que ce soit le cas ou non, Mey savait que cette hypothèse allait devenir la seule vérité pour les Fondateurs. Et au-delà de la pression politique pesant sur ses épaules, la brune se sentait dévorée par la jalousie envers son aînée, un poison insidieux infectant chacune de ses pensées envers sa meilleure amie.

 Evaline était tout ce qu’elle n’était pas. Belle à tout point de vue, intelligente et talentueuse, elle avait même réussi à employer le pouvoir des Sabayaku, elle qui était en rejet de son clan depuis des années. De son côté, l’héritière des Sabishii était incapable d'exécuter la base de l’art des siens.

 Le vent chaud du désert soufflait sans relâche, chargé en poudre de sable. La brune se sentit aussi insignifiante que ces particules perdues dans l’immensité et arriva en la conclusion qui creusa ses joues de quelques larmes.

 Telle une étoile de plus en plus lointaine, Evaline se rapprochait de la perfection, tandis que Mey-Lynn stagnait en une mauvaise esquisse. Combien de temps encore avant qu’elle ne s'efface totalement ?

 Remuant la tête, comme si cela suffirait à chasser ses pensées moribondes, la fille d’Eiyo Sabishii se donna quelques légères claques au visage et balaya ses larmes de ses poignets. Ses sentiments pouvaient attendre, il lui fallait se concentrer ! La kunoichi ferma les yeux et malaxa son Chakra, calmant bien vite la sensation de froide tempête s’agitant au creux de son estomac. Elle posa une main sur le parchemin et y insuffla son énergie.

 Lorsqu’elle retira sa paume, elle esquissa un sourire satisfait. Un shuriken d’encre terminait de se matérialiser. Peut-être était-elle autre chose qu’une déception, finalement ?

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 Détendant ses bras haut dans le ciel, mettant consciemment en valeur ses courbes généreuses, Evaline minaudait en croisant le chemin de nombreux passants. Désarmés face aux charmes de la demoiselle, ces derniers lui rendaient son sourire ou détournaient les yeux, certains le rouge aux joues. La plupart la reconnaissait clairement par ses exploits dans l'arène, mais elle était satisfaite de constater que les illusions embellissant sa plastique retenaient longuement leur attention, allant jusqu’à déclencher une dispute d’un couple.

 S’éloignant de la jeune femme enrageant sur son petit ami, la kunoichi aux mèches de prunes se retenait de se mordre une lèvre, se détestant intérieurement pour son comportement. Se réduire à ce rôle lui donnait envie de hurler. Mais elle n’avait pas le choix, son dernier combat lui ayant prouvé qu’elle devait améliorer ses talents de séductrice si elle souhaitait ne serait-ce qu’espérer se rapprocher de ses objectifs.

 Sa vision du duel la rendait amère. Takeshi avait vaincu Evaline, la poussant à redevenir une Sabayaku pour renverser le match. Contre son gré, elle s’était finalement admise que jamais elle ne pourrait aller à l’encontre de ce qu’elle était, comme sa mère n’avait cessé de lui affirmer jusqu’à ce qu’elle coupe les liens. Mais si elle devait agir en succube, elle le ferait à sa façon et pour de bonnes raisons. La première étape était d’appliquer régulièrement ses mirages corporels : poitrine plus volumineuses, courbes mieux taillées et fessier ferme, entre autres. En fonction des réactions de la gent masculine, Evaline affinait sa silhouette, devenant peu à peu un fantasme ambulant.

 Evaline serait dorénavant une source permanente de distraction, poussant ses ennemis à des fautes mortelles en jouant avec ce que les shinobis cherchaient vainement à enfouir derrière leurs carapaces d’insensibilité.

 Tournant au hasard au bout d’une ruelle, Evaline ne savait pas comment elle allait occuper le reste de son après-midi. La raison lui hurlait d’aller dormir et d’étudier son prochain adversaire, Kezashi n’ayant cessé de la mettre en garde contre son prochain adversaire, visiblement un petit prodige des Mizu de Gensou. Mais la jeune femme se fichait totalement de la suite du Tournoi, ne se souvenant aucunement des combats du garçon. Mey-Lynn éliminée et Takeshi vaincu, Evaline avait perdu tout attrait pour cette compétition puérile.

 Une vague de tristesse envahit son cœur en songeant un bref instant à sa partenaire. La Sabishii se comportait étrangement depuis son combat contre le Masumane. Evaline se doutait qu’elle craignait le retour à Gensou, mais elle avait le sentiment qu’un ressentiment s’était installé envers la nymphe. Mais tant que Mey se coupait d’elle sans lui donner le lieu de son isolement, elle ne pourrait que multiplier les suppositions.

 Passant devant les portes du Village, Evaline jeta un regard pour apercevoir les dunes de l’océan d’or, songeant qu’elle aurait aimé s’y promener librement. Bien qu’il lui tardait de rentrer à la Cascade, la Sabayaku trouvait dommage de ne pas profiter du séjour. Mais seul Shiro aurait pu lui procurer une autorisation et le jeune policier était bien trop occupé par ses responsabilités pour faire du tourisme avec elle.

 Elle soupira et continua sa route, jusqu’à ce que des bruits de choc attire son attention sur un terrain d'entraînement. Discrète, elle s’installa sur un banc et observa un Chikarate en plein exercice de frappe contre un mannequin d'entraînement, de dos face à elle.

 Plus jeune qu’elle de quelques années, l’adolescent semblait bien taillé sans tomber dans une musculature obscène dont était friand la plupart des Chikarates. Souple et vif, le jeune homme glissait autour de sa cible, comme s’imaginant des attaques imaginaires qu’il esquivait avant de contre-attaquer. Toutefois, chaque frappe semblait être empreinte d’une retenue enragée, faisant chanceler la cible sur son appui.

 Cheveux courts d’un noir de jais, Evaline put enfin détailler son visage lorsqu’il passa dans le dos du mannequin. Son regard noisette croisa le marron de la Gensouarde et le battement de cils charmeur de la jeune femme figea le Chikarate sur place, poing levé avant de se décrisper.

 La Sabayaku se leva doucement, ses doigts effleurant le banc de pierre sur lequel elle était assise quelques secondes plus tôt. Gêné, il détourna le regard lorsqu’elle s’approcha de lui.

— Pas mal tes mouvements, la complimenta-t-elle en un murmure doucereux.

 L’adolescent déglutit, le rouge montant à ses joues. Il osa à peine relever la tête pour lui répondre :

— Je… Merci.

 Toujours souriante, Evaline posa un doigt sous son menton et le releva, leurs regards châtaigne se croisant à nouveau. La kunoichi remarqua alors une petite cicatrice sous son œil gauche, ressemblant aux marques qu’elle arborait également sous ses yeux. Une lueur de compréhension teinté de compassion traversa les iris du taijutsuka.

— Tu m’apprends ? lui demanda Evaline en lui adressant un clin d'œil malicieux.

— Pardon ? s’étonna le jeune homme, interloqué.

 Il eut tout juste le temps d'éviter un crochet, avant de reculer de quelques pas. La Sabayaku considérait cette rencontre comme providentielle, lui permettant de tester ses stratégies de déstabilisation tout en s’inspirant du Chikarate pour aiguiser son taijutsu. Et elle devait s’avouer que ce garçon était à son goût, dégageant une aura qui lui plaisait malgré son air ingénu.

 Tous deux se tournèrent autour, Evaline s’amusant de l’hésitation de l'adolescent qui semblait analyser chacun de ses mouvements.

— Je vous ai vu dans l'arène, l’informa le garçon avec sérieux.

— Oh ? s’exclama exagérément Evaline. Veux-tu venger ton compatriote ?

 Elle fila sur lui, mesurant sa vitesse pour rester à la portée de son vis-à-vis, qui esquiva d’un pas de côté, l’avant-bras de la kunoichi effleurant sa joue. Elle le laissa reculer, ses lèvres s'étirant en un sourire de défi et constata qu’il lui rendait son expression.

— De ce que j’en sais, Takeshi est une ordure, lâcha le garçon sans aucune animosité. J’étais satisfait en vous voyant lui écraser le visage dans le sable.

— Cela nous fait un point commun supplémentaire, fit remarquer Evaline en un clin d’oeil aguicheur.

 Pensant l’avoir feinté, la Sabayaku tenta un coup de pied, qui fut paré. Ne lui laissant pas le temps de saisir sa cheville, elle la rabattit au sol et tourna sur elle-même en un coup de pied circulaire, qu’il évita en se baissant avant de reculer à nouveau.

— Vous vous retenez, fit remarquer le pertinent adolescent en tendant les bras. Qu’est ce qu’un aspirant tel que moi pourrait bien apprendre à l'une des qualifiées du Tournoi Inter-Villages ?

 Evaline haussa un sourcil, surprise. Ce garçon n'était donc pas Genin ? Il lui aurait pourtant posé bien des soucis il y a encore quelques mois.

— Contrairement à toi, je suis assez rigide en combat, expliqua Evaline en désignant d'un geste sa silhouette.

— Je ne vois pas ce que je pourrais y faire, bredouilla le Chikarate, soudainement peu sûr de lui.

 Le jeune homme oscillait en permanence entre assurance et anxiété, intrigant la Gensouarde. Sans prévenir, elle fondit sur lui et le laissa intercepter une droite, avant de l’attraper par le dos pour le plaquer contre elle.

— Apprends moi à danser, lui susurra-t-elle à l’oreille.

 Après avoir savouré un court instant le frisson qu’elle venait de lui procurer, Evaline le repoussa. Cette fois, ce fut à elle de dévier le coup de poing du garçon aux cheveux de jais, qui glissa ensuite sur son flanc pour un coup de genou dans les côtes qu’elle bloqua en relevant une jambe.

 Le taijutsuka recula et lui fit signe d’approcher, un sourire carnassier aux lèvres. Le défiant du regard, Evaline fondit sur lui et tenta de reproduire les mouvements de son professeur du jour. Durant l’heure qui suivit, leurs membres dansèrent, les corps se frôlant lors de leurs esquives et ne se touchant qu’une fraction de seconde lors des parades, se détachant presque à regret.

 Après avoir esquivé un uppercut, Evaline finit par saisir un pied destiné à son minois, qu’elle leva légèrement avant de balayer la jambe restante sans ménagement. Le séduisant adolescent tomba sur le dos et Evaline, sans réfléchir, se plaça sur lui. Le sentant crispé, elle constata qu’il n’esquissait plus le moindre geste. Le rouge rosissant ses joues crispées, la kunoichi aux mèches de prunes remarqua que seul sa pommette droite s’arrondissait lorsqu’il souriait.

— Adorable, chuchota-t-elle face à un Chikarate qui ne voulait plus détourner son regard du visage de la nymphe.

 Lentement, Evaline se pencha vers son visage, ses cheveux frôlant ses joues, imprégnant son air de notes vanillées. Leurs joues se frolèrent, électriques, jusqu’à atteindre son oreille où elle susurra :

— Reviens me voir quand tu auras mûri.

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