Épisode 8 - Sur le fil

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 Un éclat de lumière aveugla une partie du public en un grognement généralisé. En un souffle d’air qui souleva sa cape, une boule d’électricité condensée fila devant l’arbitre. Certains spectateurs reculèrent d’instinct, tandis que d’autres se levaient, la main en visière. Leurs murmures, d’abord étouffés, laissèrent rapidement place à un brouhaha de fascination et d’effroi.

 Protégé par sa cécité, Kezashi renoua sa vue à celle de son corbeau et se contenta de souffler de lassitude. Il s’approcha du corps fumant du Genin, qui venait de choir piteusement au sol après l’avoir violemment heurté à plusieurs reprises, et posa deux doigts sur son cou. Constatant un pouls faible, le Hykao se surprit à regretter que le gamin ne soit pas mort. Au moins aurait-il eu une raison pour disqualifier l'insupportable Masumane. Impassible, le Chuunin aux corbeaux se redressa et appela l’assistance médicale. Tandis qu’Izyroth et son équipe se précipitait vers eux, un raclement de gorge se fit entendre dans le dos du Gensouard :

— Pourriez-vous annoncer ma victoire ? persifla Takeshi avec dédain. Certains n’ont pas de temps à perdre avec les tâcherons.

 Kezashi continua à lui tourner le dos, contrairement à son corbeau qui foudroya le Genin du regard. Le fils à papa, nullement intimidé, se contenta de croiser les bras en souriant, visiblement désireux de tester la limite de son interlocuteur avant de se prendre un poing en plein visage. Non pas que le sort du Mahousard fumant devant lui ne le préoccupe, son agacement était purement personnel. Que des clans comme les Hykao luttent pour survivre tandis qu’un Takeshi n’avait eu qu’à naître pour obtenir tout ce qu’il désirait le rongeait d’une jalousie empoisonnée, d’autant que l’héritier des Masumane s’en nourrissait avec délectation.

 Impatient de le voir disparaître, Kezashi fit outre son dégoût en proclamant la qualification du Chikarate pour la seconde demi-finale. Satisfait, Takeshi haussa le menton, certain de sa supériorité sur l’arbitre, avant de lui tourner le dos. Professionnel, personne n’aurait pu deviner le ressentiment intérieur qui agitait le Chuunin aux corbeaux. Cette qualification n’avait aucun sens, fruit du hasard des tirages au sort et des repêchages. Comment expliquer autrement que ce crétin se soit qualifié pour les demi-finales, contrairement à celle qui lui avait infligé une cuisante défaite ?

 Si seulement le Tsumyo n’avait pas misérablement perdu pied suite à la mise sous scellé de la banshee. Prometteur lorsqu’il l’avait sélectionné et lors de son premier match, les débats avaient été disputés pour décider qui sélectionner entre Takeshi et Sarouh, tous deux ayant respectivement une victoire et une défaite à son palmarés. Le second n’étant pas en état psychologique de continuer le tournoi, Kezashi avait finalement été contraint d’accepter la qualification de l’égocentrique Masumane.

 Se dirigeant vers la sortie du terrain réservé au personnel, le Hykao se frotta l’arête du nez, épuisé. Que lui prenait-il, à refaire ainsi les événements ? Les faits étaient là, même s’ils ne lui plaisaient pas. Sarouh n’avait pas été à la hauteur, permettant à Takeshi de poursuivre la compétition. Quant à Evaline, le jeu du destin avait voulu la mettre sur le chemin de l’un des favoris. Même si elle avait fait preuve de sérieux, ses chances avaient toujours été minces face au prodige des Mizu. Véritable génie stratégique, Chiraku avait eu la chance de tomber sur une poule sans réels opposants, lui permettant de s’améliorer au fil des combats tout en repérant les rivaux menaçants. Et contrairement à son élève, le Mizu les avait clairement analysés et devait disposer d’un plan pour chacun. Bien que couru d’avance, cela n’avait pas empêché le sensei de jouer son rôle et de fustiger la jeune femme pour son manque d’anticipation.

 Pour contrebalancer cette déception, l’humiliation subie par Mey-Lynn arrangeait les affaires des Hykao, enfonçant davantage la décrépitude des Sabishii. Nul doute que les conflits internes du clan seraient exacerbés par les prestations pitoyables de l’héritière souhaitée par les réformateurs. Sur un fil fragile, les Sabishii devraient libérer un peu plus de terrain aux Hykao et leurs alliés sur l’échiquier politique de Gensou. Objectivement, le scénario qui se déroulait était parfait et il s’imaginait déjà le visage satisfait de son père lorsqu’il lui ferait un compte-rendu des événements.

 Alors pourquoi ne pouvait-il pas s’empêcher d’éprouver du ressentiment pour le Chikarate ? S’était-il attaché à la protégée d’Izyroth ? Kezashi grogna à cette pensée, pestant contre la sensibilité contagieuse du Kudora. Même si tel était le cas, cela n’avait aucune forme d’importance et il balaya Mey-Lynn de ses pensées. L’héritière était sur le retour pour Gensou et ne représentait plus aucun intérêt dans l’immédiat. Instinctivement, les pensées du Chuunin se tournèrent vers le favori Gensouard.

 Contrairement à Mey-Lynn, en passe d’enterrer la réputation des Sabishii, Chiraku faisait briller l’excellence des Mizu, sans partage avec les absents Maboroshi, leur grand rival dans la suprématie de l’échiquier politique de Gensou. La victoire écrasante de Chiraku face à Evaline, qui était pourtant parvenue à vaincre l’un des favoris, amplifiait la bonne réputation du prodige tout juste sorti de l’Académie. Nul doute qu’une victoire totale sur le tournoi donnerait des arguments aux Mizu pour influer sur le choix du prochain Gensoukage. Persuadé que les Mizu continueraient à se hisser à la hauteur des Maboroshi, la mâchoire de Kezashi se serra de frustration. Il n’y avait plus qu’à espérer que la Uchiwa de Chikara stoppe l’ascension du prodige aux portes de la consécration. Une défaite face à son unique rivale porterait un coup d’arrêt douloureux aux ambitions du clan.

 Comble de malheur, le petit enfoiré s’était permis de se rapprocher de sa Sabayaku. En cela, l’Hykao savait qu’il risquait bien plus que pour les résultats éclatants de Chiraku, pour lesquels il ne pouvait guère influer par une interdiction formelle de toute tricherie par ses supérieurs. Depuis qu’il l’avait prise sous son aîle, le Chuunin peinait à cerner la jeune femme. Au fil des semaines d'entraînements, son besoin maladif d’indépendance semblait s’être enfin calmé, se comportant de plus en plus en soldat durant leurs missions. Kezashi avait espéré que le tournoi la conforte dans cette voie, la façonnant pour la faire enfin entrer dans le rang, comme on le lui avait ordonné.

 Malgré ses réticences, Evaline s’était révélée bien plus performante qu’escompté lors des qualifications, avant que le naturel ne reprenne le dessus. Et voilà qu’elle se liait d’amitié avec le probable héritier d’un clan rival et adversaire des Sabayaku et des Hykao. S’était-il leurré sur les intentions de la jeune femme ? Si tel était le cas, le Chuunin aux corbeaux ne pouvait que s’admettre que son intérêt personnel pour la demoiselle s’en retrouverait décuplé, en dépit des difficultés qu’elle présentait au fidèle servant de Gensou.

 Une fois de plus, Kezashi chassa cette pensée parasite de son esprit. Les sentiments personnels ne devaient en aucune façon interférer avec la mission qui lui avait été confiée. Alors qu’il traversait l’allée donnant sur l’extérieur, une voix indésirable fit bouillir son sang :

— Tout va bien, Kezashi ?

 Bien qu’il soit le dernier visage qu’il souhaitait voir, le Hykao se tourna à contre-cœur vers Shiro Yuushi. Adossé à un mur, l’arbitre comprit qu’il venait tout juste de le dépasser sans le voir. Bien que la crispation de son visage en disait long, le chargé de la sécurité lui sourit.

— Tu me sembles bien préoccupé ? s'enquérit-il, fusillant le placide arbitre du regard.

— Que me vaut cette sollicitude ? s’étonna faussement le Corbeau, s’appliquant à ne céder aucune marge à son rival.

 Shiro lâcha un léger rire étouffé et pencha la tête légèrement en arrière, posant l'arrière contre le mur. Il ferma les yeux et expira en un souffle :

— Evaline. Comment va t-elle ?

— Pourquoi ne lui demandes-tu pas toi-même ? répondit sèchement Kezashi.

— Tu y veilles, répliqua froidement le policier, son regard attisé par les ressentiments.

 Ce fut au tour de l’Hykao de sourire. Effectivement, il veillait à tenir sa pupille loin de la mauvaise influence du Yuushi, chargeant ce dernier d’une montagne de travail. Entre autre intérêt l’un pour l’autre, Shiro était connu pour ses prises de position utopiste, un terrain pour lequel Evaline n'avait nullement besoin de guide.

— Quoi que tu fasses, tu ne parviendras jamais à la changer, affirma t-il, soudainement bien plus offensif.

 Kezashi haussa un sourcil de surprise. Avait-il jouer de certains de ses contacts pour obtenir des informations ? Même dans la police, rares étaient ceux au courant des missions en cours de Kezashi, qui commençait par réflexe à lister la liste des suspects.

— Explique-moi pourquoi je voudrais cela ? demanda instinctivement le Hykao, sur la défensive.

— Car tu es un bon soldat, rétorqua le Chuunin sur l’air de l’évidence.

 Seul un tic nerveux à la commissure de ses lèvres trahit les réflexions agitant Kezashi, de moins en moins certain d’un bluff de la part du Yuushi. Cet enfoiré était bien trop malin pour son propre bien. Mais que savait-il vraiment ? Sentant qu’il avait le dessus sur le Chuunin aux corbeaux, le policier croisa les bras, le regard enflammé :

— Eva est-elle au moins au courant ? lui demanda Shiro, une menace sous-jacente dans la voix.

 Quelque soit la part entre les déductions de Shiro et ses informations véritables, c’en était trop pour le Hykao. Menaçant, il fit deux pas vers le policier, ses longs cheveux noirs cachant en partie son visage tandis que le regard de son corbeau foudroya l’impertinent. Instinctivement, Shiro se raidit, comme prêt à se défendre.

— Penses-tu vraiment être en position de me menacer ? grinça Kezashi, doucereux malgré la froide colère qui l’envahissait.

 Shiro garda le silence, le regard agité, comme s’il cherchait à le fuir. Kezashi esquissa un sourire, sentant que son interlocuteur comprenait être allé trop loin.

— Shiro Yuushi, le frêle héros outrepassant ses fonctions, lui rappela froidement le Hykao. Ton dossier n’a pas besoin d’un mauvais rapport supplémentaire, n’est ce pas ?

 Le Chuunin blémit et déglutit, avant de reprendre la parole d’une voix tremblante :

— Mon travail ici est irréprochable.

— Vraiment ? ricana son supérieur. Peut-être devrais-je poser la question au Mahousard, lorsqu’il se réveillera de son traumatisme crânien. Toi et ton équipe n’avaient pas été très efficaces pour l’extirper de la cinglée qui a manqué de peu de le tuer.

 Les yeux de Shiro s’écarquillèrent, n’en croyant pas ses oreilles. Ses poings se serrèrent, la lueur de son regard s’enflammant de défi.

— Je n’ai rien à voir avec cet incident ! s’insurgea Shiro, offusqué par l’injuste menace.

— Tu es pourtant responsable de la sécurité, répliqua sèchement Kezashi. Dois-je énumérer les manquements à ton poste ?

 Les poings toujours crispés, il ne put que soutenir le regard d’une froide cruauté de l'oiseau de Kezashi. De quoi pouvait-il l’accuser ? Et quels étaient ses chances de défense contre le Hykao ? Contrairement à Shiro, qui cumulait de plus en plus de blâmes pour insubordination et remise en cause des protocoles bien trop soumis à l'influence des clans majeurs, Kezashi Hykao était un shinobi exemplaire. Respecté de tous, il avait des liens avec de nombreuses personnalités influentes de Gensou. Le manque de preuves n’y changerait pas grand chose. Parole contre parole, Shiro savait sans l’ombre d’un doute qu’il serait considéré comme responsable.

— Concentre toi sur ton travail, lui ordonna l’arbitre en agitant la main, comme s’il aurait voulu balayer Shiro.

 Satisfait de voir la flamme du Yuushi s’éteindre de résignation, Kezashi lui tourna le dos, prêt à quitter l'arène. Mais avant d’esquisser le moindre pas, il décida d’exploiter la situation à son maximum. L’occasion était trop belle. Sur l'épaule de son maître, le corbeau continua à soutenir le regard du policier.

— Puis-je te donner un conseil, mon ami ? susurra presque le Chuunin aux longs cheveux noirs.

 Hésitant un instant, Shiro savait qu’il n’avait pas véritablement le choix. Il hocha la tête, peinant à maintenir sa respiration régulière. Outre les dangers que faisait peser Kezashi sur sa carrière, il se sentait écrasé par la personnalité de son rival et se détestait de se laisser ainsi dominer.

— Pour votre bien à tous les deux, reste loin de Evaline.

 Un sourire sadique aux lèvres, Kezashi marcha enfin vers la sortie de l'arène, laissant Shiro, le regard brillant, intégrer les enjeux de leur échange.

****

— Concentre-toi.

 Evaline haussa un sourcil, avant de rouler les yeux au ciel. Droit sur l’épaule de son maître à l’expression impassible, le corbeau de Kezashi la fixait, ce qui ne faisait qu’ajouter à son agacement. Depuis qu’ils s’étaient rejoint pour le repas diplomatique avec les Satsujin, la demoiselle avait à peine adressé la parole à son sensei, n’ayant visiblement pas digéré leur dernière conversation.

— Tu comptes me reprocher de tenir mon rôle envers toi ?

 Suite à sa défaite contre le Mizu, le Hykao lui avait reproché son abandon facile et son manque d’application durant le combat, convaincu qu’elle avait les dispositions pour se défendre bien plus efficacement que ce qu’elle avait montré. La jeune femme ne s’était pas laissé faire, marquant une différence entre les dangers du terrain et un combat pour le divertissement.

— Je te rappelle que c’est toi qui es venu me chercher, grinça Evaline, le regard fixe droit devant elle. Et je n’ai jamais signé pour participer à ce concours d’égo des Trois.

 Le Chuunin soupira, de plus en plus convaincu qu’il s’était tout autant fourvoyé que les Hykao et les Sabayaku. Les convictions idéalistes de la kunoichi aux mèches de prunes étaient bien trop imprégnées, rendant sa normalisation tout aussi impossible que les objectifs de sa pupille. Il comprenait toutefois le sentiment de lassitude de la demoiselle envers le tournoi, en ayant lui-même plus qu’assez de son rôle d’arbitre et d’organisateur.

— Je ne suis pas une Genin fraîchement sortis de l’Académie, lui rappela Evaline, comme pour confirmer les pensées de son sensei. Je ne me bat que si la cause me semble juste.

— Impossible si tu persistes dans la voie du shinobi, rétorqua Kezashi, sans une once d’émotion dans la voix. Tôt ou tard, une mission te poussera à aller contre ton humanisme.

 Evaline baissa les yeux et tapa sur un caillou traînant sur son chemin.

— Je le sais, murmura-t-elle, le cœur serré. Ce sera un passage obligé pour changer les choses.

— A toi de voir si tu peux le supporter, répondit Kezashi, plus doux que d’ordinaire.

 Tous deux venaient de pénétrer dans le quartier résidentielle des Satsujin, dont les demeures formaient une étrange hybridation entre le style Chirakate, adapté au climat désertique, et les maisons traditionnelles à l’architecture rappela l’âge d’or de l’antique Shinobi, la cité-mère de la société ninja. Faisant partie des précurseurs du Village du Sable, les Satsujin étaient un clan discret, cultivant le mystère de ses arcanes. Influant dans l’ombre sur l’échiquier interne de Chikara, ils étaient les quintessence de l’essence du shinobi, spécialisé dans l’infiltration et l’assassinat.

 Kezashi finit par s’arrêter devant la plus grande maison du secteur, un bâtiment rectangulaire tout de roche et au toit arrondis afin de laisser filtrer les grains d’or du désert. A ses côtés, Evaline soupira profondément, se préparant mentalement à mobiliser toutes ses réserves de sociabilité.

— Dire que j’étais contente de fuir les repas diplomatiques des Sabayaku.

— Je te le revaudrais, assura Kezashi en souriant subtilement, s’approchant de la demeure après avoir posé brièvement une main sur son épaule.

 Un serviteur les accueillit, avant de les guider à travers les couloirs de l’immense villa à l’ameublement aussi humble que sobre. Il aurait été difficile de deviner qu’ils se trouvaient chez le leader des Satsujin, loin du faste de la plupart des chefs de clan. En cela, Kezashi se sentait chez lui, les Hykao partageant une sobriété semblable à celles des assassins de Chikara. Ils débouchèrent sur une spacieuse salle à manger, au centre de laquelle étaient déjà réunis la famille de leur hôte.

— Pile à l’heure ! constata Gatanoa Satsujin, en tête de table, avant de désigner les chaises à sa droite et à sa gauche.

 Respectueusement, Kezashi et Evaline prirent place. L’homme était imposant de taille, bien que fin et élancé, trahissant sa pratique du Nekoka, l’art martial félin. D’une quarantaine d’années, ses longs cheveux, aussi blancs que sa barbe fournis, tombaient sur ses épaules. Les traits creusant son visage témoignaient de sa longue carrière, trahissant subtilement une forme de mélancolie malgré son ton enjoué. En s'asseyant à côté de lui, un petit garçon, roux à la peau pâle, adressa un grand sourire à Evaline.

— Quel âge as-tu ? demanda avec douceur la jeune femme, à l’aise avec les jeunes enfants.

— Neuf ans ! s’exclama le petit garçon, le regard pétillant d’admiration pour la kunoichi.

 Gatanoa servit lui-même un verre de vin à ses invités, chacun de ses gestes vif et gracieux, et ria à l’expression de son fils.

— Vous nous avez tous impressionnés lors du tournoi, mais Yoroi est en particulier votre plus grand fan ! leur apprit le paternel en souriant à son aîné.

 Yoroi rougit et se gratta une joue, tandis que son jeune frère se contenta de sourire à Evaline. Non loin d’eux, leur mère était attentive à leur petite sœur, d’environ trois ans.

— Je présume que sa victoire face au Masumane vous a ravis, s’enquit Kezashi, dont le corbeau détailla un à un les convives.

— Vous n’avez pas idée, ricana le vétéran, se cachant presque derrière sa coupe.

 Gatanoa leva sa coupe et trinqua au parcours de la Sabayaku. Chacun suivit, même les deux garçons qui levèrent leurs verres de jus de fruit. Lorsque le repas fut servis, Evaline découvrit une spécialité locale composée de viandes de Coquatrix baignant dans une sauce épicée, accompagné de légumes et de riz. La demoiselle apprit bien vite que Yoroi s’entraînait depuis deux ans au Nekoka, et depuis peu au maniement du katana dans le style des Satsujin. Le Nekoka était un style de combat au corps à corps inspiré par les félins, basé sur les esquives et les contre-attaques.

 Remarquant que son fils avait la langue bien pendue, Gatanoa le rappela subtilement à l’ordre, désireux de préserver intact les secrets des arts du clan. Kezashi sourit discrètement à cette intervention. Malgré l’Alliance, les rivalités claniques restaient de mise, en particulier auprès de représentants d’un Village étranger.

 Le soleil déclinant, les serviteurs allumèrent les bougies, tandis que les discussions entre Kezashi et Gatanoa se tournèrent vers les affaires claniques. Evaline mena la conversation auprès de la famille Satsujin. A travers le regard de son corbeau, le Chuunin constata que l’éducation Sabayaku restait imprégné en sa pupille, qui maîtrisait à la perfection l’art de l’apparat dans ses échanges avec Katerina, la femme du leader du clan d’assassin. Satisfait de leurs échanges, Gatanoa leva de nouveau sa coupe.

— Que la paix perdure entre les Trois.

 Tandis que chacun lui répondit de la même manière, son regard se perdit un instant dans les flammes vacillantes des bougies. Une ombre sembla traverser ses traits, si éphémère qu’Evaline n’en prit pas conscience, contrairement à Kezashi dont le corbeau pencha la tête d’un air interrogatif tout en fixant intensément le maître des lieux. Peinant brusquement à respirer, le Chuunin porta une main à ses poumons. Était-ce son imagination ou l’air s’alourdissait ?

— J’ai bien connu votre père, vous savez, lui apprit soudainement Gatanoa en tendant son assiette à un serviteur, qui lui resservit une portion.

— Vraiment ? s’étonna Kezashi, portant un morceau de viande en bouche.

 Soudainement, la vue de son corbeau se troubla. En panique, l’oiseau cligna des yeux en coassant, ne parvenant pas à faire le point. Manquant d’air, le Chuunin sentit comme un poids se former au creux de son estomac, ainsi qu’un étrange picotement au fond de sa tête, là où le lien mental s'établissait avec son précieux volatile. Kezashi en était certain : quelque chose interférait.

— Nous avons tous deux connu une perte semblable, continua Gatanoa, sa voix diminuant peu à peu de volume.

 Le Hykao toussota, de plus en plus nauséeux, tandis que la main de Gatanoa trembla légèrement lorsqu'il posa sa coupe sur la table. Kezashi n’eut pas le temps de s'appesantir sur ce fait. Pris d’un soudain mal de tête, il sentit son corps s’engourdir et secoua la tête, tentant vainement de dissiper son malaise. Que se passait-il ? Du poison ? Suffisamment puissant pour que son organisme renforcé de shinobi ne puisse éliminer les toxines ? Et pourquoi cette sensation le prenait-il lorsque Gatanoa avait abordé un lien entre leurs clans, inconnu à sa connaissance. Avant de quitter Gensou, jamais son père n’avait abordé un quelconque lien autre que professionnel avec les Satsujin.

— Kaiju ne vous a donc jamais parlé de moi ? murmura Gatanoa, que Kezashi ne put s’empêcher de trouver soudainement menaçant.

 Entre deux clignements de son corbeau, le Chuunin ne remarqua aucune différence chez Evaline, qui ne semblait avoir rien remarqué. Était-il personnellement visé ? Un genjutsu était-il à l'œuvre ? En désespoir de cause, Kezashi tenta diverses dissipations d’illusions, tout en secouant négativement la tête.

— Il est regrettable de constater qu’un événement brisant une vie peut être aisément oublié par le responsable, sembla regretter avec tristesse l’étrange Satsujin.

 Le cœur de Kezashi redoubla d’intensité, tandis qu’une haine enragée embrasa sa gorge, faisant trembler ses mains. Une brise glaciale traversa la pièce, faisant vaciller la lueur des bougies et arrachant un frisson aux convives. Les poings serrés, il se leva brusquement, tandis que la vision de son oiseau s’éteignit totalement. Des cris lui parvinrent, tandis qu’il se retrouva plongé parmi les ténèbres. Après quelques pas maladroits en arrière, il se dirigea en avant en hurlant, une chaleur enflammant son estomac et se répandant douloureusement à travers son corps. Le sol se déroba sous ses pieds, mais quelqu’un le rattrapa. Une main écrasa fortement son ventre, déjà prêt à exploser de souffrance.

— Tout vient à point, lui chuchota Gatanoa à l’oreille.

 Les flammes dévorant son organisme redoublèrent d’intensité, lui arrachant un hurlement de douleur, horrible et pathétique. Au loin, il crut entendre des pleurs et un cri. Evaline ?

 Kezashi repoussa le vieil homme et se sentit chuter, heurtant douloureusement le sol de ses genoux. Ses forces se dissipant dans le chaos de ses sens, il se sentit glisser vers l’inconscience, mais entendit distinctement une voix à la fois glaciale et familière, lui susurrer des profondeurs de son être :

T’ai je manqué ?

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