Épisode 9 - Les larmes du désert

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Opening : https://www.youtube.com/watch?v=3yoLXIQd2cM

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 Projeté en arrière, le visage éclaboussé d’une myriade de gouttelettes de sa défunte protection aqueuse, Chiraku glissa le long du sable de l'arène, manquant à plusieurs reprises de s’effondrer. Le visage trempé tant par l’humidité de ses jutsus que par la sueur dû à la flamboyance de ceux de son adversaire, le Mizu eut à peine le temps de relever la tête pour éviter le poing de la Chikarate qui ne lui laissait pas un instant de répit. Une flamme intense en jaillit, faisant plisser les yeux du jeune homme, avant d’encaisser un choc dans les côtes. Cessant de respirer un bref instant, le prodige de Gensou heurta violemment le sol, à plusieurs reprises, les bras griffés par la morsure du sable.

 Satisfaite, Akkurenaï replia sa jambe et, droite sur ses appuis, toisa son adversaire qui peinait à se relever. Concentrée et sans animosité, la Uchiwa était appliquée à terminer le travail minutieusement paramétré depuis le début du tournoi. Tout comme le Mizu, la demoiselle agissait par devoir et son apparence témoignait de sa longue préparation. Cette finale n’était que la dernière étape de sa mission.

 Fine et élancée, la peau légèrement basanée, très claire du point de vue d’un Chikarate, était mise en valeur par sa tenue en maille lui offrant une large souplesse de mouvement. Représentante à la fois de l’excellence Uchiwa et Chikarate, Akkurenaï n’était pas là pour s’amuser ou pour prouver quoi que ce soit. Son clan et son Village étaient supérieurs à tous les candidats réunis à cet événement et elle le prouvait simplement, consciente toutefois que Chiraku poursuivait le même objectif. Briser les certitudes de son ennemi était la première étape menant à sa totale victoire.

 Analytique, son dojutsu détaillait chaque mouvement du Mizu, anticipant tout nouveau traquenard typique de son rival. La demoiselle aux cheveux d'ébène coupés courts ignorait la foule électrisée par l’affrontement que se livrait la nouvelle génération de deux clans majeurs du Yuukan. A travers eux, Chikara et Gensou se livraient bataille. Et la Cascade perdait peu à peu tout avantage face à la chaleur implacable du Désert, sous les acclamations hystériques de son peuple.

 Réfléchissant aux diverses options se présentant à lui, ignorant le stress l’agitant depuis la fin des demi-finales, Chiraku songea un bref instant qu’avoir le Masumane comme adversaire aurait été un bien meilleur cas de figure, si seulement cet abruti ne s’était pas fait engloutir par la Uchiwa. Ceci dit, il était actuellement bien mal placé pour le lui reprocher. Lorsque les poings du Mizu se serrèrent de rage, Akkurenaï écarta brusquement les jambes, soulevant une légère volute de poussière, prête à fondre à nouveau sur sa proie.

 Lorsqu’elle bondit en avant, dévorant l’écart avec sa cible, Chiraku composa des mudras à toute vitesse. L’eau au sol se forma en des pics acérés, qui se dirigérent d’un coup vers Akkurenaï. Un sourire s’esquissa au coin des lèvres de la jeune femme, son regard écarlate à deux virgules ayant décrypté la manoeuvre avec suffisamment d’avance pour lui permettre de s’éjecter en l’air par un jet de flamme des deux mains. Hurlant de frustration, Chiraku envoya deux flots tumultueux, une par paume. De toute son agilité, Akkurenaï balança deux coups de pied successifs, explosant les torrents par la puissance de ses flammes, les réduisant en une pluie fine.

 Aussitôt à terre, la Uchiwa bondit vers le Mizu. Son dojutsu grenat jeta un oeil sur le côté et elle se contenta d’un simple shuriken pour détruire le clone aqueux face à elle, avant de bifurquer à toute vitesse vers l’original, qui écarquilla les yeux en voyant le poing foncer sur ses côtes gauche, déjà meurtries.

 Dans les gradins, Evaline porta les mains à sa bouche, étouffant un hurlement d’effroi lorsqu’un jet de flamme, plus puissant que les précédents, engloutit le Gensouard. Une ombre jaillit rapidement de l’embrasement, se tenant le flanc. Les jambes flageolantes et le corps fumant des restes évaporés de sa protection improvisée, ses tatouages recouvrant jusqu’à son visage et ses mains, Chiraku était toujours debout, la main crispée sur la partie de son corps brûlé. La Sabayaku ne comprenait pas comment son ami avait pu échapper à des blessures plus graves, mais elle s’en fichait éperdument dans l’immédiat, trop heureuse de ne pas le voir carbonisé.

 Intraitable, l’ombre de la silhouette de Akkurenaï se détacha de l’enfer qu’elle venait de produire, d’un pas implacable. Les poings serrés contre ses genoux, Evaline tourna son regard vers l’arbitre de la finale, renforçant sa vision par le gyo. La silhouette stoïque de Kezashi Hykao trônait à l’écart du champ de bataille. Mains derrière le dos, il laissait le combat se dérouler, sans esquisser le moindre geste malgré les blessures sévères de Chiraku. Mais ce n’est pas son manque de réaction qui glaça le sang de la Sabayaku. Relevant légèrement le menton, comme pour mieux admirer le spectacle, le Chuunin aux Corbeaux ne se départissait pas de son sourire cruel, sadique.

 Le Hykao était beaucoup de choses. Strict et méthodique, il paraissait bien souvent froid et impitoyable, que ce soit sur le terrain ou dans ses prises de décision. Mais prendre plaisir dans un tel déferlement de violence gratuite ? Evaline ne le reconnaissait plus. A moins qu’il révélait ici son véritable visage ? Le poing de la jeune femme se serra un peu plus fort, se mordant une lèvre comme pour chasser ses doutes. Bien qu’elle n’en comprenait pas les raisons, son instinct lui hurlait que quelque chose chez Gatanoa avait provoqué un changement dans le comportement de Kezashi.

 Tremblante, elle ne pouvait qu’assister avec impuissance aux conséquences. Tandis que Akkurenaï frappa Chiraku en plein estomac, Evaline se força à ne pas détourner le regard, priant pour que le fier Mizu déclare enfin forfait. Un coup de genou en plein menton, suivi d’un pied dans la mâchoire l’envoya au tapis. La Uchiwa fit quelques pas en arrière et, l’espace d’un instant, la Sabayaku eut l’impression qu’elle espérait également qu’il reste au sol.

 Borné, Chiraku se releva. Son tatouage brillait faiblement, remontant à la moitié de son cou. Peinant à se maintenir debout, il essuya le sang coulant de ses lèvres et défia la Chikarate du regard. Evaline se mordit la lèvre à pleines dents, maudissant cette saloperie de pression clanique, tandis que Akkurenaï roula des yeux. Les tatouages du Mizu redoublèrent d’intensité et il serra le poing, avant d’encaisser une sèche droite en pleine mâchoire, prélude à un enchainement de poings aussi rapides que puissants. Sonné, ses marques disparurent à nouveau tandis que le Gensouard tituba en arrière, refusant avec désespoir de plier jusqu’à ce que Akkurenaï abatte un coup de coude sec en plein front.

 Chiraku tomba sur le dos, le corps brièvement engloutis par la poussière d’or. Le Sharingan de la Chikarate l’examina une dernière fois, avant de retrouver son habituel teinte noir opaque. Elle jeta un regard à Kezashi, qui daigna finalement se diriger vers eux. Terrifiée à la vision de Chiraku inerte, elle trembla en voyant son sensei prendre le pouls du Mizu. Avec dédain, il se releva, toisa le Mizu comme s’il s’agissait d’un misérable insecte et tendit sèchement le bras vers la Chikarate :

— Perdant en vie. Victoire valide pour Akkurenaï Uchiwa, championne du premier tournoi inter-Villages !

*****

 Traversant d’un pas pressé à travers les couloirs de l'arène, Evaline regardait à peine devant elle, plongée dans ses pensées et sur la discussion qu’elle comptait bien avoir avec son mentor. Bien qu’inquiète pour Chiraku, elle ne pouvait détourner ses pensées du comportement inquiétant de son sensei. La veille, elle avait raccompagné Kezashi à l’hôpital, avec l’aide de quelques hommes de Gatanoa. Une fois prévenu, Izyroth avait jugé la coïncidence entre son malaise et le dîner bien trop importante pour ne pas mener une enquête. Malgré les risques de tension entre Chikara et Gensou, le Village du Désert accepta avec réticence de le laisser enquêter sur le domaine des Satsujin.

 Offusqué d’être ainsi soupçonné, Gatanoa accepta toutefois de collaborer afin de démontrer son innocence. Les résultats des analyses du vin et des denrées ne présentèrent aucune trace de poison, allant en la faveur du clan d’assassins. Le mystère entourant le mal qui avait saisi Kezashi restait entier.

 Contre l’avis de tous, le Chuunin aux Corbeaux refusa tout examen corporel approfondi et mis son malaise sur le compte du surmenage. Tenant à arbitrer l’ultime combat du tournoi, il ne lâcha aucune marge de négociation à ses collègues, et encore moins à sa pupille. Déterminé à achever son travail, le Hykao considérait l’incident comme clos et refusa toute nouvelle discussion sur le sujet, s’enfermant depuis dans ses quartiers.

 Ce déni n’avait fait qu’attiser les inquiétudes de Izyroth et Evaline. Formaté par son statut d’héritier clanique, le Hykao était la définition même de la paranoïa. Capable d’anticiper les scénarios de trahison les plus improbables, habitué à naviguer dans les eaux politiques de l’échiquier des Trois, ses froids calculs lui avaient permis de survivre et d’étendre son influence tout au long de sa brillante carrière. Balayer les recherches autour de son malaise ne lui ressemblait pas et ne faisait que confirmer à Evaline sa conviction que le Chuunin aux corbeaux leur cachait quelque chose. En deux jours, ses cernes s’étaient creusés et Izyroth avait raconté à la kunoichi avoir entendu des hurlements en provenance de sa chambre. Quoi qu’il se passait, Kezashi souffrait. Et son comportement lors de la finale n’arrangeait rien.

 Evaline se mordit une lèvre, tout en redressant une mèche prune derrière son oreille. Dès que son mentor avait levé la main pour signifier le début du combat, elle fut saisi d’un mauvais pressentiment, n’appréciant guère l’étrange rictus qui avait brièvement déformé le visage de l’Hykao. Pourquoi les avoir laissés aller aussi loin ? Pourquoi ne pas avoir interrompu le duel plus tôt, au lieu de les laisser s’écharper plus que de raison ? Et surtout, ce sourire vicieux dont il ne s’était pas départis, comme s’il se délectait du spectacle absurde de Chiraku saignant jusqu’à son dernier souffle…

 Face au bureau de Kezashi, Evaline releva la tête et eut la surprise de faire face à l’un des Chuunins en charge de la sécurité rapprochée des arbitres. Grand, carré d’épaule et musclé, la Genin comprit qu’il n’avait pas été placé à ce poste par hasard. Elle fit un pas en avant et fut stoppée net par une main levée.

— Monsieur Hykao refuse toute visite non nécessaire, l'informa-t-il sèchement.

 Agacée, Evaline croisa les bras et pencha légèrement la tête sur le côté. Elle fronça les sourcils, sévère, et demanda sur le même ton :

— Vous savez qui je suis ?

— Evaline Sabayaku, répliqua l’homme sur le ton de l’évidence, ne perdant en rien de sa stoïcité.

 La kunoichi aux mèches de prunes claqua la langue et tapota son bras d’un doigt pressé.

— Donc ?

— Vous dégagez, trancha sans l’ombre d’un doute le Chuunin. Il a spécifiquement demandé à ce que vous lui fichiez la paix. Seul Izyroth et Miiyu ont l’autorisation de le déranger.

 L’homme ficha son regard dans celui abasourdi de la demoiselle, qui venait de vivre cette dernière phrase comme un coup de poignard en plein cœur. Satisfait de son effet, il ajouta, acéré comme le fil d’un kunai :

— Et encore, je dois m’assurer que le sujet de leur visite correspond à la liste restreinte acceptée par monsieur Hykao.

 Sous le choc, la Sabayaku laissa échapper un léger ricanement. Kezashi refusait de la voir ? C’était une blague ? Après être aller la chercher personnellement dans son bar et l’avoir traîné dans ce tournoi idiot, le grand Chuunin aux Corbeaux refusait de lui adresser la parole alors qu’elle se rongeait les sangs pour lui ? Furieuse, la jeune femme fit un pas vers la porte, presque menaçante, et tonna :

— Putain, tu me fais quoi Kezashi !

 Le garde fit à son tour un pas vers elle, lourd de menace. Sentant l’aura de dangerosité de l’homme, Evaline se retint toutefois de reculer. Son regard enflammé soutint celui intransigeant du Chuunin.

— Pas un larbin dans ton genre qui m’empêchera de voir mon sensei, cracha-t-elle, acide.

 Piqué au vif, le garde la bouscula du plat de la main, ne lui laissant aucune marge de réaction, la forçant à reculer de quelques pas. Poing serré, il leva le menton et la toisa avec mépris :

— Et ce n’est pas une rebut de son clan pas foutu de tenir un combat au nom de son Village qui va venir m’emmerder, asséna t-il, pesant soigneusement le poison distillé dans chaque mot. Alors dégage si tu ne veux pas goûter aux ordres que nous a transmis Hykao pour les chieuses dans ton genre.

 Choquée, les mains de Evaline se mirent à trembler malgré elle. Défaite, elle tourna les talons et se dirigea à travers les couloirs sans prêter attention à la direction prise. Une fois hors de vue, la jeune femme se laissa tomber dos à un mur et s’y laissa glisser, les larmes aux yeux.

 L’homme n’avait fait qu’appliquer les directives de Kezashi. Il s’était contenté de répéter les mots de l’Hykao. Elle l’avait sentit au plus profond d’elle-même, et c’était ce qui lui faisait le plus mal. Perdue et ne sachant que faire face à cette trahison, elle prit sa tête entre ses mains, ses cheveux glissant le long de ses jambes.

 A bout de nerfs, elle craqua. Sous la pression de cette semaine de compétition, angoissée par l’éloignement de sa meilleure amie, le rejet de l’Hykao était le coup de poignard de trop. Entre deux murmures, elle murmura :

— Mey… T’es où ?

 Elle tenta en vain de ravaler ses larmes, releva la tête mais ne parvint qu’à la faire tomber contre le mur. Elle ferma les yeux et soupira, deux perles coulant le long de ses joues :

— Que dois-je faire ?

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